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Vers une libération de la parole antisémite?

David craint que la parole antisémite ne se soit démocratisée dans le contexte de la dernière guerre de Gaza

La chaîne de télévision publique canadienne RDI (le Réseau de l’information de Radio-Canada) diffusait récemment une tribune téléphonique invitant les téléspectateurs à exprimer leur opinion sur le soutien robuste du gouvernement canadien au droit d’Israël de défendre sa population contre les tirs de missiles des djihadistes palestiniens à Gaza.

Or, plusieurs des téléspectateurs qui ont appelé le studio pour exprimer en ondes leur point de vue n’ont pas hésité à assimiler « les Juifs » aux « nouveaux Allemands ». Ils ne s’embarrassaient même pas de la feuille de vigne rhétorique de la « nouvelle judéophobie » qui consiste à substituer « Juifs » à « sionistes ».

Placidement, l’animateur remerciait chaque participant d’avoir appelé et se félicitait de la « diversité » des points de vue exprimés. A aucun moment l’équipe de production de l’émission qui filtre les appels du public avant de leur donner l’antenne n’a-t-elle jugé opportun de faire un rappel à l’ordre. Pire encore, l’animateur a même lu en ondes le message électronique d’un téléspectateur assimilant les Juifs aux nazis, privant du coup la chaîne de l’alibi de la spontanéité des appels en direct pour se dédouaner de ces intolérables dérapages.

Dire que le nazisme incarne le mal absolu dans la conscience collective occidentale relève du truisme. Aussi n’est-ce pas un hasard que le sophisme de choix des polémistes en mal d’arguments pour anéantir la crédibilité et la réputation de leurs adversaires consiste à les assimiler au nazisme. Lorsqu’on assimile « les Juifs » aux « nazis », non seulement retourne-t-on odieusement le génocide nazi contre ses victimes, mais on renoue avec le discours antisémite et anti-judaïque classique de la diabolisation absolue des Juifs.

Il y a quelques jours, un célèbre chroniqueur était l’invité de Radio X, une station radio privée montréalaise. Préfaçant son commentaire sur le conflit Israël-Hamas d’un retour historique sur la fondation de l’État d’Israël, il affirma que les Juifs, en prenant le contrôle économique des pays où ils vivent, « suscitent la haine des nations locales » et se sont ainsi attirés l’ « Inquisition » et « Hitler ». Puis, dans une accusation tributaire du tristement célèbre faux antisémite, les « Protocoles des Sages de Sion », il avança que par leur poids financier et leurs « menaces », les Juifs, de Paris à Montréal, en passant par New York, transformaient les gouvernements en « marionnettes » , tandis que les animateurs de l’émission acquiesçaient béatement.

La libération de la parole antisémite lors de conflits armés au Moyen-Orient n’est rien de neuf au Québec, comme ailleurs. En revanche, que l’expression désinhibée de sentiments antisémites se déplace de la marge de notre société au centre de la sphère publique constitue un nouveau phénomène inquiétant observable au Québec depuis la Seconde guerre du Liban en 2006.

Le phénomène est d’autant plus inquiétant qu’il semble être reçu dans une indifférence générale croissante, voire le déni. Alors qu’aujourd’hui ces dérapages antisémites sont passés virtuellement inaperçus, il y a seulement 2 ans, au milieu de l’opération Pilier de défense, un dérapage semblable avait provoqué une onde de choc considérable lorsqu’un animateur de radio avait incité une auditrice à se lancer dans une diatribe antisémite célébrant la Shoah comme « la plus belle chose qui pouvait arriver [dans] l’histoire». La station de radio avait pris des mesures disciplinaires à l’encontre de l’animateur.

En revanche, interrogé hier par le quotidien torontois The National Post, le porte-parole de Radio-Canada Marc Pichette a déclaré que selon les directeurs du Réseau de l’Information l’assimilation des Juifs aux nazis ne peut être considérée antisémite. Radio X, quant à elle, n’a pas retourné les appels du quotidien.

Les Juifs québécois ont le bonheur de vivre dans une société où, contrairement à l’Europe, l’antisémitisme n’a jamais été une idéologie politique majeure et où la violence antisémite est rarissime. Il n’en demeure pas moins que l’indifférence et le déni de la désinhibition de la parole antisémite devraient alarmer tous les Québécois, qu’ils soient juifs ou non.

à propos de l'auteur
David est Directeur associé du Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA-Québec)
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