Vœux

Colombe. Illustration.
Colombe. Illustration.

Difficile de formuler des vœux pour un pays violé.

Pour un pays trahi dans sa vocation première, la protection de sa population.

Pour un pays encore dans la sidération. Sidération d’avoir subi, totalement brusquement, une nouvelle fois, la sauvagerie innommable des pogroms d’antan. Sur son territoire.

Difficile d’exprimer des souhaits de nouvelle année pour un pays en deuil de ses morts massacrés. Dans l’angoisse du sort des otages encore aux mains des barbares.

Pour un pays engagé dans une guerre obligée, à la vie à la mort. Sur un triple front. Confronté au décompte quotidien de ses soldats tués, blessés. Aux conséquences sociales, économiques, financières de cet engagement.

Pour un pays devant faire front à la crise humanitaire liée inévitablement à toute guerre. A l’opprobre hypocrite et aux condamnations orientées.

Difficile…. Mais, justement, Jonathan l’avait compris, toute sa petite troupe tenait à maintenir la tradition. Pour réconforter l’émotionnel. Pour conforter le rationnel.

Tous réunis dans la douceur de l’après-midi, ils témoignèrent tous, tour à tour, chacun dans son style, sans mélodrame, de leur volonté de faire gagner la vie.

L’expert-comptable, rondouillard et binoclard, ouvrit la séance. Ce drame, à rebours, a soudainement mobilisé la jeunesse. Elle, qu’on disait semi perdue, s’est révélée présente, rassemblée, motivée, solidaire, magnifique. L’avenir lui appartiendra. Dimension positive qu’a immédiatement complété la jeune et blondinette stagiaire avocate. Ce qu’elle a vu, lu, rencontré, c’est aussi le contraire de ce que l’on craignait, une solidarité, même passive, mais solidarité tout de même, de la population arabe israélienne face au tragique de l’évènement. Une autre force d’avenir trouve confirmation. Le policier, cheveux court et barbe fournie, fit lui un retour vers le futur. La défaillance politique, militaire, du renseignement permettant le désastre du 7 octobre est trop énorme pour être ignorée. Il faut savoir pour réparer. Et pour punir. Il faudra, sans hargne, sans parti-pris, mais sans tabou, savoir vite. Le libraire, échevelé, lunettes dangereusement sur le bout de son nez, déclina, lui, la nécessité de faire comprendre, qu’à côté de la menace militaire directe vers Israël, se révèle une menace plus souterraine de l’islamisme radical vers l’ensemble du monde occidental. L’Occident devra devenir plus conscient et plus solidaire du pays. La coiffeuse, tout sourire, boule d’énergie, ex Bibi assumée, proposa, au vu des « chikayas » poursuivies en ces temps de guerre, que le Premier ministre soit gratifié, à l’issu du conflit, d’un séjour longue durée sur une ile déserte avec sa charmante épouse et son fils favori. La professeure de yoga, légère et courte vêtue, imagina que pour faire cesser les exactions multiples et de plus en plus graves des colons extrémistes dans des avant-postes illégaux en Cisjordanie, un territoire particulier leur soit attribué dans le Néguev. Avec, les deux ministres extrémistes religieux du présent gouvernement, ressourcés pionniers chefs. Revenant dans un registre plus sérieusement politique, le très digne assureur, de sa voix très profonde, ne suggéra pas mais carrément prédit qu’une entité palestinienne, potentiellement étatique, verrait le jour. Intégrant Gaza et la Cisjordanie dans une même structure, sur quasi injonction américaine, accompagnée par les Etats de l’accord d’Abraham et par l’Europe, sous la houlette d’un Mandela nouveau, type Mansour Abbas. Libérée de corruption, d’idéologie de reconquête, centrée sur les basiques, santé, éducation, économie, technologie, agriculture….Prédiction prolongée par l’attaché du consulat belge, qui lui, chemise ouverte sur son large buste, annonça que 2024 verrait certainement la pression internationale contraindre le Hezbollah à suivre la résolution numéro « il ne savait plus lequel », d’un repli à une trentaine de kilomètres de la frontière nord d’Israël. Le chauffeur de bus, vétéran de nombreuses guerres, casquette toujours vissée basse sur les yeux, dit ne pas oser mais seulement espérer de toute son âme que les otages pourraient profiter d’une démarche renouvelée d’arrêt de la guerre pour être libérés, sains et saufs. La jeune étudiante, voix claire et ferme, fit plus qu’espérer, elle réclama que cette nouvelle année voit l’élimination militaire et politique du Hamas, qu’un plan de rénovation des localités détruites le 7 octobre soit immédiatement mis en œuvre, que les populations déplacées soient soutenues, que les étudiants retrouvent leurs études. Le vieux cuisinier, qui en avait vu d’autres et, disait-il, en était revenu, évoqua « le grand lessivage ». Suivant l’adage qu’on ne peut pas garder les mêmes et faire autre chose, il dit voter pour le grand remplacement de la classe politique, des responsables militaires et du renseignement, pour une « renaissance » du pays.

Difficile d’ajouter d’autres vœux à un répertoire déjà aussi fourni. Jonathan, à son tour, se résolut à évoquer l’opportunité, née de fait du drame absolu du 7 octobre, de retrouver les principes de base du sionisme original. Débarrassé des excès de l’idéologie, nourri des expériences vécues, bonnes et mauvaises. Replaçant Israël au pinacle des nations du monde. Souhaitant, pour sa part qu’on puisse de nouveau, paraphraser pour parler d’Israël, les paroles prononcées à la réception de la croix d’officier de la Légion d’Honneur par William Faulkner.

« Un artiste doit recevoir avec humilité cette dignité conférée a lui par ce pays lequel a toujours été la mère universelle des artistes.
Un Américain doit chérir avec la tendresse toujours chaque souvenir de ce pays lequel a toujours été la sœur d’Amérique.
Un homme libre doit garder avec l’espérance et l’orgueil aussi l’accolade de ce pays lequel était la mère de la liberté de l’homme et de l’esprit humain. »

à propos de l'auteur
Fort d'un triple héritage, celui d'une famille nombreuse, provinciale, juive, ouverte, d'un professeur de philosophie iconoclaste, universaliste, de la fréquentation constante des grands écrivains, l'auteur a suivi un parcours professionnel de détecteurs d'identités collectives avec son agence Orchestra, puis en conseil indépendant. Partageant maintenant son temps entre Paris et Tel Aviv, il a publié, ''Identitude'', pastiches d'expériences identitaires, ''Schlemil'', théâtralisation de thèmes sociaux, ''Francitude/Europitude'', ''Israélitude'', romantisation d'études d'identité, ''Peillardesque'', répertoire de citations, ''Peillardise'', notes de cours, liés à E. Peillet, son professeur. Observateur parfois amusé, parfois engagé des choses et des gens du temps qui passe, il écrit à travers son personnage porte-parole, Jonathan, des articles, repris dans une série de recueils, ''Jonathanituides'' 1 -2 - 3 - 4.
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