Un voyage dans l’émotion
Le fantôme du judaïsme d’Europe Centrale rôde en Tchéquie, son exploitation touristique met mal à l’aise, mais assure la survie des monuments, même les cimetières ne sont pas entièrement abandonnés. L’émotion peut encore se sentir là où les touristes ne sont pas trop nombreux. Demain, en France, que deviendront nos communautés de province si l’exode continue ? Serons nous aussi des fantômes exploités touristiquement ?
La République Tchèque ne figure généralement pas sur les catalogues des voyagistes, on peut trouver des weekend à Prague, quelques rares tours en autocar en Bohème du Sud, et c’est à peu près tout, aussi je me suis déguisé en organisateur de voyage, et profitant d’une belle voiture toute neuve mon épouse et moi avons quitté la cité des Ducs de Bourgogne pour la vie de Bohème. Après une halte à Strasbourg, où mon père est enterré, rue Clause, dans un petit cimetière juif privé et bien entretenu, nous avons retrouvé le Rhin, et perdu la liaison internet.
Nous redoutions un peu l’Allemagne, non pas en raison d’un passé dramatique, mais parce que nos cousins germains ont une prédilection pour la viande de cochon, ce qu’un bon juif n’apprécie guère. Nos craintes se sont vite envolées, on trouve partout des pizzérias, et la cuisine européenne s’harmonise lentement. Au château d’Heildelberg nous nous sommes sentis moins seuls, grâce à un groupe de touristes israéliens. Leur guide parlait hébreu, on n’y comprenait rien, mais la présence de cette langue, a été ressentie comme un rayon de soleil rafraîchissant sous la canicule d’une journée d’orage. Le lendemain, au cours d’une pose pipi dans la charmante petite ville de Mosbach dans le pays de Bade, nous avons été attirés par la Synagoguenplatz.
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Il ne restait de la Shule qu’un petit monument, indiquant le lieu, et tout autour, une nuée de petites têtes blondes, sorties soit de leur école, soit d’un centre aéré, qui devaient répondre à un quiz justifiant leurs connaissances sur la synagogue et son histoire.
Nous avons ensuite traversé l’Allemagne du Sud, jusqu’à Bayreuth, sans chercher ni rencontrer de traces du judaïsme, et nous en avons rejoint Mariánské Lázně
Cette année à Marienbad
La station thermale de Mariánské Lázně n’a rien perdu de son charme, beaucoup plus agréable et moins cher que Karlovy Vary (ex Karlsbad), on y trouve des glaces à vous couper le souffle, des Strudel comme il n’y en a pas à Vienne, et de la chantilly qui ferait honte à la barbe du père Noël. Une stèle couverte de cailloux déposés par des touristes signale l’emplacement de l’ancienne synagogue détruite par les nazis. C’est dans le petit train touristique qui fait le tour de la ville que nous l’avons découvert, le guide l’a mentionné, en tchèque bien sûr, et nos voisines ont longuement commenté, elles parlaient Russe, et le mot «synagogua» revenait souvent dans leur dialogue. Le petit train a fait une halte dans une guinguette au milieu d’un parc splendide en haut de la ville, « on » nous avait dit qu’il y avait dix minutes de poses, alors nous avons papillonné à la recherche de belles photos. A notre retour, il n’y avait plus que les deux touristes russes qui attendait, le petit train suivant, « on » nous avait oublié.
En fait, elles étaient israéliennes, nous avons partagé un repas « en famille », et compati avec une de nos nouvelles amies qui faisait une cure ici. Elle tenait tellement à manger cachère, qu’elle cherchait désespérément du poisson cuit « Al haèche » sur le grill. La truite ne l’était pas, mais on a fait comme si.
Le Musée de la porcelaine
En route pour Prague, notre regard a été attiré par un musée de la porcelaine dans un chateau à klášterec nad ohří, Nous y avons vu de très beaux objets, en particulier des biscuits.
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Prague, belle et rebelle
L‘exubérance de la Capitale Tchèque transpire la liberté, Prague n’est pas normalisée comme Vienne, la ville impériale. A Prague, tout est repeint à neuf, les sculptures innombrables bichonnées, souvent colorées, l’art déco est le roi, le rococo le prince, le style moderne le dauphin ! ! et les touristes font la cour. Ils pullulent, et on y entend même parler français, ce qui n’est pas le cas ailleurs en république Tchèque.
Le judaïsme tchèque a été assassiné pendant la guerre à 90 %. Les synagogues sont trop nombreuses pour la population juive restante, certaines dans les quartiers périphériques, comme celle près du métro « Palmovka » semble abandonnée.
Une autre très bien conservée dans le même quartier est transformée en temple Hussite.
S‘il existe dans la ville une communauté Massorti, et une petite communauté Libérale, la grande communauté est orthodoxe, elle compte 1400 membres, et se porte bien.
Comme en France, les juifs tchèques habitent pour plus de 50 % dans la capitale. Le shabbat, il y a plusieurs offices, j’ai pu assister à la prière dans la synagogue du Jubilée, rue de Jérusalem. C’est un bâtiment superbe de la fin du XIX ième siècle, entièrement restauré.
Pour entrer, il faut montrer patte blanche, on m’a demandé des papiers d’identité que je n’avais pas, alors le vigile m’a posé toutes sortes de question, et en fin de compte m’a laissé entrer.
L’office a lieu au premier étage, dans une salle petite, à côté du balcon des dames qui surplombe la grande synagogue. Cette petite salle est aussi richement peinte que la grande shule, ou que la facade extérieure, je ne puis vous la montrer, il aurait été indécent de photographier le shabbat pendant l’office !
Les dames étaient au balcon, une loge, comme dans un théâtre, au même niveau que les hommes, bien visibles mais dans un espace franchement séparé. L’assistance composée d’une trentaine de personnes était bien équilibré, très peu d’enfant, et une pyramide des âge convenable, la prière ashkenaze, comme il se doit, a été très agréable à suivre, le public chantait juste, et on sentait une véritable participation de la salle au culte. Il y avait bien quelques rares touristes, en particulier un israélien qui a mené la prière un petit moment, mais la majorité était tchèque, et certains fidèles, parmi les plus absorbés par la prière semblaient être des convertis de fraîche date.
A la fin de l’office, nous avons eu droit à un kiddoush avec un excellent vin blanc cachère de Moravie, et en prime une drasha (commentaire de la thora) en tchèque, discours tellement profond que je n’en ai pas vu le fond, ni la surface d’ailleurs. Profitant du discours, je me suis éclipsé pour admirer le temple, le shabbat c’est gratuit, pour ceux qui assistent à l’office, je vous l’ai toujours dit, les juifs ont des combines !
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L‘ancien quartier juif de Prague a été détruit, mais les principaux monuments ont été sauvés, en particulier l’Alt-Neue-Shule, la synagogue espagnole, le vieux cimetière où est enterré le Maharal de Pragues. Toutes les visites sont payantes, et un circuit juif complet nécessite un certain budget que je n’étais pas décidé à mettre. Je comptais aller prier sur la tombe du Maharal, mais payer pour aller dans un cimetière était au dessus de mes forces. Philosophiquement, je comprends, je préfère que les gens paient, et que les bâtiments soient entretenus, plutôt qu’ils tombent en ruine ou soient transformés en garage, mais voir nos sanctuaires transformés en pompe à fric me met mal à l’aise. Notre vieille communauté de Dijon est en perte de vitesse, car nos jeunes s’en vont les uns après les autres pour habiter Paris ou partent en Israël, nous avons aussi une très belle synagogue, je frémis à l’idée qu’un jour elle risque d’être praguisée, refaite à neuf et toute pimpante, et pleine de touristes.
Heureusement, on peut se promener dans les rues, et voir les monuments, dont la statue de Kafka (voir plus haut), et même y faire des rencontres extraordinaires, comme celle du Golem.
Le grand musée de Prague est fermé pour travaux en ce moment, mais à côté, il y a le musée moderne, où nous avons admiré une exposition extraordinaire sur la première guerre mondiale, des objets curieux de la vie, et des marionnettes au type juif relativement prononcé :
Mais n’allez pas croire que Prague n’est qu’une ville juive, la richesse de ses monuments est époustouflante,
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Sur le pont Charles, se dresse une étrange statue, elle représente le Christ en croix, entouré de phrase en hébreu, et on peut lire en haut « Kadosh » qui veut dire «saint». En bas «Dieu des armées» , et sur chaque bras de la croix Saint. Il y a aussi les initiales latines INRI qui signifie : Jésus le Nazaréen, roi des Juifs.
Un Juif de Prague, Elias Backoffen, aurait manifesté son mépris, en passant devant le Crucifix et en 1696, le tribunal l’avait condamné alors à financer, en compensation de la diffamation, ce texte en lettres dorées. Cette décision montre bien l’intolérance de l’époque, vu que le judaïsme ne peut pas accepter l’idée qu’un homme soit déifié, cet hommage sous la contrainte deshonore ceux qui l’ont imposé.
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Les communautés disparues
Au Sud de Prague, il y a la ville de Tábor , fondée au XVe siècle, comme une cité exemplaire d’égalité entre tous ses habitants, elle a été baptisée par référence au mont Thabor, près de Nazareth en Israël. Ses fondateurs, tous membres du mouvement réformateur hussite, l’ont construite avec l’intention de fonder une nouvelle forme de société, refusant les lois des hommes et dirigée uniquement par les lois divines. Près du centre ville, il y a une grande pelouses avec des arbres, et au milieu, un monument isolé, on peut lire en hébreu «cimetière des juifs de Tabor, qui ont été exterminés en 1941»
Třebíč, le plus grand Shtetl de Tchéquie
Nous avons eu beaucoup de mérite à visiter Třebíč, le sort voulait nous interdire d’y arriver. si les routes tchèques sont régulièrement entretenues, et si les chaussées sont généralement d’excellente qualité, elles sont étroites, sinueuses, et surtout il n’y a pas de bas côté. Si bien que croiser un camion près d’un tournant est une opération périlleuse, il est interdit de tenter de mordre sur l’herbe au bord de la route sous peine de se trouver dans le fossé, alors que la vitesse réglementaire, comme en France est de 90 km/h, il faut compter une moyenne de 45 km/h quand tout va bien, et ce jour là, rien n’allait bien, les ponts et chaussé locaux avait tout simplement barré la route, et toutes les routes parallèles que nous avons tenté de prendre. Bien sûr il y avait une déviation, à choisir bien en amont, mais nous ignorions le sens de ces flèches noires sur fond rouge, avant d’en comprendre, hélas trop tard la signification profonde. Maintenant, nous savons, et comme me l’a appris mon beau frère, l’expérience est un peigne qu’on vous donne quand vous n’avez plus de cheveux.
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Voyez dans la photo du haut, le mur qui est devant les fidèles, dans la synagogue de Třebíč. Le trou dans le mur où se trouvaient les séphers thora, est vide aujourd’hui, le temple a été désacralisé. On peut y lire ssur le mur, en haut : « Saches devant qui tu te trouves ». Plus bas, c’est le mur du fond, où on voit la galerie des dames. Au dessus de chaque ouverture, il est écrit « écoute ! » ces dames bavardaient-elles au lieu de prier ?
Plus sérieusement, on peut lire en haut, en araméen « Prépares toi pour la prière du Chema trois fois », Le Shema est « le » crédo juif par excellence, c’est un extrait de la Tora qui commence ainsi « Chema Israël… Ecoute Israël ! ! l’Eternel notre Dieu, l’Eternel est un ! « , on dit ce texte trois fois par jour, le matin, le soir et avant de se coucher.
Il existe une autre synagogue à Třebíč qui date du XIX ième siècle, elle est toujours en service, elle sert au culte des protestants Hussites.
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On peut voir à l’intérieur de la Shule, une sorte de bénitier destiné à purifier les Cohen avant qu’ils ne procèdent à la bénédiction de l’assistance. Une maquette du shtetl est présentée, elle donne bien l’image du quartier juif, qui n’a pas de beauté particulière, les gens vivaient simplement, j’ai toujours été étonné par la pingrerie des pauvres qui ne se construisent jamais de châteaux admirables.
Je dois avouer avoir été particulièrement ému en visitant cette ancienne synagogue, cette simplicité m’a fait ressentir une présence invisible, et j’y ai senti un appel à la prière, l’âme des anciens rodaient encore dans les parages.
Český Krumlov, Salzburg et le retour
Český Krumlov est la perle de la Bohème du Sud, il y a un château extraordinaire, avec des fossés profonds et rocheux, on est déjà dans les contreforts des Alpes, et au fond des fossés au lieu d’y lancer les resquilleurs qui veulent visiter le château sans payer, on a mis des tomates, des carottes et du pain pour nourrir les ours, les traditions se perdent.
Ci dessus, le château de Český Krumlov et un de ses ours, il faut le visiter, (Le chateau bien sûr, pas l’ours, je ne suis pas sûr que sont accueil soit à la hauteur de vos espérances), le théâtre du château est absolument extraordinaire.
Il y a aussi une synagogue ancienne dans la ville, elle est fléchée, mais nous ne l’avons aperçu qu’au moment du départ, elle ne semblait présenter d’intérêt particulier, mais sa présence montre l’intéret de la Tchèquie pour le tourisme juif. Les israéliens sont relativement nombreux ici, et on en rencontre plus que de français (sauf probablement à Prague), les bureaux de change côtent le Shekel, et parfois le soulignent en hébreu.
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Nous sommes rentrés en passant par l’Autriche, en Tchéquie, nous avons traversé d’immenses forêts, et des gens vendaient des myrtilles et des champignons, puis après la frontière, les routes se sont élargies, nous avons fait une longue halte à Saltzbourg, et avons été étonné par le marché, on y trouvait un nombre incalculable de marchands de charcuteries de toutes sortes, et beaucoup de stands où les gens cassaient la croûte… Une fois arrivé à la maison, que nous reste-t-il ?
Le souvenir d’un oiseau tchèque, qui nous demande de revenir bien vite !