Vers le « sultanat d’Israël » ?

« Le bon vouloir du Prince » : rarement ces cinq mots auront-ils si parfaitement résumé la situation politique en Israël, telle qu’elle vient d’être illustrée par la composition du nouveau gouvernement entré en fonction cette semaine.
Concrètement, Binyamin Netanyahou a tout simplement démembré des ministères pour en créer des nouveaux, en a créé d’autres particulièrement absurdes pour récompenser divers fidèles et opportunistes, a promu sa garde rapprochée dont l’inexpérience ne peut se comparer qu’à son aveugle fidélité à la personne du Premier ministre et mis sur la touche des personnalités qui comptent certes elles aussi parmi ses proches, mais avaient su garder une touche de mamlakhtyout, de vision de l’Etat, dans laquelle tout n’est pas permis pour asseoir son pouvoir.
Fort de son succès aux élections du 2 mars dernier et servi par le renoncement spectaculaire du parti Bleu-Blanc et des derniers débris du Parti travailliste à leur engagement mille fois répété de ne pas siéger dans un gouvernement dont le chef est inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance, le chef du Likoud s’est senti des ailes et a fait démarrer le bulldozer.
La palme va sans aucun doute au nouveau « ministère du Renforcement et de l’Avancement Social », créé ex nihilo, alors qu’au moins trois ministères s’occupent déjà des affaires sociales (avec des résultats déplorables), et ceci pour récompenser le parcours de la députée Orly Levy-Abecassis qui, partie de la droite activiste d’Avigdor Lieberman, est passée au centre puis à gauche, pour arriver finalement à une alliance électorale avec le Meretz (gauche sioniste) pour les élections de mars, avant de revenir soutenir la candidature du chef du Likoud au poste de Premier ministre.
Un parcours unique de trahisons politiques répétées, à donner le vertige, mais qui dans l’Israël de 2020 finit par faire de vous un ministre. On donnera aussi une mention « très bien » à la nomination de Zeev Elkin à la tête de deux ministères sans aucun rapport entre eux : celui de l’Enseignement supérieur et celui des Ressources hydrauliques.
Le Prince a aussi renouvelé son alliance politique avec le bloc orthodoxe, dont les deux leaders sont sur la sellette après de longues enquêtes. En novembre 2018, la police a recommandé l’inculpation de l’inamovible ministre de l’Intérieur Aryeh Deri pour fraude et abus de confiance; le ministre de la Santé sortant, Yaakov Litzman, nouveau ministre de la Construction et du Logement, est visé pour sa part par une recommandation d’inculpation pour corruption, abus de confiance et aide illégale à une pédophile présumée.
Autre renversante nouveauté concoctée par le Premier ministre : une rotation dans plusieurs ministères est prévue dans un an et demi, à la mi-mandature de ce gouvernement, le plus gonflé et coûteux de l’histoire d’Israël, alors que les conséquences économiques et sociales du Covid-19 s’annoncent très dures ici aussi. Mme Miri Reguev, par exemple, nommée ministre des Transports, deviendra dans un an et demi ministre des Affaires Etrangères.
L’ancien chef d’Etat-Major et le vrai homme fort de Bleu-Blanc, Gabi Ashkenazi, nouveau ministre des Affaires Etrangères, passera pour sa part à ce moment au ministère de la Défense, et Benny Gantz, le leader de Bleu-Blanc, depuis ce lundi ministre de la Défense, deviendra Premier ministre. Il ne faut pas être un politologue de pointe pour comprendre que des ministres qui seront en exercice pendant 18 mois seulement ne pourront pas faire grand chose de valable, et que d’autres, qui ont hérité de nouveaux ministères sans aucune raison d’être ni utilité, ne feront que compliquer encore plus le fonctionnement déjà si peu performant de la bureaucratie israélienne tout en gaspillant des centaines de millions de shkalim de fonds publics.
Le chef du Likoud ne s’est pas arrêté en si « bon » chemin. Avec l’accord de Bleu-Blanc, il a aussi verrouillé la Knesset, avec un nouveau président tout acquis à sa personne et partageant son aversion pour la Cour Suprême et le pouvoir judiciaire en général, Yariv Levine, ancien ministre du Tourisme, et en ne laissant à l’opposition aucune commission importante.
Enfin, pour faire bonne mesure, il a nommé son fidèle d’entre les fidèles, Amir Ohana, ministre de la Justice sortant et autre ennemi déclaré du pouvoir judiciaire, comme ministre de la Police. C’est lui qui va à présent choisir le nouveau Chef de la police, cette même police qui a mené les enquêtes qui ont conduit à l’inculpation de Binyamin Netanyahou, lequel est susceptible d’être visé par de nouvelles plaintes dans l’affaire dite « des sous-marins« .
En définitive, Binyamin Netanyahou fait ce qu’il veut, comme et quand il veut. Sous sa gouvernance, Israël commence à ressembler de plus en plus à un sultanat, où un seul homme décide de tout et cherche sans cesse à affaiblir au maximum les contre-pouvoirs indispensables à une vraie démocratie (justice, presse, contrôle parlementaire).
Toute critique à son endroit est vue comme une trahison et toute interrogation sur ses actions et projets comme un crime de lèse-majesté. Une majorité de la population juive en Israël supporte son action, sans comprendre les engrenages que ce soutien enclenche; ses partisans tiennent la rue; ceux qui pensent différemment hésitent de plus en plus à s’exprimer ou quand ils le font, sont couverts d’injures et parfois ouvertement menacés, comme c’est le cas aujourd’hui pour le conseiller juridique du gouvernement, Avichaï Mandelblit, les juges et certains journalistes de premier rang.
Jusqu’où ce processus ira-t-il et quelles épreuves annonce-t-il pour une démocratie israélienne déjà bien malade ?