Vers la disparition d’Israël ?

Deux événements récents en Israël ont attiré mon attention : la réitération de pogroms (note 1) contre des villages palestiniens en représailles à des attentats, et une manifestation juive contre un rassemblement de Chrétiens à Jérusalem le 28 mai dernier. Nous sommes en train d’observer l’accélération d’un engrenage qui pourrait aboutir à une tragédie de grande envergure. Un livre d’Ami Bouganim (2) explique de manière explicite pourquoi Israël est en danger ; il a pour titre « Vers la disparition d’Israël ? ».

Résumé : « La société israélienne est dans l’impasse. Non pas à cause du conflit israélo-palestinien ni d’une crispation identitaire, mais en raison de lignes de rupture plus profondes, que cet essai restitue finement dans le cadre de l’évolution du judaïsme contemporain. La tension entre le « philistinisme », consumérisme effréné dénué de véritable spiritualité, insensible à tout souci de vie en commun, et un judaïsme à la fois théocratique et messianiste, est à l’origine d’une dynamique délétère dont l’issue pourrait s’avérer fatale à l’État hébreu.

La « disparition d’Israël » ne couve pas tant sous les menaces arabes ou iraniennes d’extermination que sous le désenchantement que réserve le renoncement à une société nouvelle, basée à la fois sur la tradition religieuse et sur une éthique juive dont on ne saurait renier la vocation socialiste. Ce renoncement anime la colère d’Ami Bouganim qui considère que, si elle veut sortir de l’impasse, la société israélienne doit revoir les dogmes fondamentaux sur laquelle elle s’est fondée, modifier ses relations avec la diaspora et, plus important pour la situation théologico-politique mondiale, avec ses voisins. »

Ami Bouganim est né en 1951 à Essaouira (Mogador), au Maroc. En 1970, il immigre en Israël où il enseigne la philosophie et l’éducation. Écrivain et philosophe, il a publié une trentaine d’ouvrages dont « Walter Benjamin, le rêve de vivre », « Le Rire de Dieu-Perles du Talmud ».

Extrait (page 7) : « Je ne doute pas un instant, pour toutes les raisons avancées dans cette étude, que le peuple juif se remettrait de l’éventuelle disparition d’Israël comme entité géopolitique et lui survivrait comme entité spirituelle. Ce ne serait ni la première ni la dernière fois que le judaïsme qui a donné le modèle théologico-politique diasporique se remettrait de ce qui, certainement, sera considéré comme une nouvelle catastrophe nationale. On s’accommoderait de cette disparition de la même manière que l’on s’est remis de la destruction du Second Temple de Jérusalem en 70 apr. J.- C., de la cruelle répression de la révolte contre les Romains un demi-siècle plus tard, du cortège des massacres qui ont accompagné les croisades, de l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492… de la Shoah. Le judaïsme recèle des ressources théologiques, des mécanismes apologétiques et des procédés herméneutiques qui lui permettraient d’intégrer la disparition d’Israël dans sa paradoxale trame diasporique et messianique. Ce ne serait pas une catastrophe plus troublante que la destruction du Temple ni plus douloureuse que la Shoah ; ce serait un autre événement traumatique dans l’histoire juive. (…) Cette disparition marquerait, à n’en pas douter, un tournant dans l’histoire juive, elle susciterait de nouvelles questions et sèmerait un certain trouble, mais n’en relancerait pas moins la créativité judaïque, tant théologique que culturelle et civilisationnelle, la poussant sur des pistes que nul ne saurait dire ce qu’elles seront, à l’instar du bouillonnement talmudique au lendemain de la destruction du Second Temple, de la créativité kabbalistique au lendemain de l’Expulsion d’Espagne et de l’accélération dans la renaissance hébraïque au lendemain de la Shoah. »

– Premières fissures dans l’alliance israélo-américaine

Extrait d’un article sur Evangéliques.info (3) (mai 2023) : « Jérusalem, 28 mai, dimanche de Pentecôte : environ 800 chrétiens sont venus de divers pays pour clôturer l’appel à la prière et au jeûne lancé par la congrégation International House of prayer basée à Kansas City aux États-Unis, du 7 au 28 mai. Ils s’étaient rassemblés sur les marches sud qui menaient au Temple il y a 2 000 ans. Avant même que ne démarre le temps de prière et de louange, un groupe de quelques centaines de juifs israéliens étaient venus pour manifester et crier « Missionnaires dehors ! » et les empêcher d’entrer sur ce site bordant le mur occidental. »

Le prosélytisme des Chrétiens sionistes  américains deviendrait insupportable en Israël ?

– Rapprochement Chrétiens-Musulmans contre Israël :

Extrait d’un article sur Terre.Sainte.net (4) (20/06/2023) : « Une conférence organisée pour essayer de comprendre les attaques contre les non-juifs, en augmentation dans la Ville sainte, a été forcée de se tenir en secret, taxée d’antisémitisme. Le titre ne pouvait qu’attirer la polémique : « Pourquoi est-ce que (certains) juifs crachent sur les goys ? » »

Chrétiens et Musulmans se sentiraient maintenant en insécurité en Israël ?

– Une politique visant à expulser les Palestiniens et les Arabes israéliens

Extrait d’un article sur Times of Israël (5) (19/06/2023) : « L’armée s’entraînerait à des combats contre les Arabes israéliens en temps de guerre. C’est le Premier ministre qui aurait tenu ces propos, ajoutant que dix divisions de soldats sont prêtes à contrer la menace d’une cinquième colonne ; l’armée n’a pas réagi. »

Les citoyens arabes israéliens seraient désormais considérés comme des Palestiniens ?

– L’impatience de la construction du Temple

Extrait d’un article sur christianismeaujourdhui.info (6) (07/03/2011) : « Tout est quasiment prêt pour la construction du troisième Temple. Mené par une organisation juive appelée Institut du Temple, le projet a aussi les faveurs de plusieurs Chrétiens évangéliques, qui y voient un signe de la fin. »

S’agirait-il d’un temple chrétien évangélique à la place de la Mosquée El-Aqsa ?

– Retournement prévisible des États-Unis contre Israël et les Juifs américains

Selon Manitou (Yéhouda Léon Azkénazi) à chaque fois que les Juifs se sont sentis chez eux dans un pays cela a mal tourné ; il cite l’Espagne, l’Allemagne et – à l’avenir – inévitablement, les États-Unis.

L’alliance entre les États-Unis et Israël a un fondement chrétien qui est en train de s’effriter. Dans l’imaginaire chrétien américain les États-Unis ont un rôle messianique s’apparentant à celui de Cyrus qui a permis la reconstruction du Temple au VIème siècle avant J.-C. L’antisémitisme de gauche et de droite grandit aux USA tandis que les Chrétiens Évangéliques poussent Israël à radicaliser sa politique afin d’expulser tous les Arabes du pays. Une guerre contre l’Iran impliquerait un engagement militaire américain avec des pertes inévitables qui entraîneraient à terme un retournement de la population américaine contre les Juifs et Israël.

– Le peuple juif en Israël a-t-il le choix ? Soit Israël devient une démocratie laïque cosmopolite soit il devient un pays juif.

Extrait d’un article d’Ami Bouganim (7) (24/06/2023) : « Israël est devenu l’otage des colons de Judée et de Samarie. Ce sont eux qui continuent de célébrer le sionisme même s’ils lui donnent des accents religieux et messianistes – et quoi qu’on en dise, le messianisme reste le moteur, secret ou déclaré, de l’histoire juive. Ce sont eux qui mènent le combat contre la menace démographique en se donnant de grandes familles. Ce sont eux qui perpétuent l’amour d’Israël, créent de mini-communautés exemplaires, allient le mieux le maniement des armes, suivi de l’exercice d’un métier, à l’étude de la Torah. Ce sont encore eux qui proposent un judaïsme éclairé et lumineux prenant en considération la souveraineté nationale juive, les découvertes des sciences et les réalisations technologiques dans tous les domaines. Ils donnent de bons soldats et de bons officiers, de bons pères et de bonnes mères, de bons rabbins et de bonnes éducatrices. Ce sont eux qui assument encore le mieux les idéaux qui courent les esprits en Israël. »

Le choix du sacrifice plutôt que l’abandon de l’identité juive ?

– Abraham et Isaac sur le Mont Moriah

« Dieu dit : ‘Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai.’ » (Genèse 22,2)

Dans la vision chrétienne le sacrifice du fils est accompli par le Christ qui en tant que Messie représente le peuple d’Israël. Par conséquent dans l’inconscient chrétien la disparition du peuple juif serait perçu comme un sacrifice voulu par Dieu.

– Le Psaume 2 qui annonce qu’un jour toutes les nations se rassembleront contre le Messie

« Pourquoi les rois de la terre se soulèvent-ils et les princes se liguent-ils avec eux contre l’Éternel et contre son oint ? » (Psaume 2,2)

Dans la vision juive de la fin des temps il est prévu qu’un jour toutes les nations se rassembleront contre le peuple élu. Cela s’appelle « la guerre de Gog et Magog » (ou Gog roi de Magog).

– La mort d’Israël, sacrifice christique ? Dans la vision chrétienne la mort du Messie (d’Israël) est inéluctable.

« La figure du Messie est en même temps la figure d’Israël ; la figure de Jésus est en même temps celle des siens, de son Eglise et celle d’Israël. » (Jean-Marie Lustiger, La Promesse, page 57)

« Nous devons croire – sinon Dieu lui-même paraîtrait incohérent par rapport à sa promesse – que toute la souffrance d’Israël persécuté par les païens en raison de son Élection fait partie de la souffrance du Messie. » (Jean-Marie Lustiger, La Promesse, page 72)

– La prophétie « Gog et Magog » ou Israël en guerre contre toutes les nations

Extrait d’un article de Amir Bouganim (8) (20/05/2023) : « Désormais, Israël est un pays en transes messianiques permanentes et celles-ci se révèlent volontiers maniaco-dépressives. On ne cesse de passer d’un état d’accablement à un état d’exaltation selon le schéma rituel qui place des journées de contrition et de jeûne la veille de nombre de solennités. On ne résout pas un problème qu’on en suscite un nouveau et l’on a le sentiment que seule une guerre de Gog-Magog – qui représente la guerre de tous contre tous dont on ne sait si Israël doit faire les frais ou en sortir indemne sinon maître du monde – mettra un terme à cette cavalcade dont on ne prévoit ni ne suit les rebondissements. (…) Ce sont ces transes, exacerbées chez les colons de Judée et de Samarie, latentes chez les traditionalistes et les intégristes, qui impriment ses turbulences à la politique israélienne. Celles-ci se termineront par une débâcle messianique, quelle que soit la puissance militaire d’Israël et quelles que soient ses prouesses technologiques. Rien n’arrêterait la possession messianique d’Israël, ni les mobilisations tribales à l’occasion des menaces militaires, plus vitales que nuisibles à sa cohésion civile, ni les pressions internationales. C’est un tournis dont le machiniste n’est autre que Dieu et celui-ci est logé dans la foi messianique ardente ou latente qui anime près de 70 % de la population juive israélienne. Le processus messianique est de nature irréversible, n’autorisant aucune régression, ne tolérant que des reculs, recouvrant autant de « ruses sacrées », pour mieux sauter. Je ne suis pas prophète pour prédire ce qu’il en sera, je ne suis qu’un vulgaire analyste théologico-politique et dans ce cas précis – messianique-politique. Cela dit, comme je n’ai rien d’un illuminé, j’aime à me tromper… »

Dans la vision juive de la fin des temps la guerre de Gog et Magog se terminera par la victoire d’Israël.

– Le chapitre 14 de Zacharie qui raconte Soukot, « l’après-guerre » des nations contre Israël

« Je rassemblerai toutes les nations pour qu’elles attaquent Jérusalem ; la ville sera prise, les maisons seront pillées, et les femmes violées ; la moitié de la ville ira en captivité, mais le reste du peuple ne sera pas exterminé de la ville. » (Zacharie 14,2)

« Tous ceux qui resteront de toutes les nations venues contre Jérusalem monteront chaque année pour se prosterner devant le roi, l’Éternel des armées, et pour célébrer la fête de Soukot. » (Zacharie 14,16)

– La position du Messie fils de Joseph, le royaume du Nord (Israël), survivant au royaume de Yéhouda (Juda, les Juifs)

Extrait d’un article de Yehuda Shurpin sur les dix tribus perdues d’Israël (9) : « Rabbi Yehouda Loewe, le « Maharal de Prague », enseigna que nous ne découvrirons jamais les tribus en les cherchant. Il expliqua que l’exil des dix tribus est un décret divin qui ne sera pas annulé avant l’ère messianique. (…) À l’heure actuelle, explique-t-il, ces tribus n’existent qu’en puissance (c’est la raison pour laquelle elles ne sont pas mentionnées par leur nom). En fait, leur potentiel est tellement obscurci que c’est comme si elles n’existaient pas du tout. Dieu faisant sortir les tribus de sous la terre est une autre façon de dire qu’il transformera ce potentiel en réalité. La terre se prête particulièrement bien à cette métaphore, car elle contient déjà le potentiel de produire des fruits. D’où la référence au mont des Oliviers. (…) Indépendamment de l’endroit où se trouvent actuellement les dix tribus -qu’elles soient cachées dans un endroit éloigné et impénétrable, ou qu’elles aient été « englouties » au sein des autres nations -, Dieu a décrété qu’elles reviendront finalement au moment de la rédemption finale : « En ce jour-là, un grand shofar sera sonné ; ceux qui seront perdus au pays d’Assyrie et ceux qui seront exilés au pays d’Égypte viendront, et ils se prosterneront devant le Seigneur sur la montagne sainte de Jérusalem ». »

Si le royaume de Juda venait à disparaître, il ne resterait plus que le royaume d’Israël constitué non pas de Juifs mais de goyim ayant (ou pas) une lointaine origine hébraïque. Ainsi le peuple d’Israël ne serait plus constitué de Juifs mais de personnes adhérant à la foi d’Israël (sans la religion juive).

– Espérance

« La vocation d’Israël est par essence la médiation entre les hommes, entre les siècles, entre les cultures et les religions. Cela était vrai du temps de la Bible et plus encore aujourd’hui. Car la vraie mission d’Israël est de réaliser l’Alliance. L’Alliance des hommes avec la Création, l’Alliance des hommes entre eux. Israël, étymologiquement, est « Celui qui lutte avec Dieu ». L’histoire a jeté la confusion sur ce terme, l’assimilant tantôt à la nation juive en exil, tantôt au peuple hébreu lui-même. Israël est bien trop universel pour se limiter à une conception ethnocentrique. L’Alliance est révélée au peuple hébreu au bénéfice de l’humanité entière. » (André Chouraqui, Mon testament le feu de l’Alliance, Editions Bayard, chapitre 6)

***

Des rabbins admettent la comparaison : oui le peuple juif a été crucifié à la Shoah et il est ressuscité lors de la création de l’État d’Israël, réalisant ainsi la réunification des deux royaumes du Nord (Israël) et de Yéhouda (Juda) séparés depuis 2 600 ans. Dans l’inconscient de la majorité des Chrétiens Israël est perçu comme le peuple-messie qui monte à Jérusalem pour s’y offrir en sacrifice afin de sauver l’humanité. La vision pessimiste chrétienne rejoint aujourd’hui celles de Juifs qui ne croient plus en Israël. Avec les événements récents, nous pouvons craindre que l’actualité ne donne raison à Ami Bouganim qui bien évidemment aimerait se tromper. En écrivant ces lignes je souhaite confronter ma réflexion à des lecteurs qui pourront peut-être apporter leur avis qui je l’espère sera plus optimiste.

Notes :

1 « Le général israélien en charge des soldats en Cisjordanie a indiqué mardi que les résidents d’implantation qui ont saccagé une ville palestinienne en Cisjordanie, dimanche soir, ont mené un « pogrom » qui a pris par surprise les militaires. » Time of Israël, 1er mars 2023.
2 publié en 2012 aux Éditions du Seuil
3 https://www.evangeliques.info/
4 https://www.terresainte.net
5 https://fr.timesofisrael.com/
6 https://www.christianismeaujourdhui.info/
7 http://www.euromed.institute
8 http://www.euromed.institute
9 https://fr.chabad.org

à propos de l'auteur
Passionné de judaïsme et d'Israël, Pierre Orsey est né en 1971 et habite près d’Avignon.
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