Un pays, deux peuples, quatre religions
Genèse 31,2 : « Jacob regarda le visage de Laban ; et voici qu’il n’était plus comme auparavant. »
A Jérusalem, dimanche 28 mai dernier, le jour de la Pentecôte 2023, des centaines de Juifs ont manifesté contre des Chrétiens évangéliques américains accusés de prosélytisme mortifère pour le peuple d’Israël. L’alliance entre les États-Unis est Israël est en train de révéler sa superficialité : Jacob s’en rend compte et Laban va lui montrer son vrai visage…
Observant ces premières fissures, on peut à la fois s’en attrister et s’en réjouir. Israël sans son allié américain va se retrouver seul, contraint de se positionner d’une autre manière non seulement par rapport à ses voisins mais aussi par rapport au peuple juif tout entier.
Cette évolution forcée ne peut qu’être douloureuse mais son issue sera heureuse car l’alliance entre Jacob et Lavane était contre-nature. Jacob ne peut pas devenir Israël s’il reste dépendant des Chrétiens évangéliques américains.
Le racisme islamophobe des Evangéliques empêche Israël de devenir un seul pays incluant la Judée et la Samarie (la Cisjordanie). Les deux peuples palestinien et israélien ne peuvent pas s’exclure mutuellement, ils ne forment qu’un seul pays provisoirement divisé par une frontière absurde.
La difficulté de leur unification provient de la démographie et de la démocratie. Arabes et Juifs dans un même pays ne pourraient pas cohabiter paisiblement car l’un et l’autre voudront imposer leurs idéologies ou religions. Chacun en a deux : les Arabes sont soit chrétiens soit musulmans ; les Juifs sont soit laïcs soit religieux. Laquelle de ces quatre « religions » devrait dominer les trois autres ?
En tant que Français je devrais préconiser la laïcité. Cependant, au Proche-Orient elle n’a pas le même sens qu’en France. Ce qui ne devrait être qu’un cadre permettant la coexistence pacifique des religions a tendance à devenir une religion. C’est un peu ce que nous sommes en train de vivre en France : la laïcité a du mal à s’imposer face à l’islam fondamentaliste car elle a subrepticement dérivé elle-même en idéologie agressive.
En Israël, la laïcité est une forme de religion pour certains et pour d’autre un adoucissant à l’ultra-orthodoxie qui exclut tout contact avec le monde profane. Du côté palestinien, la laïcité est clandestine. C’est pourtant grâce à cette quatrième « religion » que les deux peuples pourraient se mélanger. Ça c’est une vision française…
D’un point de vue israélien, il me semble que la religion qui devrait servir de ciment à tous les habitants de ce pays fracturé, ce n’est pas la laïcité mais le judaïsme ou, plus exactement, l’hébraïsme. En effet, le judaïsme ne peut être que la religion des Juifs tandis que l’hébraïsme concerne aussi les Musulmans et les Chrétiens, et même les Laïcs. Islam et christianisme sont fondés sur la religion hébraïque. Les Droits de l’Homme, par exemple, sont dérivés des lois donnés au peuple hébreu sur le Mont Sinaï.
La religion hébraïque n’est pas la religion juive. L’hébraïsme est à la fois antérieur et postérieur au judaïsme qui est une religion de l’exil née à Babylone après la destruction du premier Temple, les fondateurs étant Esdras et Néhémie. De retour « à la Maison », le peuple juif est en train de redevenir Israël, il se reconstruit, il redéfinit son identité, sa religion, son Temple, son unité ; il rassemble non seulement les descendants de Yéhouda mais aussi ceux des « Dix tribus perdues ». Pourquoi le royaume des Dix tribus s’appelait-il « royaume d’Israël » et pas celui du sud ? Comment interpréter aujourd’hui cette scission au sein d’Israël qui empêche sa réunification complète ?
Il y a deux manières de considérer les Dix tribus manquantes au peuple juif pour qu’il devienne le peuple d’Israël. On peut soit avoir une vision ethnique et dire que les étincelle perdues sont des âmes juives à récupérer, soit une vision spirituelle. Dans cette seconde façon de définir les tribus disparues ont peut considérer que le sang des Hébreux est trop mélangé avec les Goyim depuis 2700 ans.
Par conséquent il est illusoire de vouloir les récupérer pour les adjoindre aux Juifs. Aussi, étant donné que ces étincelles hébraïques sont dispersées dans toute l’humanité, il faudrait ramener toute l’humanité à Jérusalem… Impossible ! Et pourquoi pas ?
Toute l’humanité devrait pouvoir résider à Jérusalem, spirituellement. C’est dans cette ville que le Nom divin anonyme peut rassembler tous les croyants et non croyants de la planète. C’est la vocation d’Israël, réconcilier, c’est-à-dire faire dialoguer tous les peuples grâce à un Temple vide. Un Temple où toutes les religions devraient pouvoir s’abreuver car c’est dans le désert, le lieu qui n’appartient à personne, que le Divin Absent s’est révélé.
C’est son absence de nom qui permet à chacun de Le nommer selon son âme. Cette absence de nom est incompatible avec le fondamentalisme et compatible avec l’agnosticisme : face au Dieu d’Israël on ne peut que dire « je ne sais pas, je ne Te saisis pas, Tu ne m’appartiens pas, Tu nous rassembles tous grâce à Ton absence ».
Il est difficile pour les Chrétiens américains d’accepter cette séparation féconde avec le Divin et une distance respectueuse envers Israël. L’amour possessif ou cannibale n’est pas amour, il y manque un espace (vide) où puisse être ressentie comme une Présence.