Une énigme historique bientôt élucidée

Une statue de bronze de l'empereur romain Hadrien retrouvée à Tel Shalem, dans le nord d'Israël, à l'exposition du musée d'Israël qui a ouvert le 22 décembre 2015. (Crédit : Moti Tufeld)
Une statue de bronze de l'empereur romain Hadrien retrouvée à Tel Shalem, dans le nord d'Israël, à l'exposition du musée d'Israël qui a ouvert le 22 décembre 2015. (Crédit : Moti Tufeld)

En 115, la grande révolte juive contre Rome s’étendit de la Tripolitaine à Alexandrie, Chypre et en Mésopotamie. L’empereur romain Trajan réprima brutalement cette révolte, décimant plusieurs communautés juives de la Méditerranée orientale. En 117, le nouvel empereur Hadrien chercha à apaiser les tensions avec les peuples de l’Empire romain. Il adopta des mesures visant à maintenir la paix, y compris en Judée. Il renforça le culte des empereurs déifiés et l’adoption de la culture grecque au sein de l’empire.

En 117, la situation semblait s’être apaisée en Judée, mais en 130, une nouvelle révolte fut conduite par Bar Kochva contre Rome. Pourquoi cette révolte éclata-t-elle en 130, et pourquoi l’empereur Hadrien, qui régna de 117 à 138 EC, changea-t-il soudainement de politique en 132, allant jusqu’à effacer Jérusalem de la carte ? Cette énigme est sur le point d’être résolue.

L’empereur Hadrien : une personnalité complexe

Contrairement à des empereurs notoires comme Caligula et Néron, qui appartenaient à la dynastie flavienne corrompue et sanguinaire, la dynastie post-flavienne du deuxième siècle fut une ère relativement calme, marquée par la dynastie stable des cinq empereurs : Nerva, Trajan, Hadrien, Antonin le pieux et Marc Aurèle.

Né en l’an 76 d’une famille romaine originaire d’Espagne, Hadrien faisait partie de l’entourage de l’empereur Trajan qui régna de 97 à 115 EC. Il maîtrisait parfaitement le grec, composait des poèmes et des proverbes, et aurait écrit son autobiographie, citée par plusieurs historiens romains et byzantins. Hadrien améliora les conditions de vie des militaires, partagea leurs repas et bains, et élimina les dettes. Il restaura de nombreux temples à Athènes, agrandit le Panthéon romain, construisit un mur en Grande-Bretagne, ainsi que des théâtres, thermes, arènes et temples en grand nombre. Il fonda des villes portant son nom, telles qu’Adrianopolis au nord du Bosphore, et Aelia (du nom de famille d’Hadrien) à Jérusalem.

L’accession au pouvoir d’Hadrien reste ambiguë : fut-il vraiment déclaré fils adoptif de Trajan ou s’agit-il d’une nomination rétroactive orchestrée en 117 par la femme de l’empereur défunt ? Quoi qu’il en soit, il fut reconnu empereur par les légions puis par le Sénat. Une fois au pouvoir, Hadrien chercha à consolider les frontières de l’Empire, promulgua la justice, et fit même construire des temples en l’honneur de son amant Antinoüs, qu’il divinisa.

Reconnu comme un érudit et un dirigeant juste dans l’histoire, Hadrien est également connu pour sa répression sévère en Judée. Dans l’ouvrage byzantin « Historia Augusta », Hadrien est décrit comme un dirigeant à la fois sévère et bienveillant, rapide et lent, généreux et avare, franc et secret, droit et fourbe, cruel et miséricordieux, et lunatique en toutes choses. Il est qualifié de « Semper in omnibus varius » (toujours variable en tout).

La révolte juive de 130 EC

Au début de son règne, Hadrien engagea de nombreux échanges avec les rabbins de son époque, dont Rabbi Yehoshoua Ben Hanania, sur des thèmes tels que le monde futur, les anges, mais il finit par interdire la circoncision. Il envisagea également la reconstruction du temple de Jérusalem, mais sous des conditions qui la rendaient irréalisable.

La nouvelle révolte juive fut menée par Bar Kochva en 130. Ce dernier prit avantage des passages souterrains de Judée, et les pertes romaines furent importantes. Il redistribua les terres, établit des tribunaux, frappa sa propre monnaie et établit son quartier général à Kouziba. Il prit le titre de Nessi Israel, prince d’Israël. La monnaie judéenne porta l’inscription « Année 1 de la Rédemption d’Israël », ou encore « Pour la libération d’Israël ».

Bar Kochva fut une personne autoritaire qui exigeait une obéissance totale. Il fut perçu comme un messie : son nom signifiant étoile faisait écho au verset 24-7 des Nombres : « un astre s’élance de Jacob, et une comète surgit du sein d’Israël, qui écrasera les sommités de Moab et renversera tous les enfants de l’orgueil… Et Israël triomphera ».

Des pourparlers furent engagés avec les autorités romaines. Or, la trêve fut de courte durée. Hadrien dépêcha plus de 35 000 légionnaires et rappela le général Sextus Julius Severus de Bretagne (la Grande Bretagne d’aujourd’hui) pour réprimer la révolte. La rébellion de Bar Kochva se termina tragiquement en 134, après la chute de la ville-forteresse de Betar. Selon l’historien romain Cassius Dio, Jérusalem fut entièrement détruite.

Une nouvelle ville, Aelia Capitolina, fut construite sur ses ruines, avec un temple dédié à Jupiter, et les Juifs furent interdits d’y séjourner. Hadrien ordonna de renommer la Judée Syria Palaestina. Environ 985 villages et 50 forteresses furent rasés et 585 000 personnes périrent dans les combats. Les survivants furent exilés pour être vendus en esclaves.

Qu’est-ce qui a poussé les Juifs à se révolter en 115 et en 130 ?

En 115, l’animosité entre les communautés juives et grecques s’est intensifiée jusqu’à virer à la violence, bien que les raisons précises de ce conflit restent floues. Il est important de noter qu’en Tripolitaine vivaient les descendants d’une importante communauté juive, installée là pour protéger les frontières de l’Égypte sous la dynastie des Ptolémées. Au IIIe siècle AEC, 30 000 Judéens avaient été enrôlés pour défendre la frontière sud de l’Égypte à Éléphantine, et son flanc ouest en Cyrénaïque. Après la destruction du Temple de Jérusalem par Titus en 70, 30 000 Juifs furent vendus comme esclaves, rien qu’à Carthage. Le monde juif était alors engagé dans le rachat des exilés, et les conditions difficiles de ces esclaves pourraient avoir été l’étincelle qui déclencha ces hostilités.

En 130, le projet d’Hadrien de reconstruire le Temple de Jérusalem fut modifié pour inclure l’érection d’une statue à son effigie, ce qui fut perçu comme un sacrilège par les Judéens. Bien que des pourparlers initiaux aient semblé prometteurs, la violence éclata de nouveau. Les signes extérieurs juifs furent interdits. Le rôle respectif de Bar Kochba, chef militaire de la révolte, ainsi que celui du grand prêtre et des rabbins tels que Rabbi Aqiva, reste difficile à cerner avec précision.

Une page d’histoire enfin élucidée ?

Les raisons du revirement radical d’Hadrien et des mesures drastiques qui suivirent en Judée sont encore mal connues. Comment cet empereur, judéophile au départ, en arriva à faire subir à la Judée un traitement d’une sévérité à nulle autre pareille ? La publication prochaine des archives de Bar Kochva, analysées par le Dr Eshel, devrait apporter un éclairage nouveau sur cette période tragique.

Le processus de déchiffrement et d’agencement de ces inscriptions est en cours. Il est crucial pour identifier les lieux et les personnalités de l’époque et enrichir notre connaissance d’une époque critique de l’histoire juive.

à propos de l'auteur
Dr. David Bensoussan est professeur d’électronique à l’École de technologie supérieure. Il a été président de la Communauté sépharade unifiée du Québec et a à son actif un long passé d’engagement dans des organisations philanthropiques. Il a été membre de la Table ronde transculturelle sur la sécurité du Canada. Il est l’auteur de volumes littéraires dont un commentaire de la Bible et du livre d’Isaïe, un livre de souvenirs, un roman, des essais historiques et un livre d’art.
Comments