Sarah, princesse spirituelle pour l’humanité
Sarah est pour Avraham une épouse idéale, complémentaire; elle a pour vertu essentielle la rigueur, comme Yitzhak (tandis qu’Avraham a pour vertu principale la bonté). On ne sait pas qui sont ses parents (elle est peut-être la demi-sœur d’Avraham, ou sa nièce, fille de Haran). Ce qui est sûr, c’est qu’Avraham l’écoutait : « écoute tout ce que Sarah te dira » (Genèse 21,12). On dit qu’elle est l’une des quatre plus belles femmes de la Bible (avec Rahav, Avigaïl et Esther).
Le prénom originel de Sarah était Yisska. « Yisska » vient du verbe « voir » et nous indique les deux attributs principaux de Sarah : la prophétie et la beauté, voir et être vue ; une forme de vision « active » qui faisait de Sarah une prophétesse, et une forme de vision « passive » : elle était belle à voir (Rachi sur Béréchit 11,29). Elle portait le prénom de Yisska lorsqu’elle était enfant, mais en grandissant, elle a décidé de changer de nom pour montrer qu’elle ne souhaitait plus « être vue », mais qu’elle désirait dorénavant œuvrer dans l’intimité, la pudeur. Sarah est celle qui demeure dans la tente (Genèse 18,9). La gloire d’une Princesse se trouve à l’intérieur.
Lorsqu’on lui annonce qu’à quatre-vingt-dix ans elle aura un enfant elle s’interroge non pas sur la possibilité d’engendrer mais de désirer et d’éprouver du plaisir : הָיְתָה־לִּי עֶדְנָה « aurai-je du plaisir ? » (Genèse 18,12)
« Sarah rit en son sein pour dire : « Après m’être fanée, aurai-je la volupté ? Et mon Adone (maître) est si vieux ! » (traduction André Chouraqui)
Ici, le rire de Sarah est une façon de mettre à distance ce qui est douloureux (le fait de n’avoir pas pu être mère), et en même temps il ouvre une perspective, il donne une impulsion vers une nouvelle voie. C’est un rire d’espérance. En effet, Sarah était stérile. D’après la Tradition orale des Maîtres d’Israël, elle est née sans matrice (sans utérus). C’est pourquoi Avraham et Sarah ne riaient jamais ensemble, ils ne pouvaient partager leur rire, ils riaient chacun de leur côté : « Avraham tomba sur sa face et rit; et il dit en son cœur : « Quoi ! Un centenaire engendrerait encore ! Et à quatre-vingt-dix ans, Sarah deviendrait mère ! » (Genèse 17,17)
Ce qui peut aider à croire, c’est ce que l’on ressent, c’est lorsque la foi devient « vision » ou perception. Un amour est-il possible entre juifs et non-juifs ? Ce qui permet d’y croire, c’est le plaisir qu’éprouvent les non-juifs aujourd’hui à étudier l’hébreu, la Torah, écouter des rabbins, participer à des fêtes juives… Qu’est-ce qui les motive ? Le plaisir, une sorte d’attirance irrésistible, une attraction, un désir profond. D’où vient cette nouveauté qui est à la fois un sentiment et -surtout- une sensation ?
Au début il s’agit d’une simple curiosité, de culture. Ensuite il s’agit d’étude, de travail pour connaître. Et puis après il y a une familiarité qui s’installe, une confiance réciproque. Ensuite il y a la certitude de boire à une même source qui est bonne et intarissable. L’esprit est vivifié, le corps se fortifie. Et la Torah devient un livre de vie. Ainsi le respect mutuel et l’affection transforment les deux amis en amoureux. C’est nouveau : chacun réalise qu’il est indispensable à l’autre. Après le drame de la Shoah et les deux mille ans qui viennent de s’écouler, la relation entre l’Occident et Israël peut sembler utopique. Et pourtant c’est réel.
Avraham, lorsqu’il arrive en terre de Canaan est un étranger ; il le dit d’ailleurs lui-même lorsqu’il veut acheter un terrain pour le tombeau de sa femme défunte : « Je suis un étranger résident parmi vous » (Genèse 23,4). Avraham vient de l’autre côté, de l’autre côté du fleuve, de l’autre côté du monde, du côté opposé. « Côté opposé » se dit en hébreu « hever » qui a donné le mot « hivri » (qui signifie « hébreu »). Avraham est un Hébreu (Genèse 14,13), un descendant de Hever (qui lui-même descend de Noé et Chem). Pour dire les choses d’une manière moderne (anachronique), Avraham n’était pas juif, il l’est devenu. Avraham n’a pas été circoncis à sa naissance (à huit jours) mais à 99 ans, en même temps que son fils Ishmaël qui avait alors treize ans. Cela veut dire que Sarah a connu son mari en tant qu’incirconcis puis en tant que circoncis.
Sans Sarah il n’y aurait pas eu le peuple hébreu. Avraham étant un descendant d’une lignée d’idolâtres, il y avait des imperfections en lui. Sarah prophétesse avait compris qu’il ne fallait pas que la première semence créatrice d’Avraham donne Yitzhak. Elle avait compris que le Peuple ne pouvait pas commencer à exister tant qu’il n’avait pas évacué cette première semence. Il fallait d’abord qu’il y ait Ishmaël, il fallait que sorte ce qui empêchait la naissance d’Yitzhak. C’est pour cela que Saraï s’est sacrifiée entièrement (la lettre youd dans le nom de Saraï correspondant au nombre 10, a disparu) en demandant à Avraham d’aller vers sa servante Agar pour qu’il ait un enfant d’elle. Sarah a ainsi permis que vienne ensuite Yitzhak, et avec lui le Peuple juif. Les Nations devraient ressembler à Sarah. Elles devraient être prêtes à se battre aux côtés d’Israël, à vivre et à mourir pour lui. Elles n’ont peut-être pas encore compris que si Israël meurt, elles mourront avec lui, leurs destins étant indissociables.
Sarah a agi dans le secret, cachée dans la tente. En réalité, Sarah fait « tout », mais on ne voit rien, elle est gardienne de l’intériorité, de la force féminine qui se dévoile en secret et non pas aux regards extérieurs. C’est cela, le dévoilement caché du Messie.
Lorsque Sarah est enceinte d’Yitzhak, elle a 90 ans, et à sa naissance Avraham a cent ans (l’âge de la perfection). Lorsqu’Ishmaël est né, Avraham avait 86 ans, ce qui correspond à la gematria d’Elohim. Cela signifie donc qu’Ishmaël, le père des musulmans, est au niveau d’Elohim (qui vaut 86) et pas au niveau de HaChem (qui vaut 26). Il a été conçu par un père incirconcis, à la différence d’Yitzhak.
Saraï qui avait dans son nom un youd (qui vaut 10) l’a partagé en deux hé (la lettre hé qui représente le souffle divin vaut 5) : un « hé » pour Avram qui est alors devenu Avraham et un « hé » qu’elle a conservé (Saraï est devenue Sarah). C’est en partageant son youd que Sarah est devenue féconde. Cela signifie qu’auparavant elle était comme une maison vide, froide, sans vie. Avec le « hé » dans son nom entre en elle le souffle qui va permettre de générer la vie. Elle devient une terre bien arrosée et fertile, le lieu de la Présence divine, l’espace-matrice où peut naître la vie. Elle devient la Mère, la Matriarche. Après elle c’est Rivka qui devient le symbole de cette terre où réside la Présence divine ; et ensuite il y aura deux lignées, celle de Rahel et celle de Léa.
Et en recevant le « hé » dans son nom, Avraham reçoit une part de la dimension féminine qui lui manquait. Ainsi, il acquiert le juste équilibre entre bonté et rigueur, et il puise en lui une énergie, une force insoupçonnée. C’est toute l’Histoire de l’exil et du retour d’Israël sur sa terre (et avec lui de l’humanité tout entière) qui est résumée dans ce « hé ». (le « hé » est constitué d’un dalet à l’intérieur duquel se trouve un youd : ד + י forment le ה).
La Présence divine, tout en demeurant dans le Temple (et derrière le Kotel aujourd’hui), est descendue en exil avec son Peuple pour le sauvegarder, et elle reviendra avec lui. En effet, le mot gal (גל) signifie « dévoiler », et gola (גוֹלָה) est l’exil. Le mot « géoula » (גאוּלה), « délivrance », est constitué des mêmes lettres que gola, avec un aleph (א) en plus. Le « hé » à la fin du mot « gola » nous révèle (dévoile) que l’exil n’est pas seulement sous le signe du dalet (= 4), aux 4 coins du monde, mais sous le signe du « hé » (= 5). Il faut un point central de ralliement (Israël), sans quoi les exilés ne pourraient pas revenir.
Et lorsque les exilés reviendront, alors le mot gola se transformera en géoula : le youd (= 10) qui était dans le dalet pour en faire un hé, va se révéler dans son unité, dans le alpeh = 1. C’est cela la Délivrance : reconstruire l’unité fondamentale du Peuple d’Israël né de Sarah en terre d’Israël (la terre promise à Avraham). Et cela sera le témoignage de l’unité de Dieu pour l’humanité tout entière qui reviendra au Dieu UN.
Et après avoir reçu un « hé » comme Avram, Saraï a donné son youd (lettre masculine) à son fils Yitzhak. Comme sa mère, Yitzhak avait au départ une âme trop féminine pour pouvoir enfanter. Au Mont Moriah il a reçu une part masculine qui lui a permis d’équilibrer son âme, de se marier et de devenir père. D’après le Zohar, Yitzhak est le fils le plus parfait car sa joie transformait l’eau en feu et le feu en eau, signe d’un amour parfait entre deux époux.
Le prénom Saraï signifie « ma princesse ». Maintenant qu’elle est Sarah, elle n’est plus seulement la princesse de Dieu, mais elle devient la princesse spirituelle de toute l’humanité. Il y a donc une ouverture à l’universel, un don d’elle-même à l’humanité tout entière.
L’étude de la Torah ne peut être plaisir que si elle est partagée, comme le youd de Saraï. On ne peut pas étudier la Torah seul. C’est d’ailleurs ainsi qu’a pu être rédigé le Talmud, grâce à des échanges, à des controverses, des discussions (makhloquet). La Torah écrite est masculine, la Torah orale est féminine. Elle est vivante, toujours en mouvement, toujours nouvelle (dans le sens de renouvelée), elle ne s’épuise jamais au cours des siècles. L’écrit, lui, est figé. En plus, on ne peut saisir le sens profond de la Torah écrite que si on a les clés d’interprétation dévoilées par la Torah orale.
La Torah écrite sans la Torah orale est comme une semence masculine perdue et inutile, privée de réceptacle. Le monde chrétien jusqu’à présent n’a conservé que la Torah écrite. L’Église doit devenir Sarah en revenant à la Torah orale (c’est à dire aux enseignements et interprétations des Maîtres d’Israël selon la Tradition juive) pour retrouver sa dimension féminine. Il lui faut réunifier en elle la Torah qu’elle a divisée. C’est grâce à Sarah que nous pouvons un peu comprendre de quelle manière Israël peut être aussi une épouse pour l’humanité bien qu’Israël ne soit en principe que l’épouse d’HaChem.
Une seule fois dans l’histoire de la famille d’Avraham une femme hébreue (Dina) s’est unie à un non-hébreu (Shrem). Elle a été violée mais ensuite son père Yaakov a envisagé d’accepter que Shrem soit circoncis pour faire partie de la famille. Dina aurait ainsi fondé la treizième tribu d’Israël, la seule dont le père aurait été un « converti ». Cela a échoué (chapitre 34 de la Genèse). Cette histoire prouve qu’il est possible pour les non -Juifs de faire partie de la famille d’Avraham, à condition d’être circoncis.
Les musulmans étant circoncis, ils considèrent qu’ils font partie de la famille d’Avraham. Ils sont en réalité, plus exactement, les enfants d’Avram.
Etant donné que les chrétiens ne sont plus circoncis (depuis le Concile de Jérusalem en 48) font-ils vraiment partie de la famille d’Avraham ? La réponse « halakhique » (selon la Torah) est nette : non. La circoncision a été abandonnée par les chrétiens parce qu’elle était synonyme d’acceptation du joug de la Torah (des 613 mitsvot), mais cela est erroné puisqu’on peut être circoncis sans être juif. Alors pour quelle raison les chrétiens décideraient-ils à nouveau de se circoncire ? Qu’est-ce qui pourrait les motiver à le faire ? Des arguments « laïcs » ? (hygiène, plaisir sexuel, santé, etc.) Ou des arguments spirituels ou religieux ?
En tout cas, Sarah et Avraham ont connu dans leur couple deux moments distincts : sans, puis avec la circoncision de l’époux. Au niveau spirituel, que signifierait la circoncision des chrétiens ? Cela signifierait qu’ils acceptent la soumission à Celui qui est non seulement le Dieu de l’humanité (Elohim) mais en premier le Dieu d’Israël (HaChem). Pour le moment les chrétiens rejettent le Dieu d’Israël justement parce qu’Il ne leur semble pas universel mais réservé au peuple juif.
Ils acceptent le Messie d’Israël mais sans Israël et son Dieu. Comment cette contradiction est-elle possible ? Comment le fait d’accepter le Messie d’Israël s’est-il transformé en religion séparée d’Israël ? Pour les juifs il est possible de reconnaître qu’un tel ou un tel est le Messie, mais cela ne peut en aucun cas signifier le rejet du Dieu d’Israël. Aussi, pour redevenir ce qu’ils étaient, les chrétiens sont naturellement conduits à revenir à leur source juive et par conséquent à retourner dans la Maison du Père, dans l’Alliance d’Israël.
Sarah s’est consacrée corps et âme à répandre l’idée d’un Dieu unique auprès de chaque personne qu’elle rencontrait. Avraham convertissait les hommes et Sarah les femmes (Rachi sur Béréchit 12,5). Sarah est le modèle de la femme qui répand le nom d’HaChem sur terre simplement en prodiguant du bien à chaque personne qu’elle rencontre. Ça ne fait pas de bruit, c’est discret et fécond. Pour œuvrer en faveur d’Israël, il n’est pas utile de faire beaucoup de bruit. C’est cela, la force cachée du youd partagé de Sarah. La gloire d’une princesse se trouve à l’intérieur.
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Complément : https://frblogs.timesofisrael.com/dina-fondatrice-de-la-treizieme-tribu/