Vivre-ensemble : la pertinence du contrat entre les dirigeants politiques et le peuple

L'ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'adressant aux membres du parti d'opposition de droite, à la Knesset, le parlement israélien, à Jérusalem le 14 juin 2021. (AP Photo/Maya Alleruzzo, Fichier)
L'ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'adressant aux membres du parti d'opposition de droite, à la Knesset, le parlement israélien, à Jérusalem le 14 juin 2021. (AP Photo/Maya Alleruzzo, Fichier)

Excepté Machiavel (Le Prince, 1513) qui prône le cynisme politique, les plus grands penseurs du politique en Occident depuis la Renaissance soulignent l’importance fondamentale d’un contrat entre le souverain et le peuple.

Les théories et interprétations peuvent varier, mais l’idée générale est que pour être légitime le pouvoir du souverain dépend du consentement ou de l’approbation du peuple. Or, on remarquera que de plus en plus de dirigeants politiques à l’heure actuelle préfèrent suivre les préceptes de Machiavel, plutôt que d’appliquer les recommandations d’un Montesquieu, Locke ou Rousseau.

Pour Machiavel, pas de contrat avec le peuple, la fin justifie les moyens – selon la formule consacrée. Le souverain peut recourir à des moyens immoraux pour atteindre ses objectifs. Il considère que la politique est un jeu de pouvoir où la ruse, la manipulation et la force sont nécessaires pour maintenir le contrôle et la stabilité. Le mensonge ne pose pas de problème, Machiavel part du principe que les individus sont égoïstes, ambitieux et prêts à utiliser tous les moyens pour atteindre leurs buts. Selon Machiavel, la nature humaine est corrompue et le souverain doit être prêt à agir de manière calculée et opportuniste pour préserver son pouvoir et maintenir l’ordre. Des idées politiques qui justifient la tyrannie.

Une pratique politique bien éloignée des idées de Rousseau (Du Contrat Social, 1762). Rousseau soutient que la souveraineté réside dans le peuple et que le pouvoir politique doit être exercé par la volonté générale. C’est-à-dire, tenir compte de l’intérêt collectif plutôt que des intérêts individuels. Le contrat social est un pacte volontaire entre les individus. Ils renoncent à certains droits individuels en échange de la protection de leurs droits fondamentaux par la communauté. Chaque individu doit être libre. Et la liberté est garantie par la volonté générale. Dans cette perspective, Rousseau soutient que la démocratie directe est la meilleure forme de gouvernement, où les citoyens participent activement à la prise de décision politique. À noter, Rousseau souligne également l’importance de l’égalité entre les citoyens. Il considère que tous les individus doivent avoir des droits et des devoirs égaux. Cela dit, il souligne que la volonté générale ne doit pas être confondue avec la simple volonté de la majorité ; elle doit prendre en compte les droits des minorités. Il va sans dire que la volonté générale ne doit pas être manipulée ou déformée par des intérêts particuliers, elle se doit de refléter le Bien Commun.

Pour John Locke (Deux traités du gouvernement civil, 1690), le contrat social met davantage l’accent sur la protection des droits naturels des individus plutôt que sur une renonciation de leurs droits. Selon Locke, les individus sont dotés de droits naturels inaliénables tels que la vie, la liberté, et la propriété. Et s’ils acceptent de former une société civile et de se soumettre au gouvernement, c’est d’abord et avant tout pour protéger ces droits. Si le gouvernement échoue à remplir cette finalité, le peuple a alors le droit de se rebeller.

Aux antipodes de Machiavel, citons également Kant (La Métaphysique des mœurs, 1797) pour qui les individus doivent renoncer à certains de leurs droits naturels et accepter des lois justes et équitables pour vivre en Société. Un contrat basé sur le principe moral de respect mutuel et de justice.

Et puis dans l’État actuel des choses, comment ne pas citer Montesquieu dont le Premier ministre Netanyahou a mentionné le nom il y a quelques mois pour justifier sa “réforme judiciaire”. Il y avait de quoi être abasourdi, lorsque l’on sait que Montesquieu (De l’esprit des lois, 1748) met justement l’accent sur la séparation des pouvoirs. Le philosophe soutient, en effet, que pour éviter les abus de pouvoir, il est essentiel de diviser le pouvoir entre des organes distincts et indépendants, à savoir le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire. Cette séparation permet de maintenir un équilibre et de protéger les libertés individuelles. Selon Montesquieu, le pouvoir du souverain doit être limité et contrôlé pour éviter les abus. Le peuple doit donc participer à la formation des lois et avoir la possibilité de résister à un gouvernement tyrannique.

Enfin, pour souligner l’importance cruciale du contrat social afin de préserver la cohésion d’une société en établissant des règles et des normes qui régissent les relations entre les individus et entre les individus et l’État, comment ne pas citer Hobbes (Léviathan, 1651), souvent considéré comme un penseur politique conservateur en raison de sa vision autoritaire et centralisée du pouvoir. Selon Hobbes, le contrat social est en fait un contrat de domination. Dans l’état de nature, “l’homme est un loup pour l’homme”, c’est “la guerre de tous contre tous”. Une situation dans laquelle chaque individu est en conflit permanent avec les autres pour protéger ses intérêts. Comment sortir de cet état de guerre perpétuel ? Comment remédier à cette situation dans laquelle les individus sont en proie à la violence et à l’insécurité constantes ? La solution pour Hobbes : créer un Super Loup. Tous les loups renoncent à leurs crocs individuels pour les confier à un souverain absolu, chargé de maintenir la paix et l’ordre dans la société. En échange les citoyens bénéficient d’une protection contre les violences et les conflits qui caractérisent l’état de nature. Le souverain a le droit d’imposer des lois et de punir ceux qui les enfreignent afin de garantir le respect des obligations contractuelles. Reste, et c’est là le point fondamental dans ce contrat de domination : si le souverain rompt le contrat et n’assure pas l’ordre et la sécurité, il devient un gouvernement illégitime, et le peuple a non seulement le droit mais le devoir de renverser un tel souverain.

à propos de l'auteur
Docteur en philosophie de l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne) Ancien journaliste à Kol Israël (Kan) et au journal en ligne Proche-Orient.Info
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