Mark Zuckerberg, Sam Altman, Elon Musk, la calamité cybernétique
Le philosophe Stéphane Zagdanski dénonce dans La calamité cybernétique les excès du milliardaire bipolaire Elon Musk, qui menace d’attaquer la principale organisation de lutte contre l’antisémitisme aux USA et muselle la liberté d’expression en Arabie saoudite.
To clear our platform’s name on the matter of anti-Semitism, it looks like we have no choice but to file a defamation lawsuit against the Anti-Defamation League … oh the irony!
— Elon Musk (@elonmusk) September 4, 2023
Avertissement :
« Ce petit livre est une grande déclaration de guerre . »
Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles
Ceci n’est ni un essai sur le monde contemporain, ni une thèse de philosophie, ni une nouvelle contribution vieillie au soporifique débat sur la nocivité ou l’innocuité de l’Intelligence Artificielle.
Le temps n’est plus au débat. Il faut vilipender ce monde factice jusqu’à la garde, le rudoyer et l’invectiver dans tous ses cataclysmiques aspects.
ChatGPT n’est pas à craindre ; cet « agent conversationnel » n’est qu’un ultime joujou de la Cybernétique pour achever de vous faire tout gober et tenir cois. L’ennemie, c’est elle, la Cybernétique, la matricielle marâtre à matraque, l’atroce matrone du vingtième siècle dont l’infâme XXI n’est que l’avorton génocidaire.
Des abattoirs industriels de Chicago en 1900 jusqu’à la funeste Finance algorithmique aujourd’hui en passant par le gaz moutarde à Verdun, les machines à cartes perforées à Auschwitz, les calculateurs à transistors au-dessus d’Hiroshima et Nagasaki, les élucubrations informatiques du M.I.T. biberonnées par le Pentagone, les probabilistes pervers de la psychologie comportementale, les docteurs Folamour du génome humain, la Chine qr-codisée ou les odieux drones et robots à tout surveiller, tout punir, bientôt tout massacrer de Boston Dynamics, c’est un même devenir-monde de la Calculette qui déploie son cloud de computation méphitique.
« Pour lancer un manifeste », dit le Manifeste Dada 1918, « il faut vouloir : A.B.C., foudroyer contre 1, 2, 3 ».Ça tombe bien, je n’ai jamais été très adepte du 1, 2, 3. Je préfère foudroyer que démontrer. Que faudrait-il encore démontrer que vous n’ayez sous les yeux du matin au soir ? Les milliards de vitrifiés du smartphone n’incarnent-ils pas une démonstration assez probante du désastre ?
Mi-méditation mi-pamphlet, ce manifeste entend reprendre le flambeau de quelques magnifiques précurseurs – Heidegger, Artaud, Debord, Céline, Swift, Proust, Kafka, Canetti, Wittgenstein, Pascal… et tous ceux, d’Aristophane à Nabokov, qu’offusquèrent les arrière-mondes bâtis brique à brique pour étrangler la vie.
Qu’on se le dise, la Fronde est relancée contre les freluquets à caboche cartésienne. Qu’on sache, jusque dans les couloirs climatisés du Massachusetts Institute of Technology, qu’un écrivain juif (c’est important) né à Paris (ça ne l’est pas moins) – pas un pusillanime matheux expert en informatique, pas un philosophe des sciences cognitives, pas un publiciste à grand spectacle, pas un boomer atrabilaire – brocarde joyeusement leur minable monde de machines et démolit à coups de mots-marteaux leurs piteux pastiches de la pensée et du langage.
Que les détraqués du data planqués sur la planète Mars privatisée par SpaceX apprennent qu’un penseur solitaire n’ayant pas peur des mots considère Musk comme un bredouillant baltringue, méprise le sinistre joystick Harari, raille le crétin compulsif Gates, ne voit en Zuckerberg qu’un ersatz hébété, traite ouvertement Altman de baratineur borderline, Villani de neuneu du neutre, et Chomsky de schmock. Et qu’il a les arguments pour ce faire. »
Extrait :
Le concept consubstantiel de la Cybernétique
Mettons le poing sur le i de l’IA.
Au XXIe siècle, se questionner sur les maux que l’Intelligence Artificielle risque d’apporter à l’humanité, cela revient à être au volant d’une voiture qui se précipite dans un ravin et se demander en plein vol si on n’aurait pas oublié de vérifier la pression des pneus…
L’Intelligence Artificielle n’est ni une aberration mégalomaniaque ni une invention annexe de la Cybernétique. Elle est son concept consubstantiel. Comme tout ce que fomente la Cybernétique, depuis le Projet Manhattan jusqu’à GPT-4, l’IA relève d’une impérieuse volonté de puissance et traîne déjà derrière elle un lourd passif de malfaisance polymorphe.
Indissociable de la recherche scientifique transdisciplinaire et internationale des années 40, financée par l’armée américaine pour le Projet Manhattan, l’IA s’est inoculée partout dès avant la Seconde Guerre mondiale. Dans les camps d’extermination nazis, c’est l’IA qui biberonnait les machines à cartes perforées IBM servant à comptabiliser les déportés (1). C’est l’IA qui a optimisé les dégâts cataclysmiques des bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki – des dizaines de milliers d’atomisés en un clin d’œil, et des centaines de milliers d’autres irradiés subissant des décennies encore après les conséquences cancérigènes, mutagènes et tératogènes des deux bombes. C’est l’IA qui a inspiré les doctrines psychologiques sur l’« usage humain des êtres humains » et toutes ses dérives comportementalistes et cognitivistes. C’est l’IA qui sert tous azimuts dans des milliers de laboratoires pharmaceutiques à la manipulation biologistique du vivant. C’est l’IA qui redessine les plans des villes et des campagnes conformément aux idéaux contre-insurrectionnels de circulation des hommes et des idées. C’est l’IA qui règne aujourd’hui sur la désastreuse Finance algorithmique partout sur la planète.
Nerf de la guerre que la Cybernétique livre à l’univers, l’Argent n’est plus tout à fait le même puisque la Finance n’est pas l’Économie au sens classique, raison pour laquelle celle-là peut prospérer de la destruction de celle-ci, impulsée par la cupidité de la cupidité sous la forme d’une spéculation proliférante, glaciale, foudroyante, d’autant plus dénuée de tout scrupule qu’elle se transmet d’un ordinateur l’autre sans intervention humaine, qu’elle s’élabore, par conséquent, entre des machines dédiées à l’Intelligence Artificielle.
Produit fantasmatique de vieilles conjectures philosophiques remontant au XVIIe siècle, la Cybernétique n’épargne aucun domaine de la modernité : Science, Langage, Mathématique, Divertissement, Politique, Médecine, Police, Armée, Arts, Économie, Informatique, Architecture, Enseignement, Technique, Agriculture, Sport, Urbanisme, Psychologie, Communication…
Pour saisir l’essence du morbide oxymore « Intelligence Artificielle », il faut en retracer la généalogie depuis « l’animal-machine » de Descartes jusqu’à la « grammaire universelle générative » de Chomsky, en passant par « l’homme-machine » de La Mettrie, l’« automate spirituel » de Spinoza, le « Dieu calculateur » de Leibniz et bien sûr tous les délires technoscientistes des cybernéticiens autour de la pensée : Norbert Wiener, Warren McCulloch, John von Neumann, Alan Turing, Walter Pitts, Hilary Putnam, Marvin Minsky, tant d’autres…
En septembre 1961, au 3e Congrès International de la Cybernétique de Namur, Georges Boulanger s’exaltait (2) :
« La cybernétique – et c’est sa raison d’exister – entend investiguer librement dans le domaine de l’esprit. Elle veut définir l’intelligence et la mesurer. Elle tentera d’expliquer le fonctionnement du cerveau et de construire des machines à penser. Elle aidera le biologiste et le médecin, et aussi l’ingénieur. La pédagogie, la sociologie, les sciences économiques, le droit, la philosophie en deviendront tributaires. Et l’on peut dire qu’il n’est pas un secteur de l’activité humaine qui puisse lui rester étranger. »
Son imbécile cauchemar est devenu notre imparable réalité.
La Cybernétique s’est spontanément conçue comme science humaine – ayant son mot à dire sur l’homme en son entier –, à visée de science exacte – née d’un idéal de régularité logique et y retournoyant sans cesse. Mais ce n’est pas tant ce que s’imaginait être la Cybernétique qui détermine son essence, que le mot-à-mot de tous ses discours, à commencer pas son propre nom, « cybernétique », désignant la science du gouvernement – soit l’art d’asservir les populations pour mieux faire jouir l’Argent.
Le point aveugle des cybernéticiens – si bien rendu par leur très confus concept de « boîte noire » –, est leur notion de base : l’« illigence », qu’ils confondent fâcheusement – et de plus en plus fascistement – avec la pensée. Cette notion « d’intelligence » n’est que très peu remise en question par les promoteurs de l’IA, qui ne proviennent pas pour rien, peu ou prou, du même sérail mathématico-scientifique – le Massachusetts Institute of Technology principalement. Ces gens sont capables de bien des choses inutiles – ils envoient des hommes sur la lune et des rovers sur Mars –, mais de penser créativement, jamais.
Pourquoi ?
Parce que penser n’est pas calculer.
Penser, c’est bondir.
Canetti en 1961, dans Le Territoire de l’homme :
« Le penseur n’a que le vide autour de lui. Il repousse tout loin de soi jusqu’à ce que ce vide soit suffisant ; alors, il commence à bondir çà et là, créant ainsi sa propre voie. Le sol n’est sûr que parce qu’il y met le pied. Ailleurs, tout n’est que doute. »
Évoquant les recherches logiques les plus modernes, McCulloch, l’un des pères partouzeurs de la Cybernétique, déplorera qu’elles soient « infectées d’incertitude » (infected with uncertainty). Ce n’est qu’à peine une métaphore. L’exactitude logique, la certitude algébrique, la rectitude arithmétique, la rigueur géométrique… participent d’un idéal de pureté du sens, de véracité de la formulation que rien ne doit venir troubler ni entacher. Dès lors, l’irrégularité, l’incertitude, le miracle, l’imprévisibilité, la trouvaille, l’oscillation, l’improvisation, le swing du sens demeurent le cauchemar des cybernéticiens, incapables de remettre en question l’axiome d’une intelligence réduite à des fonctions gestionnaires et calculatrices, axiome qu’ils ont déniché dans l’observation de l’autorégulation de leurs propres machines, jamais dans la méditation des écrivains, peintres, musiciens, artistes virtuoses…
Notes:
(1) Cf. Edwin Black, Ibm et l’Holocauste – L’alliance stratégique entre l’Allemagne nazie et la plus puissante multinationale américaine, Robert Laffont.
(2) Cité par Céline Lafontaine dans L’empire cybernétique, Des machines à penser à la pensée machine, Seuil, 2004.
Commander La calamité cybernétique de Stéphane Zagdanski, 401 pages Livre papier : A5 (5,83 x 8,27 po / 148 x 210 mm), Standard Noir & Blanc, couverture souple, Brillant couverture, 2023.