Vers une disparition du procès en Israël
Vers une disparition du procès : doit-on réformer la justice israélienne ?
Scène du quotidien au tribunal de Tel-Aviv, un matin :
L. se présente devant le juge du tribunal équivalent au tribunal correctionnel français.
Il est accompagné d’un avocat commis d’office qu’il connaît seulement depuis quelques minutes. Le juge qui ne le regarde pas se tourne vers l’avocat :
« Alors, il plaide coupable ?
L. s’écrie : « Non, je suis innocent ».
Le juge l’ignore et continue de parler à son avocat :
« Sortez quelques minutes et allez discuter avec votre client ».
Le juge ouvre alors un autre des 60 dossiers qui se trouve devant lui.
Après 10 minutes, L. revient à la barre. Le juge demande à l’avocat :
« Alors ? », L. se tait.
L’avocat lui répond : « Oui, Monsieur le juge, mon client plaide coupable ».
Comme celui de L., 83 % des dossiers en droit pénal se terminent par une procédure de plaider coupable (chiffres du procureur de l’État pour l’année 2021) Cela a un nom : le « vanishing trial » ou en français, la « disparition du procès »… Mais ce n’est pas seulement le procès qui disparaît, c’est aussi le citoyen(e) qui disparaît de son propre procès.
Région du Nord d’Israël : B. est âgée de 4 ans lorsque sa mère S. découvre qu’elle a été abusée sexuellement par son voisin. S. porte plainte à la police. B est interrogée par une enquêtrice spécialisée dans les affaires impliquant des enfants. Mais la petite fille ne parle pas bien l’hébreu et l’obligation de nommer un traducteur ou une enquêtrice parlant sa langue n’est pas respectée. Le dossier est fermé par manque de preuves. S. olah hadasha, monoparentale, fait appel de la décision du procureur, qui est rejetée. Elle n’a pas les moyens de se tourner vers la Cour suprême. B repart avec sa mère en France, craignant de voir son voisin surgir derrière les fenêtres. Comme celui de B. c’est plus de 80 % victimes enfants et adultes qui voient leur dossiers fermés (chiffre de l’association (מרכזי סיוע לנפגעי עבירות מין)
Cette fois-ci c’est aux victimes auxquelles on refuse un procès.
Un tribunal au sud d’Israël : T. est juge en droit de la circulation. Devant lui, 90 dossiers qu’il doit juger en une matinée. Les citoyens qui contestent les amendes qu’ils ont reçues doivent attendre chacun à leur tour, parfois plus de 6 heures, le juge seul devant ces 90 dossiers n’a pas le temps d’accorder toute son attention pour chaque citoyen qui ont pris un jour de congés pour pouvoir défendre leur droit. Il manque des juges en Israël. Et cet exemple montre encore que ce sont les juges et le procès équitable qui sont en train de disparaître.
Ces trois histoires vraies, rencontrées lors de mes recherches, de mon travail auprès de juges dans ma fonction d’avocat, montrent la disparition du procès, et du rôle des citoyens victimes et accusés dans l’institution judiciaire. Il est clair que la justice doit subir une réforme afin que tout citoyen et citoyenne puissent avoir accès à une justice équitable dirigée par des juges indépendant(e)s et garant(e)s des droits humains. Cela implique notamment d’augmenter le nombre de juges, de rétablir le lien entre les citoyens et la justice, de favoriser le droit des victimes, d’établir un contrôle judiciaire de la procédure de plaider-coupable et du travail des procureurs, de favoriser un accès gratuit et une représentation gratuite pour toutes les victimes d’infractions pénales, etc …..
La réforme proposée par le gouvernement ne répond à aucun de ces besoins, au contraire la restriction sévère du pouvoir d’interprétation des juges de la Cour Suprême, est un autre pas vers la disparition du pouvoir des juges. Cette réforme est loin d’être une priorité. Elle ne construit pas la justice, elle ne permet pas l’accès à la justice, elle n’améliore pas le statut des citoyens et citoyennes face à ce qui représente avant tout un service public et non un service appartenant au gouvernement. Au lieu de nous rapprocher de la justice, cette réforme nous en éloigne.