« Venger la Palestine ? », l’antisémitisme hurlant
Dans un article que j’avais publié le 13 octobre 2023 dans La Revue des Deux Mondes, je demandais que l’on protège les juifs de France [1]. J’étais déjà très inquiet, d’abord parce qu’il y avait eu quelques jours auparavant ces attaques terroristes inédites perpétrées en territoire israélien, dans une perspective que nous pourrions peut-être qualifier de… pré génocidaire. Dans cette offensive, justement, les terroristes ont massacré indistinctement tous les juifs (bébés, enfants, femmes, hommes, personnes âgées) qui s’y trouvaient. Ensuite, parce que je pressentais que les Français de confession juive allaient vivre des moments très difficiles. antisémitisme
Or, ce calvaire dure en réalité depuis 24 ans.
C’est en effet à partir de l’année 2000, que les Français de confession juive subissent cette poussée de fièvre antisémite [2]. Aussi, parce que les agresseurs et les antisémites se donnent le droit de haïr tous les juifs parce qu’ils haïssent Israël. Et, c’est ainsi qu’ils haïssent autant les juifs d’Israël que les juifs qui vivent à Paris, en Californie ou à Anvers, alors qu’ils n’ont aucune prise sur les évènements qui se déroulent en Israël.
Les juifs sont inquiétés dans leur pays alors qu’ils ne sont pas Israéliens. Mais les agresseurs, à défaut de trouver des Israéliens qu’ils pourraient tabasser, violenter ou massacrer, dans nos rues européennes, s’en prennent aux juifs de diaspora et procèdent ainsi de l’amalgame suivant, juifs = israéliens = nazis. Et, ce par un incroyable paradoxe et une immonde tartufferie qui consisterait à faire des juifs qui ont été les victimes du plus grand génocide de l’histoire, les nouveaux bourreaux du XXIe siècle. Et par la même occasion, ne serait-ce pas également une entreprise de perfide déculpabilisation afin d’oublier l’immense responsabilité de l’Europe dans le processus d’extermination des juifs pendant la Shoah ?
Par ailleurs, il est clair qu’une partie de la gauche et de l’extrême gauche, très liée à la cause palestinienne, définit Israël comme la quintessence du mal absolu.
Cette gauche se focalise sur Israël qu’elle dépeint sans nuances, comme s’il fallait culpabiliser tout un pays pour les choix de certains de ces dirigeants politiques. On peut bien évidemment critiquer des politiques. Mais, on ignore bien souvent la réalité politique en Israël. Une partie de la classe politique israélienne est en ébullition, les débats à la Knesset sont très vifs et l’opinion publique est partagée. Et, Israël est assailli de toutes parts, notamment par l’Iran des Mollahs. Israël subit cette blessure profonde, celle du 7 octobre.
Alors ? Trop souvent, à force de simplification, on arrive à des généralités confuses. Si la question des colonies suscite, à juste titre, de nombreuses critiques, que l’on doit assurément entendre, un débat doit avoir lieu. Mais celui-ci ne doit pas se transformer en foire d’empoigne sur base de raccourcis répugnants. LFI, par exemple, par abject opportunisme politique, fait de la question palestinienne, le cœur de son programme pour les élections européennes et c’est à peine s’il évoque d‘autres sujets. C’est aussi le cœur de l’agitation permanente qu’il souhaite entretenir dans notre pays, afin de semer la confusion, le chaos et les germes d’un cataclysme. Et, aux surenchères, aux invectives caractérisées et aux allures antisémites de Jean-Luc Mélenchon, succèdent les surenchères de Rima Hassan.
Dans ces conditions, faut-il s’étonner que, pendant si longtemps, les Français juifs se soient sentis désespérément esseulés et abandonnés ?
Dans certaines banlieues, ils devaient presque raser les murs. La plupart de nos compatriotes ont-ils seulement compris la douleur et la peur ? Ont-ils seulement senti comment et pourquoi les Français juifs n’en pouvaient plus ? Comment et pourquoi ils appelaient à l’aide ? Comment et pourquoi, ils se repliaient sur eux-mêmes, avant de quitter notre pays, parce qu’ils ne s’y sentaient plus en sécurité ?Je prévoyais donc que les temps seraient difficiles. Et, je ne me suis pas trompé. Mais, jusqu’où iront-ils ?
En l’espace de quelques jours, nous venons d’apprendre que Claude Cohen, le maire LR de Moins, vient de démissionner. Les insultes antisémites ont émaillé son mandat. A-t-il seulement été protégé ? Soutenu, dans le cadre de sa fonction ? La République n’a-t-elle pas encore, une fois de plus, failli ? Et que dire de ces tags quotidiens, blocages ponctuels, menaces et intimidations diverses dans l’enceinte de nos universités ?
Faut-il rappeler qu’au cours de leur vie étudiante, 91% des jeunes juifs ont déjà été victimes d’un acte antisémite, selon une étude IFOP édifiante publiée jeudi 28 septembre 2023, commandée par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF)[3] ? 36 % des étudiants juifs sondés affirment avoir déjà caché le fait d’être juif par peur de l’antisémitisme et 33% disent avoir modifié leur comportement après avoir été confronté à de l’antisémitisme. Et, pendant que Jean-Luc Mélenchon théâtralise, galvanisé qu’il est, éructe de rage d’une fac à une autre… où est donc la ministre de l’Enseignement supérieur ?
Dernier et macabre rebondissement dans l’antisémitisme d’atmosphère, un homme est soupçonné d’avoir séquestré, violé et menacé de mort une femme de confession juive… parce qu’il voulait « venger la Palestine ». Ces mots font écho à ce qu’un terroriste islamiste commentait après l’horrible attaque qu’il avait commise contre l’école juive Ozar Hatorah, à Toulouse [4] « Je tue des juifs en France parce que ces mêmes juifs-là… eux tuent des innocents en Palestine[5] ».
Il règne dans ce pays, un climat nauséeux, l’air est vicié de lâchetés et de violences perpétrées contre les Français de confession juive.
Et, lorsque je lis les mots les plus vils, les mots les plus sales sur les murs de nos villes, les plus orduriers, lorsque je mesure cette vague déferlante qui secoue les miens, de partout à la fois, au nom de ce seul conflit lointain et de la seule haine fulgurante qui sévit dans l’indifférence souvent… et qui a pour nom, l’antisémitisme hurlant, je mesure notre peine. Et, alors, c’est un sentiment de révolte qui m’étreint. Et, c’est une question que je pose. L’antisémitisme menace les valeurs de la République. Et, si la République cédait, ne serait-ce pas qu’elle préparerait également son enterrement de… Première classe ?
[1] https://www.revuedesdeuxmondes.fr/marc-knobel-proteger-juifs-france/
[2] Marc Knobel, Haine et violences antisémites, Paris, Berg International, 350 p.
[3] https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/09/120096-Presentation.pdf
[4] Le 19 mars 2012, Jonathan Sandler, qui y enseignait et qui était un professeur formé et compétent délivrant un savoir et une Humanité, est assassiné. Deux de ses enfants, Arieh (5 ans) et Gabriel (4 ans), ainsi que la fille du directeur de l’école, Myriam Monsonego, (7 ans), sont froidement assassinés à l’intérieur de cette école.
Texte paru sur La Revue des deux mondes le 25/04/2024 . Avec l’aimable autorisation Marc Knobel.