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Une nouvelle année politiquement intense pour Israël (et pour les Franco-Israéliens)

Rémi analyse les élections locales et nationales à venir et leur impact sur la vie politique

Bonne année 5779 à tous.

Il est difficile de savoir ce que l’année nouvelle apportera, mais une chose est certaine : si vous aimez la politique israélienne, vous aurez de quoi faire durant les prochains mois. Le pays se lance en effet dans un cycle électoral qui s’annonce particulièrement intense.

Elections locales

La première date à retenir est celle du 30 octobre, où auront lieu les élections locales. Les différentes municipalités ou conseils locaux israéliens verront alors leur direction renouvelée pour cinq ans.

Contrairement à ce qui se passe en France, il existe actuellement en Israël une distinction marquée entre la politique nationale et la politique locale. Même si subsistent évidemment des liens personnels entre les maires et les personnalités politiques nationales, les principaux partis politiques ne jouent pas un rôle de premier plan dans les campagnes électorales locales.

Cette séparation est à double tranchant. D’un côté, elle permet aux élections locales de se concentrer sur les enjeux locaux, et de ne pas servir à régler dans les mairies des comptes liés à la politique nationale. Mais de l’autre côté, cette isolation par rapport aux enjeux nationaux, naturellement plus prenants, diminue l’intérêt pour ces élections au sein de la société israélienne. Ainsi, le taux de participation y est généralement nettement moins élevé que celui aux élections pour la Knesset.

A priori, rien ne permet de croire qu’il en sera autrement cette année. Et ce d’autant plus que les différents combats locaux ne semblent que peu intéresser les électeurs. Comme toujours, la campagne la plus tendue est celle qui agite Jérusalem. Une fois encore, la politique dans la capitale a une saveur particulière, avec ses listes unissant gauche laïque et religieux modérés pour faire face aux ultra-orthodoxes, les déchirements de la droite locale face à la candidature d’un ancien ministre du Likoud, l’annonce d’une candidature palestinienne qui pourrait mettre fin au boycott qu’a adopté jusqu’alors l’électorat arabe de la ville par rapport à ces élections, etc.

Mais en dehors de ce cas précis où semblent se concentrer toutes les beautés et les tensions de la société israélienne, les élections du 30 octobre ne devraient pas lever les foules.

La Knesset à renouveler

Ceci est d’autant plus vrai que s’annonce déjà un combat politique bien plus intense : les élections pour élire la 21ème Knesset, le Parlement israélien. Selon la loi israélienne, le gouvernement a jusqu’au 5 novembre 2019 pour organiser les élections législatives. Arriver à se maintenir jusqu’à cette date, et faire ainsi un mandat complet, serait de la part de Netanyahou un coup de force que l’on voit assez rarement dans la politique israélienne.

Jusqu’à présent, le Premier ministre a su gérer chacune des crises qui ont divisé sa coalition (loi sur les recommandations, loi sur le Shabbat, crise des réfugiés, etc.) et affiche une longévité impressionnante. Cependant, une décision de la Cour suprême obligeant le gouvernement à faire adopter une loi sur la conscription des ultra-orthodoxes d’ici le 2 décembre 2018 pourrait écourter la vie du gouvernement.

En effet, cet énième rebondissement dans un dossier qui traîne depuis de nombreuses années vient réactiver la division profonde qui existe entre les partis ultra-orthodoxes, qui refusent toute atteinte aux privilèges accordés aux étudiants des écoles religieuses, et le reste de la coalition. Et alors que Netanyahou avait réussi à tenir sa coalition, principalement en ne faisant rien, l’ultimatum posé par la Cour Suprême le force à prendre des décisions qui risquent de lui coûter son poste.

Le Premier ministre a devant lui trois options : La première est d’essayer d’obtenir un accord entre ses partenaires actuels. Etant donné l’antagonisme qui existe entre les partis ultra-orthodoxes et les partis laïques de la coalition, cela paraît assez improbable.

La deuxième option consisterait à accepter l’invitation qu’a faite Yair Lapid le chef du parti centriste Yesh Atid, et qui propose de former un gouvernement d’union avec comme seul objectif de faire adopter une loi sur la conscription. Mais il y a peu de chances que cela se produise. Netanyahou sait que, quoi qu’il arrive, les élections sont proches et qu’il n’a aucun intérêt à faire alliance avec celui que beaucoup présentent comme son principal rival. Il risquerait en effet de frustrer ce faisant une partie de sa base, dont il va avoir bientôt besoin.

La dernière option est pour lui d’utiliser l’incapacité à arriver à un accord sur la conscription comme prétexte au déclenchement du processus électoral, avec des élections au printemps. C’est pour l’instant le scénario le plus probable mais la politique israélienne est riche en surprises et personne n’est à l’abri d’un coup de théâtre à un moment ou un autre.

Que les élections aient lieu au printemps ou à l’automne, elles approchent à grands pas, et les différents acteurs politiques se mettent en mouvement. Déjà, on voit apparaître sur les bus du pays des affiches vantant les différents partis. Bientôt, le processus électoral se déploiera comme Israël en a l’habitude, avec ses primaires au sein des grands partis, les créations de nouveaux mouvements, les alliances et contre-alliances en coulisses et en public, etc.

La campagne s’annonce passionnante. Le conflit israélo palestinien est à une sorte de point mort, avec un leadership palestinien plongé dans une crise d’une profondeur rarement vue dans son histoire, et après une période sans opération de grande envergure dans les territoires palestiniens, malgré la tension continue dans la bande de Gaza. Cette situation devrait permettre de ne pas parler trop de ce conflit et de donner une place plus importante aux débats internes à la société.

Certes, Netanyahou essaiera de souligner ses succès diplomatiques, et notamment le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, et de rappeler la menace iranienne, mais il paraît quasiment impossible que cela suffise à occulter totalement les questions économiques et sociétales qui agitent le pays et qui sont trop souvent effacées au profit des préoccupations sécuritaires.

En premier lieu, la continuation ou non du règne de Netanyahou, au pouvoir sans interruption depuis près de dix ans, s’annonce comme une question centrale dans l’élection à venir. Mais il pourrait aussi s’agir de l’occasion nécessaire de discuter d’enjeux qui divisent la société israélienne depuis quelques années : les inégalités économiques, le rapport entre laïques et religieux, le partage des pouvoirs entre le parlement et la Cour suprême, la place des minorités, etc.

Une campagne électorale est souvent pleine de rebondissements et il est encore trop tôt pour savoir ce qui sera au cœur de celle qui s’annonce. Mais espérons que cette année permette aux Israéliens de crever un certain nombre d’abcès qui pourrissent le débat politique du pays depuis longtemps.

 

La communauté franco-israélienne, enfin un acteur d’importance ?

Ce qui est certain, c’est que la communauté française en Israël occupe une place inédite, tant au niveau des élections locales que des élections législatives. Il est impossible de ne pas remarquer que tous les partis, à tous les niveaux, se sont mis à employer la langue de Molière. Des pages spécialement dédiées aux francophones font leur apparition sur les réseaux sociaux pour vendre les mérites de tel ou tel candidat, ou de tel ou tel parti ; dans les municipalités avec une forte proportion de Français, les différentes listes ont pris soin d’insérer un nom français qui puisse attirer l’électorat venu de France, et à Raanana, par exemple, la communauté française s’est même organisée pour présenter une liste indépendante.

La pertinence de telles initiatives peut être débattue. Il existe un vrai risque qu’elles maintiennent les Français d’Israël dans leur statut de communauté minoritaire au lieu de les aider à se fondre dans la société israélienne dans son ensemble. Il faut néanmoins reconnaître que c’est ainsi que fonctionne la politique en Israël. Les différentes communautés du pays ont, notamment au cours des dernières décennies, souvent fait valoir leurs droits dans le monde politique grâce à la création de lobbys internes aux partis existant voire par la création de partis sur une base uniquement communautaire.

La tendance actuelle pourrait de plus conduire à une amélioration concrète de la situation des citoyens israéliens d’origine française.

N’ayant ni la puissance numérique des russophones, ni la puissance financière des communautés anglo-saxonnes, les Franco-israéliens ont une position ambigüe dans la société israélienne qui les enferme souvent dans un rôle mi pittoresque mi grotesque.

Ainsi, la jeunesse israélienne a passé l’été à danser sur un tube nommé « Comme ci, comme ça », en français dans le texte, qui est lui-même la continuation d’une campagne publicitaire reprenant tous les clichés que peuvent avoir les Israéliens sur les Français (présentés comme niais, un peu trop enthousiastes, et inadaptés aux réalités israéliennes). Cela résume bien ce que sont encore trop souvent les franco-israéliens en Israël : difficilement intégrés, rarement pris au sérieux et peu entendus.

Les différentes élections qui arrivent semblent donc, dans ce contexte où les différents candidats veulent attirer à eux le vote français, être le moment où la communauté française d’Israël passe du statut de communauté marginale à celui d’électorat à satisfaire.

Encore une fois, on pourrait souhaiter qu’Israël fonctionne selon un modèle politique plus universaliste qui laisserait moins de place à la communauté dans le rapport entre les citoyens et l’Etat. Mais dans l’état actuel des choses, l’affirmation de la communauté franco-israélienne en tant qu’acteur politique qui compte, et donc acteur social à prendre en considération pourrait permettre un certain nombre d’avancées pour une population qui connaît des difficultés certaines dans son intégration à la société israélienne.

En somme, 5779 s’annonce particulièrement chargée, particulièrement intense et particulièrement intéressante, tant pour le monde politique israélien, local comme national, que pour la société israélienne tout entière, et la communauté française du pays en particulier.

Shana tova et bon courage à tous !

à propos de l'auteur
Rémi Daniel est ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure de Paris (promotion B/L 2010) où il a étudié au département d'histoire (mineure "Etudes turques"). En parallèle, il a obtenu un master d'histoire à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne. Dans le cadre de ses études il a étudié à l'Université du Bosphore (Bogazici Universitesi) d'Istanbul en 2012-2013. Après son service militaire dans l'unité d'infanterie du Nahal, il est, depuis septembre 2016, doctorant en Relations Internationales à l'Université Hébraïque de Jérusalem, avec les relations entre Ankara et Jérusalem comme sujet de recherches. Il intervient régulièrement sur i24 pour commenter l'actualité en Turquie et dans le Moyen-Orient.
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