Yom hazikaron en israël : un jour du souvenir un peu particulier…
Il est 20 heures ce dimanche 12 mai. Sur le vol El Al qui nous ramène de Tel Aviv, tous les passagers se lèvent pour respecter la minute de silence qui, au même moment, immobilise les Israéliens dans les voitures, les maisons ou les rues. C’est le début de Yom Hazikaron, la journée du souvenir aux morts de toutes les guerres que le pays a dû mener et aux victimes du terrorisme. Le lendemain dans la journée, des millions d’Israéliens iront dans les cimetières, même s’ils ont la chance de ne pas avoir perdu de membre de leur famille ; ils écouteront dans les préaux des écoles de leurs enfants les histoires des anciens élèves tués au combat ou assassinés dans un attentat. Debout dans l’avion, nous avons tous les mêmes pensées, la même blessure et les mêmes angoisses.
Demain soir commencera Yom Haatzmaout, le jour de l’indépendance, sans parade militaire, sans feux d’artifice et sans barbecue familial. Qui en Israël a le cœur à faire la fête ?
Le jour de Yom Hazikaron, des roquettes sont tombées dans les champs près de Sderot. Elles n’ont pas déclenché le Dôme de Fer, mais leur message est clair : après sept mois de guerre, le Hamas n’est pas détruit.
Il faut être lucide, la situation est inquiétante, et si je m’en limite au Hamas, sans même évoquer le Hezbollah, l’Iran et le nord d’Israël, les objectifs proclamés avec beaucoup d’assurance au début de la guerre n’ont pas été atteints : ni Sinwar, ni Mohamed Deif n’ont été éliminés. À quelques exceptions près, Tsahal n’a pas pu libérer directement d’otages, dont on ne sait aujourd’hui combien sont encore vivants. La détresse des familles est épouvantable, et on sent que pour certains Israéliens, au-delà des discours convenus, et sans qu’ils veuillent l’admettre, le sort des otages n’est plus au premier plan.
Des tiraillements fissurent la confiance envers les États-Unis, l’allié vital. La polémique récente suivant laquelle ceux-ci n’ont pas informé les Israéliens que Sinwar se cacherait encore à Khan Younes, que l’armée israélienne a pourtant déjà fouillé, et pas à Rafah, soulignerait aussi un échec supplémentaire des services secrets israéliens.
L’ambiance en Israël est donc lourde. Tel Aviv n’est pas tout le pays, et mes conversations avec les chauffeurs sont un médiocre baromètre, mais depuis mes visites précédentes, l’exacerbation des divisions est évidente, entre les colères contre le gouvernement d’un côté, et les vitupérations contre les gauchistes de l’autre.
Cependant, les avis des Israéliens, quelles que soient leurs opinions politiques, concordent : on ne doit offrir au Hamas aucune victoire, fût-elle symbolique. Or, se présenter comme le maître des horloges, ainsi qu’il l’a fait au cours des négociations récentes sur les otages et faire croire qu’il acceptait un accord alors même qu’il en dévoyait les conditions, donne à ses sympathisants l’image d’un mouvement courageux et malin, palliant sa faiblesse militaire par son agilité tactique. Autrement dit, dans le narratif victimaire antisioniste en noir et blanc, l’image d’un héros dont la sauvagerie passe pour de la vaillance.
Contrairement à ce que prétendent les bonnes âmes humanistes, ce sont les victoires du Hamas, symboliques ou non, et fussent-elles ignobles, qui lui attirent des militants, et pour ceux qui douteraient de cette évidence, il y a le discours du délégué qatari à la Ligue arabe[1], un proche de l’Émir, qui a déclaré que le 7 octobre n’était qu’un hors d’œuvre étant donné que les Juifs, c’est bien connu, sont les ennemis de l’humanité. Comme médiateur impartial, on devrait faire mieux que le Qatar…
Bien sûr, l’absence de projet crédible sur l’avenir de cette patate chaude qu’est l’enclave de Gaza, dont personne ne veut se charger, est un obstacle considérable pour les militaires israéliens, contraints de retourner dans les zones où le Hamas s’est réinstallé. Mais il en est ainsi, ne pas savoir ce qui adviendra le jour d’après ne doit pas empêcher de faire son travail le jour d’avant c’est-à-dire mettre le Hamas hors d’état de nuire.
Israël livre aujourd’hui une guerre existentielle, contre des ennemis impitoyables, dont beaucoup de gens qui se disent attachés à la liberté ne veulent pas voir que ce sont aussi leurs ennemis. Mais, contrairement aux Juifs de l’Histoire, les Israéliens ont les moyens de se battre. Ils en ont aussi la volonté. Ce sont des jeunes qui sont venus s’enrôler spontanément alors qu’ils étaient à l’extérieur du pays. Ce sont des jeunes qui vont dans les cimetières le jour du Souvenir. Ce sont des Israéliens de toutes origines et de tout âge qui se sont conduits héroïquement le 7 octobre. C’est toute une société qui s’est levée contre la barbarie et seuls en disconviennent les crétins au cerveau embrouillé par les suicidaires idéologies à la mode. C’est toute une société civile qui a montré sa détermination dans un pays où les motifs de colère sont légion, les antagonismes massifs et les calculs politiciens égoïstes encore plus insupportables qu’ailleurs.
Les histoires des victimes du 7 octobre révèlent d’innombrables actes de courage et parfois d’abnégation.
Cela s’appelle le patriotisme, un mot banni du vocabulaire des universalistes sans boussole, et dont à l’Eurovision la chanteuse Eden Golan nous a donné un bel exemple la semaine dernière.
Le fait que le public de 15 pays sur 25 lui ait accordé la note maximale montre que derrière les vociférations haineuses et souvent téléguidées, Israël n’est peut-être pas aussi seul qu’il ne le paraît.
Article paru sur le site du CRIF le 16/05/2024. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.