Comment aider Delphine Horvilleur à raconter encore l’histoire de Pourim ?

La rabbin française Delphine Horvilleur pose lors d'une séance photo en marge du 1er congrès mondial de "Femmes dans le judaïsme", le 17 juin 2019, à Troyes. (Crédit : BERTRAND GUAY / AFP)
La rabbin française Delphine Horvilleur pose lors d'une séance photo en marge du 1er congrès mondial de "Femmes dans le judaïsme", le 17 juin 2019, à Troyes. (Crédit : BERTRAND GUAY / AFP)

Akadem a publié une interview de Madame Delphine Horvilleur sous le titre « la longue insomnie du 7 octobre ».

Sans en faire la critique systématique, il y a un passage qui m’a touché, c’est quand elle parle de la sa difficulté à présent pour enseigner l’histoire de Pourim. Voici la retranscription :

Depuis des jours et des jours je n’arrête pas de me demander, mais comment je vais enseigner Pourim cette année ? ça m’obsède de me demander comment je vais pouvoir enseigner une histoire – qui est pour moi une histoire narrative et littéraire… – mais comment se termine la Meguila ? Il arrive un moment où les Juifs ont le pouvoir, la bague qui avait été donnée à notre ennemi Aman est à présent donnée à Mordehai. Et il se passe quoi dans le chapitre 9 ? ils trucident une ville entière, et comme si ça ne suffisait pas, ils demandent d’en rajouter.

En effet, Esther demande au Roi de pouvoir avoir une deuxième journée pour se défendre des habitants de Suse.

Sans revenir sur la nature de la Méguila remise en question d’un revers de main, ce n’est pas le sujet du jour. Mon objectif est simplement d’aider une femme qui enseigne à ses enfants et à sa communauté, un récit qui se fait difficile à narrer.

Juste avant, j’ai envie de lui demander comment faisait-elle avant ? Car ici, elle pose deux questions :

  • Comment les Juifs se comportent-ils quand ils sont eux-mêmes au pouvoir ?
  • L’envie de vengeance n’est-elle pas dans le registre des sentiments qu’il faut absolument rejeter ? Et le fait de demander une deuxième journée pour se défendre « comme si ça ne suffisait pas » n’est-ce pas là une moralité qu’il faut questionner ?

Je vais vous dire la vérité, j’ai pris le temps d’ouvrir le livre de Esther – et c’est bien la première fois de ma vie que je passe si vite de la Méguila de Eikha que nous lisons le 9 Av, à celle de Esther, pour voir ce qu’il s’y dit.

J’ai été surpris par le manque de précision de Madame Horvilleur, car quand on dit « ils trucident une ville entière », on se dit qu’il s’agit ici de plusieurs centaines de milliers de morts, voire au moins plusieurs milliers. Mais la Méguila dit ceci « Le Roi dit à la reine Esther : « À Suse, la capitale, les Juifs ont tué et exterminé cinq cents hommes ainsi que les dix fils d’Aman: que n’auront-ils pas fait dans les autres provinces du Roi ! As-tu encore une demande à présenter, elle te sera accordée ; un souhait à exprimer, il sera réalisé ».

Donc à Suse qui était la capitale où dont l’antisémitisme faisait rage, se sont dressés contre les Juifs 500 hommes, et ils ont été tués, en y incluant les 10 fils de Aman.

Puis, il est vrai que la demande de la reine Esther était : « Si tel est le bon plaisir du Roi, qu’il soit permis aux Juifs, dans Suse, de faire demain encore ce qu’ils ont fait aujourd’hui, et que les dix fils d’Aman soient pendus à la potence ».

Et pour quelle raison demanda-t-elle ceci ?

Le commentateur Emmanuel de Rome (13ème siècle) explique : « Elle dit que cela lui serait également donné demain, parce qu’elle estimait peut-être qu’il restait à Suse certains de ses ennemis qui n’avaient pas été tués ».

Le Malbim, fameux commentateur du 19ème, explique que l’objectif était de montrer que l’interdiction de toucher aux Juifs n’était pas limitée dans le temps, mais que les Juifs pouvaient se trouver en droit de se défendre même en dehors de la date en question.

Il y a là ni sentiment de vengeance, ni envie de tuer froidement, juste le devoir de se protéger et de montrer qu’il n’est pas possible de s’attaquer impunément aux Juifs.

J’ajoute une dernière rectification:

En expliquant le contexte par « il arrive un moment où les Juifs ont le pouvoir, la bague qui avait été donnée à notre ennemi Aman est à présent donnée à Mordehai », elle laisse entendre que la bascule du pouvoir d’une main à l’autre provoque la tentation de se comporter comme l’autre. En d’autres termes, Aman voulait exterminer les Juifs et voici que quand les Juifs ont eu le pouvoir, ils ont fait comme lui.

Sans rentrer dans les détails, cette phrase n’a pas sa place, et pour une raison très simple : Aman voulait faire un génocide, tuer les hommes, les femmes et les enfants pour la seule raison qu’ils sont Juifs. Jamais Mordehai n’a eu une telle idée, la seule chose qu’il a demandé c’est de pouvoir se défendre. Et le nombre de morts – relativement faible dans un royaume entier – montre que jamais il n’a été question d’avoir l’ombre des idées maléfiques de Aman.

J’espère qu’il lui sera à présent possible de continuer à enseigner ce récit dans le texte, tout simplement.

à propos de l'auteur
Mendel est diplômé du Séminaire Israélite de France. Il est rabbin de Strasbourg en charge de la Synagogue de la Meinau. Egalement délégué après des institutions européennes pour le compte de la conférence des rabbins d’Europe. Il traitera ici de questions religieuses et d'actualité
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