Volker Ulrich, 8 jours en mai. L’effondrement du IIIe Reich
Comment fut reçue ou actées la disparition du IIIe Reich ? Cette question paraît oiseuse et pourtant la réponse apportée met le doigt sur une réalité qui aurait pu épargner à la population civile allemande et aux soldats alliés tant de pertes en vies humaines et de destructions…
Ce sujet était resté inaperçu par la majorité des historiens qui auraient dû relever le fait suivant : entre le suicide d’Hitler le 30 avril 1945 et la signature de la capitulation sans condition du régime nazi, huit jours fatidiques s’étaient écoulés. Huit jours au cours desquels, le désastre prenait une ampleur inégalée, et inimaginable…
Que s’est-il passé durant cette semaine fatidique, huit jours après le suicide du dictateur sanguinaire ? C’est ce que nous apprend ce livre si riche et si bien documenté, écrit par un grand spécialiste allemand de la question. Chacune de ces journées décisives est examinée à la loupe par l’auteur qui a eu l’intelligence de faire précéder toutes ces analyses par un long prologue fourmillant de détails dont certains sont inédits. Il a exploité les témoignages directs ou oculaires, puisés dans les journaux intimes dont les Allemands ont toujours été très friands, brefs il a donné à son ouvrage une valeur considérable.
Dans son long prologue, l’auteur évoque un Hitler diminué physiquement, plus voûté qu’à l’ordinaire, un tyran qui a annoncé son intention de mettre fin à ses jours, mais qui a tenu à faire ses adieux à ses collaborateurs civils et militaires les plus perches, avant de mettre son projet à exécution. Le Führer recommande à ses auditeurs de prendre la fuite par petits groupes et de rejoindre au plus vite les lignes américaines ou anglaises afin de ne pas tomber entre les mains des forces soviétiques dont la vengeance notamment concernant les viols de femmes, sera atroce… Hitler transmet à l’un de ses plus fidèles serviteurs l’ordre de veiller à la crémation de son cadavre afin de ne pas être exposé sur la Place Rouge à Moscou par les vainqueurs.
De son vivant, le dictateur avait désigné comme successeur le Grand-Amiral Karl Dönitz qui tenta, sans succès, d’enfoncer un coin entre les alliés occidentaux et les soviétiques. Il apparait, qu’après la mort de leur chef, les seconds couteaux du régime, comme Himmler, par exemple, avaient tenté de déployer des efforts dans la même direction. En vain.
Sont évoqués aussi les lamentations de Magda Goebbels qui ne conçoit pas de vie pour ses nombreux enfants en dehors du régime nazi. Je pense qu’elle craignait plutôt le sort réservé à son mari après la défaite…
Le sous-titre de livre, l’effondrement du IIIe Reich est très bien choisi car c’est de cela qu’il s’agissait : alors qu’Hitler avait conquis et martyrisé presque route l’Europe au profit du Reich, ce dernier s’est fracassé en de multiples décombres. Comment signifier en même temps à toutes les provinces l’arrêt des combats et la capitulation à toutes les armées du Reich dont certaines voulaient honorer jusqu’à leur dernière goutte de sang leur serment de fidélité à Hitler ?
Aucun détail n’est oublié, exemple parfait de la Gründlichkeit (méticulosité) allemande où on va jusqu’au bout, dans le moindre détail. Ainsi, pour accomplir la mission dictée par le dictateur, on se mit par avance en quête de deux jerrycans d’essence pour la création des cadavres de Hitler et d’Eva Braun que le dictateur avait enfin épousée peu auparavant. Le lecteur lira même qu’on ne réussit pas à allumer le feu du premier coup ; il fallait aller très vite car les fantassins soviétiques n’étaient plus qu’à un jet de pierre de la nouvelle chancellerie…
Passons à présent à l’analyse de cette semaine fatidique qui va du suicide d’Hitler le 30 avril au 8 mai, date de la signature de la capitulation allemande et la fin officielle des combats.
La nouvelle du suicide d’Hitler ne fut connue que des rares témoins sur place dans la chancellerie. Même le Grand-Amiral Dönitz avait rédigé une lettre obséquieuse à l’intention d’Hitler et lui parle comme s’il était encore du monde des vivants, signe qu’on lui avait caché le suicide du tyran. En cette même journée du 1er mai 1945, les généraux en poste à la chancellerie prirent contact avec le général soviétique commandant la Ier armée pour parler de la suite des événements.
Le général soviétique prétendit avoir eu la nouvelle du suicide par d’autres canaux, mais c’était faux. La petite délégation allemande, accompagnée d’un major russe, lequel fut grièvement blessé par des tirs en pleine nuit, avançant dans des ruines pour accéder au lien du rendez-vous avec le général russe.
La délégation allemande n’était pas habilitée à négocier, elle donna simplement lecture du plan de Goebbels, désigné par Hitler comme chancelier du Reich. Les Russes rejetèrent les tentatives de débauchage et refusèrent toute paix séparée, ils exigeaient même une capitulation sans condition aucune. Le nouveau chancelier poussa de hauts cris et refusa d’apposer son paraphe au bas d’un document mentionnant une telle clause…
Lorsque le Grand-amiral apprit enfin la nouvelle et surtout qu’il avait en main toutes les cartes, il s’autorisa quelques changements dans le gouvernement qu’Hitler avait préparé à titre posthume…
Du côté soviétique, lorsqu’on apprit la nouvelle (qui n’avait toujours pas été diffusée) les généraux firent remonter l’information par la voie hiérarchique jusqu’à Staline. Lequel répondit que ce salaud n’avait eu que ce qu’il méritait (sic). Il s’enquit aussi du devenir du corps d’Hitler…
En gros, en ce premier mai 1945, des unités combattantes allemandes poursuivaient la lutte selon des ordres de marche du nouveau chef, le Grand-Amiral. L’idée du Grand-Amiral était de sauver ce qui pouvait l’être, sans nourrir d’espoir insensé. Lors de son allocution à la radio d’État pour annoncer la disparation du chef nazi, Dönitz encensa son défunt patron, disant qu’il était tombé dans son combat sans merci contre le bolchevisme ; Hitler avait tenté d’échapper à sa responsabilité écrasante dans ce qui était arrivé à l’Allemagne ; cette fuite, ce refus d’assumer la responsabilité dans la catastrophe furent présentés comme un acte héroïse suprême. A la fin de son allocution, le nouveau président du Reich (fonction supprimée par Hitler après la mort du maréchal Paul von Hindenburg) s’autorisa même d’une référence à Dieu, appelé à être témoin des souffrances et du malheur accablant le peuple allemand…
Un épisode particulièrement pénible et douloureux est conté par le menu dans cette première journée : il s’agit des préparatifs de Magda Goebbels qui veut tuer ses six enfants en les empoisonnant. Même le médecin d’Hitler n’ose pas commettre un tel acte barbare ; qu’à cela ne tienne, Magda sollicite quelqu’un d’autre. Seule la fille aînée, âgée de 12 ans, a pleuré car elle avait compris ce qui se tramait dans la chambre. Ce régime avait vraiment produit des monstres. Ne même pas avoir pitié du fruit de ses entrailles prouve que le nazisme était une abomination…
Passons aux journées suivantes qui allaient sceller le sort de ce pays vaincu par une coalition mondiale. Dans ses Mémoires traduites en allemand après la guerre, Churchill souligne l’âpreté des combats pour désarmer et vaincre ce pays si puissant (bevor dieser furchtbaren Hand das Schwwert entwunden wurde…)
Impossible de passer en revue de manière détaillée, toutes ces journées au cours desquelles le pays vaincu et en ruines allait basculer dans l’abîme.
Le 2 mai, quelle fut la réaction de la population et de l’armée à l’annonce du suicide d’Hitler ? L’impression générale qui prévalut fut l’indifférence. Certains témoins qui apprirent la nouvelle s’étonnèrent de cette réaction. Un officier de la Wehrmacht, en poste au Danemark, déjeunait dans une auberge. La nouvelle fut connue mais n’attira pas de réaction, comme si le patron avait annoncé la mort d’une de ses bêtes… Hitler avait joué son rôle, maintenant c’était fini. Les témoins ne s’attendaient pas à cela, en raison du culte dont avait bénéficié le dictateur de son vivant.. Cela faisait penser à la fin d’un triste épisode. L’officier note que seul un jeune soldat fit le salut nazi.
On lit dans ce livre, au tout début du jour du suicide, une controverse autour d’un ouvrage de Willy Brandt, à cette époque journaliste allemand réfugié en Norvège. En gros, il étendait l’accusation de criminels de guerre à la quasi-totalité de la population allemande, ce qui suscita des réactions. C’état le temps où l’on parlait tant de la responsabilité collective du peuple allemand…
Les actes de résistance avaient été très rares et l’attentat de juillet 1944 avait échoué. La question reste toujours très disputée. Mais la chose qui importait le plus était que cette mort annonçait la fin de la guerre. Certains éléments plus impliqués dans la démarche politique ou idéologique du pays rendirent hommage à Hitler, avec des articles de presse intitulés, Un grand homme nous a quittés…
Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est le rejet de la responsabilité de la défaite finale sur le peuple allemand qui n’a pas vraiment consenti les sacrifices nécessaires pour accéder à la victoire finale. Au fond, ces gens considéraient que Hitler était trop bien pour ce peuple borné et limité. Ainsi cette phrase incroyable sur les raisons de l’échec : Hitler scheiterte am Mesnschen, il a échoué à cause des insuffisances de la nature humaine…
En gros, ce fut un incompris, un homme en avance sur son temps ! Ce qu’on a peine à croire ou alors il faut se souvenir de l’adage selon lequel seule la défaite est orpheline, la victoire, elle, a de nombreux pères !
Impossible de détailler les mesures prises dans l’urgence par le Grand-Amiral devenu le chef suprême. Comment se faire obéir des forces d’occupation allemande stationnées dans toute l’Europe et encore en état de se battre ? Il fallut que tous les commandants de l’Europe du nord, par exemple, se rendent dans le réduit occupé le gouvernement légitime afin de recevoir les ordres de capitulation. Et ce ne fut pas chose aisée, les haut-gradés avaient déjà commencé à prendre contact avec les forces britanniques discrètement, lesquelles réussirent à faire déclarer la ville de Hambourg, ville ouverte…
Mais l’auteur revient les viols massifs commis dans l’agglomération berlinoise, que même les officiers russes ne parvenaient pas à reprendre leurs troupes en main. Quelques rares témoignages d’humanité furent signalés, mais ce sont les enfants que les soldats de Moscou traitèrent de manière satisfaisante, les comblant de sucreries et de chocolat.
Le plus grand défi qui se dressait sur la route du Grand-Amiral tenait au démembrement du pays et des unités combattantes. Le nouveau leader tentait d’éviter par tous les moyens à sa disposition l’effondrement de son administration et surtout l’efficacité des débris de son armée, répandue sur tout le continent européen. Chaque journée entre le Ier et le 8 mai 1945 voyait s’amenuiser l’espoir d’un redressement. Jusqu’à la dernière minute Dönitz pensait qu’une dernière armée providentielle parviendrait à sauver le secteur de Berlin et permettrait d’border les négociations avec les alliés dans de meilleures conditions.
D’après ce que je peux lire dans ce livre, de l’intérieur même des voix se faisaient entendre pour dire que la disparition d’Hitler signifiait la fin d’une guerre épuisante et qui laissait le pays exsangue. C’était presque une bonne nouvelle. Il fallait penser au lendemain et à la reconstruction. Éviter les épidémies, la famine, l’insécurité, l’impossibilité de communiquer même pour la population, inquiète du sort de ses proches… Bref, la raison d’être de la guerre, pour ainsi dire.
Dans un long épilogue, l’auteur examine es mesures prises dans les décennies de l’après-guerre afin de reconstruire l’Allemagne. Le pays fut occupé par les alliés tandis que les communistes allemands sous la conduite de W. Ulbricht s’aménageaient un espace indépendant, mais soumis aux Russes. Pour la population civile, un long calvaire commençait. Confrontées aux crimes atroces commis par le IIIe Reich, les Allemands connurent à leur out, les privations et la captivité.
On prit part au dépeçage du pays , divisé en différents secteurs. La suite est connue : la RFA prit naissance mais survécut à la DDR qui n’avait aucun autre soutien que celui de Moscou. Parallèlement à ces bouleversements en Europe, la Shoah infligea une signée à blanc (Léo Baeck) au judaïsme. Et enfin, l’état d’Israël fut créé. Peut on parler d’une compatibilité entre l’identité juive et la culture européenne…