Le fondateur de Jewpop se confie sur l’antisémitisme et ses lectures

Alain Granat, est journaliste-trompettiste, et a créé le site Jewpop

Que faisais-tu en 1993 pendant les accords d’Oslo ?
Alain Granat : A cette époque, j’étais musicien. J’ai bien sûr été ému par la symbolique poignée de main entre Rabin et Arafat cette année-là, je pensais que la paix entre Israéliens et Palestiniens était enfin proche… Enorme désillusion depuis. Mais c’est surtout le soir du 4 novembre 1995 qui m’a marqué… Je me trouvais alors à Tel-Aviv, abasourdi comme tout le monde par l’annonce terrible de l’assassinat de Rabin.

Où étais-tu lors de l’attentat de la rue Copernic ?
Alain Granat : J’ai 21 ans, je suis chez mes parents pour le dîner de Shabbat. Ils habitent à quelques centaines de mètres de la synagogue. Nous entendons une énorme déflagration qui fait trembler tout le quartier. Je me précipite avec l’un de mes frères place Victor Hugo, sur laquelle donne la rue Copernic, c’est indescriptible…

Le monde s’écroule depuis la fin de Jewpop, Zemmour, antidreyfusard et pétainiste, fait la course aux européennes, Poutine « dénazifie » l’Ukraine, les Klarsfeld soutiennent Louis Alliot et Marco Mouly inspire Xavier Giannoli, incarné par Ramzy Bedia… çà ressemble à du Sharon Boutboul, non ?
Alain Granat : J’avoue qu’on aurait pas chômé sur Jewpop depuis l’arrêt du site, avec la perspective de se faire une fois de plus insulter pour nos articles. Tant par les fans de Bibi, désormais allié à des voyous (je reprends le terme exact utilisé par Frédéric Encel, qu’on peut difficilement taxer de gauchiste) et de Mélenchon confondus (la récente tribune de Gérard Miller dans Le Monde fustigeant le supposé vote juif pour l’extrême-droite m’a fait bondir, même si elle ne m’a pas étonné de sa part). Heureusement, Meyer Habib a été réélu député, nouvelle réjouissante qui me met du baume au coeur ! Et j’ai hâte de découvrir Ramzy Bedia en Marco Mouly, même si côté taille, il fait 4 têtes de plus que lui… J’ai croisé Marco Mouly alors qu’il était en dédicace à la librairie de la place du marché de Deauville pour son bouquin, un pur sketch !

Seul point positif, on n’entend plus parler de Dieudonné depuis la fin de Jewpop ?
Alain Granat : Je trouve au contraire qu’on en entend encore bien trop parler, même si ça sent quand même le sapin pour sa petite entreprise antisémite.

Tu nous racontes la fois où la LDJ t’a menacé ?
Alain Granat : Jewpop s’est toujours gentiment moqué (« qui aime bien châtie bien »…) de tout le petit monde juif associatif et militant, de la LDJ, du Betar, comme de l’UEJF, du mouvement libéral, et de tant d’autres… J’avais publié une chronique de Sharon Boutboul en octobre 2015, à la suite d’une manif de soutien à Israël à proximité de l’ambassade. La chute de son papier : « Le prix de la meilleure vanne de la soirée a été attribué à un manifestant (ashkénaze, évidemment), relative à l’ampleur de la mobilisation : « Y a même pas de quoi faire 2 convois ». J’avais trouvé la blague drôle, mais je dois préciser qu’avant de mettre en ligne l’article, je l’avais fait lire à mon père, rescapé d’Auschwitz. Son verdict concernant la chute : « Ce n’est pas de très bon goût, mais c’est drôle ! ». Le lendemain de la parution – qui avait cartonnée – la LDJ publie sur son site un article titré « Jewpop rigole avec la Shoah » et la semaine suivante, un autre article titré « Quand les planqués de Jewpop cherchent la LDJ », qui se concluait effectivement par des menaces subtilement exprimées, façon « gaffe à toi si tu as le malheur de nous croiser ». Cela dit, j’ai eu l’occasion de dîner avec le « responsable » officieux du mouvement et ça ne s’est pas terminé en baston !

Tu regardes des séries israéliennes ?
Alain Granat: Plus depuis mon interview catastrophique de Lior Raz, le créateur et héros de Fauda, qui m’a définitivement calmé. Par contre j’ai adoré Succession et Slow Horses, que je recommande vivement aux amateurs de séries !

Tes pronostics pour cette rentrée littéraire ?
Alain Granat: Il y a évidemment les « valeurs sûres », entre les nouveaux romans de Sorj Chalandon, Santiago Amigorena, Pascal Quignard, Laurent Binet… que j’ai hâte de lire. Egalement Mes pas dans leurs ombres de Lionel Duroy, sur le passé antisémite de la Roumanie, qui a l’air passionnant. J’ai aussi beaucoup aimé le livre d’Elise Goldberg, Tout le monde n’a pas la chance d’aimer la carpe farcie, empli d’humour, de tendresse et de délicatesse. Sinon, mes dernières lectures ne sont pas vraiment d’actualité. Mes trois récents coups de cœur : La conscience de Zeno, d’Italo Svevo (auteur admiré de Joyce, un classique de la littérature italienne du XXème siècle), La Vie et l’oeuvre du compositeur Foltyn, de Karel Capek (écrivain tchèque contemporain de Kafka, auteur de La Guerre des Salamandres) et Le Piège, d’Emmanuel Bove (immense romancier, auteur d’un des plus beaux (et déprimant !) livre que je connaisse, Mes Amis). Enfin, découvert bien trop tardivement, le poignant Journal d’Hélène Berr, que Zemmour aurait dû lire et relire cent fois avant de débiter son infâme discours négationniste sur le « sauvetage des Juifs français » par Pétain et le Régime de Vichy.

C’est comment la vie de grand-père ?
Alain Granat: J’ai le bonheur d’avoir un petit-fils, Samuel, âgé de deux ans et demi, qui est une merveille ! J’imagine que tous les grands-parents disent forcément la même chose, mais je suis en admiration absolue devant lui ! Son petit frère arrivant dans quelques semaines, je vais donc persister avec joie dans mon rôle de « papy » gâteux !

à propos de l'auteur
Alexandre Gilbert, directeur de la galerie Chappe écrit pour le Times of Israël, et LIRE Magazine Littéraire.
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