Une réforme du système électoral israélien est-elle réellement envisageable ?

D’après des confidences rapportées par la chaîne de télévision Channel 10, le président Reuven Rivlin serait déterminé, en cas de blocage des négociations pour la formation d’une coalition gouvernementale au lendemain des prochaines élections, à user de son autorité et de son influence morale pour convaincre Benyamin Netanyahou et Yitzhak Herzog de former un gouvernement d’unité nationale sur la base du seul objectif sur lequel les deux leaders politiques des deux plus grands partis pourraient bien tomber d’accord, celui de la réforme indispensable du système des institutions en faveur d’une stabilité accrue de l’exécutif.

D’une manière pragmatique, la réforme à laquelle le Likoud et L’Union sioniste pourraient éventuellement s’atteler de concert, c’est celle du système électoral.

Au sein des deux formations, on est conscient des méfaits du système en vigueur, hérité des institutions pré-étatiques du Yishouv, celui du scrutin proportionnel plurinominal à un tour à listes bloquées.

Un mode de scrutin censé être le plus représentatif et par conséquent le plus démocratique mais qui, dans les faits, s’avère être aux antipodes des qualités que certains veulent bien lui prêter puisqu’il ne permet pas de dégager une majorité de gouvernement et qu’il mène immanquablement à la formation d’une coalition plus ou moins fragile au terme de tractations dans lesquelles les petites formations, notamment les partis religieux, donnent toute la mesure de leurs capacités de chantage et d’extorsion.

Dans les conditions qui prévalent en Israël, c’est donc au final un système électoral très peu démocratique qui démultiplie l’influence et encourage le chantage des petits partis « charnières » et est facteur de corruption.

Le seul moyen que la classe politique dominante ait tenté d’appliquer jusqu’à présent pour remédier, ne fût-ce que partiellement, à cet état de fait à été le relèvement progressif du seuil d’éligibilité des députés à la Knesset désormais fixé à 3,25 %.

Cette mesure destinée à éviter l’atomisation de la représentation parlementaire fait qu’aujourd’hui seules les formations capables de faire élire au moins quatre députés pourront sièger à la Knesset.

C’est une avancée, certes, mais qui ne résout en rien la problématique exposée plus haut.

Le relèvement du seuil d’éligibilité a par ailleurs ses limites en termes d’atteintes à la représentativité démocratique et ne peut constituer à lui seul la solution.

Si elle occupe pratiquement depuis l’indépendance le débat public, la question de la réforme générale du système électoral n’a fait à ce jour, pour des raisons liées aux intérêts vitaux des petits partis, l’objet d’aucun débat parlementaire.

Aucune commission de la Knesset n’a été chargée d’examiner la question ou de formuler des recommandations.

En revanche, du côté des experts, qu’ils soient liés aux deux principaux partis ou indépendants, on est plus ou moins d’accord sur le système électoral à préconiser.

Excluant a priori la possibilité d’instituer un mode de scrutin uninominal majoritaire intégral qu’il soit à un tour, comme aux États-Unis, ou à deux tours, comme en France, les experts penchent plutôt pour un système mixte, sur le modèle britannique ou allemand, préservant le mode actuel de scrutin proportionnel pour élire une partie des députés (60 % par exemple), le reste d’entre eux étant élus sur un mode de scrutin majoritaire au sein de circonscriptions électorales.

Ce mode de scrutin serait à même de dégager une majorité de gouvernement tout en permettant de générer une alternance du pouvoir entre les grands partis sans compromission avec les exigences des petits partis.

Le Likoud et l’Union sioniste seraient-ils capables de jouer le jeu et d’arriver à un accord, contre la volonté de leurs partenaires politiques traditionnels, en vue de réformer le système électoral ?

Si du côté des partis du centre et de gauche (Yesh Atid, Meretz), on adhère au principe d’une réforme, à droite, on y est beaucoup plus réticent.

J’ai évoqué plus haut le cas des partis religieux pour lesquels la question est vitale, littéralement. Ils ne sont pas (ou plus) les seuls : paradoxalement, c’est le parti « Israel Beytenu », qui fut à l’origine de la loi sur le relèvement du seuil d’éligibilité par laquelle il visait à évincer les petits partis arabes (dont il n’a fait probablement qu’augmenter l’influence en les forçant à s’unir !), c’est ce parti d’Avigdor Lieberman qui risque de pâtir le plus d’une réforme, jusqu’à menacer sa survie politique !

Ayant passé outre aux oppositions de leurs partenaires, il  resterait au Likoud et à l’Union sioniste à se mettre d’accord sur une question cruciale, celle du découpage des circonscriptions électorales. Comme lors du découpage de Charles Pasqua en France en 1986, on sait que le parti qui « tient les ciseaux en mains » dispose d’un avantage considérable.

Or, dans l’état actuel de défiance qui prévaut entre nos deux plus grands partis, j’ai du mal à imaginer que l’un puisse abandonner à un ministre de l’Intérieur issu des rangs de l’autre le soin de réaliser ce découpage !

Même si cette tâche était confiée en définitive à une commission mixte bi-partite, des querelles infinies sur les modalités du découpage conduiraient rapidement à un bloquage.

Plutôt que de risquer de perdre au profit de l’autre quelques milliers de voix en s’aventurant dans l’inconnu, je crains fort que les deux grands partis préféreront probablement, hélas, continuer à pratiquer l’exercice qu’ils maîtrisent de longue date et qui consiste à se laisser rançonner par leurs petits partenaires en payant, sur le dos du citoyen et du contribuable lambda, un prix à chaque fois plus élevé en termes de pérennisation des inégalités devant le partage des obligations du service militaire, de la répartition des aides sociales ou de l’impôt ainsi que d’extension et d’intensification des phénomènes de parasitisme de tous ordres au sein de la société israélienne.

à propos de l'auteur
Arie Avidor, ancien ambassadeur d'Israël, né à Paris, a fait son alyah à l'âge de 18 ans. Il effectue 4 ans de service actif de Tsahal (Guerre des Six jours, Guerre d'usure) et est diplômé en sciences politiques et en littérature française de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Admis au concours des Affaires étrangères, il servira à l'étranger notamment à Bamako, Port-au-Prince, Bruxelles, Berne, Paris, consul général à Marseille, ambassadeur au Sénégal puis au Nigéria et au Conseil de l'Europe. À l'administration centrale, il a rempli de multiples fonctions, notamment celles de directeur des département Afrique occidentale et centrale puis Europe de l'ouest, d'ambassadeur itinérant et de négociateur sur l'Union pour la Méditerranée. Auditeur, Institut des Hautes Études de Défense nationale (IHEDN), session Euro-Méditerranée, Paris, 2008.
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