Un septième jour interminable

Ces jours-ci, Israël a fêté le 50e anniversaire de la victoire de la guerre des Six Jours. Des guerres, Israël en a connu beaucoup depuis sa création, trop sûrement. Mais celle-ci restera comme une exception et cela pour deux raisons.

La première tient à ses circonstances. Elle éclate un matin de juin, après plusieurs semaines d’une tension sans précédent, où les images des habitants creusant des tranchées dans les villes ravivent des souvenirs encore vifs dans la mémoire juive.

Et six jours plus tard, après une victoire jamais égalée dans l’histoire récente, Israël passe de l’angoisse d’une seconde Shoah au contrôle d’un empire régional, et cela vingt-deux ans seulement après la libération d’Auschwitz. Cinquante ans après, on peut encore mesurer, dans l’inconscient collectif israélien, les traces d’une telle expérience traumatisante – qui doivent être prises en compte si l’on veut comprendre les comportements politiques de la population depuis.

Pourtant l’attente dominante dans le pays alors est, compte tenu justement de l’ampleur de la victoire, de voir les pays arabes accepter de signer un accord de paix en échange de ces territoires qui leur seraient restitués.

En effet, à l’exception de quelques voix marginales au sein du mouvement sioniste religieux, les dirigeants de l’époque n’envisagent pas de les conserver, en dehors de quelques enclaves comme celle de Latroun, où Israël s’est empressé de raser les quatre villages arabes existants, et évidemment la Vieille Ville de Jérusalem, corrigeant ainsi la frontière de 1948 et parachevant la guerre d’Indépendance en intégrant complètement Jérusalem au sein du territoire israélien.

L’autre singularité de cette guerre, c’est qu’elle confronte Israël à son passé : antique d’abord. En redécouvrant les lieux les plus saints du judaïsme, où se sont déroulés les épisodes marquants de l’histoire biblique, les Israéliens amorcent dans leur identité nationale un tournant qui va aller s’amplifiant.

La culture pionnière et laïque dominante d’alors va évoluer vers une identité où la religion prendra une place de plus en plus importante. Et dans l’euphorie ambiante, suite à cette victoire « miracle », la frontière entre passé et présent sera gommée, comme le sera progressivement celle entre Israël et les Territoires.

Les généraux de Tsahal vont entrer dans l’histoire juive à la suite des héros mythiques de la Bible. Et au sionisme de la construction et du compromis, qui avait rendu possible la création de l’État, succèdera celui de la force et de la conquête, où la notion de libération sera appliquée non à des personnes mais à des terres, déformant ainsi l’idée même du sionisme.

Mais cette guerre va surtout confronter Israël à son passé plus récent, celui de ses origines. Cette « question palestinienne », qu’il avait voulu occulter depuis 1948, va devenir une réalité concrète quand il découvrira et devra administrer cette population, pour partie descendante des réfugiés de 1948, et qui vit dans ce territoire dont le choix du nom est tout un symbole : Judée-Samarie pour les uns, Palestine pour les autres, Cisjordanie en français de façon plus neutre – West Bank en anglais, en opposition à une East Bank devenue la Jordanie.

Cinquante plus tard, le paysage physique et humain de ce territoire a changé. Plus de 600 000 Israéliens s’y sont installés dans 131 implantations dont certaines sont des villes de plusieurs milliers d’habitants et auxquelles se sont ajoutées, depuis les accords d’Oslo, une centaine de colonies illégales au regard même de la loi israélienne.

Des routes destinées uniquement à la population israélienne, pour lui permettre de rejoindre les centres urbains du pays tout en lui masquant la présence palestinienne, le coupent d’Est en Ouest. Une barrière de séparation, qui par endroits est un mur de plusieurs mètres de haut, court le long de la ligne verte, enclavant la plupart des implantations limitrophes.

Mais ce mur, qui les protège, permet aussi aux Israéliens d’ignorer la réalité de l’occupation que des milliers de Palestiniens doivent subir tous les jours et que l’on préfère ne pas voir, comme l’éléphant au milieu du magasin de porcelaine. Cette occupation, que des gouvernements de droite comme de gauche ont encouragée sous la pression du lobby des colons, a fini aujourd’hui par gangréner progressivement la société israélienne, compromettant ses valeurs constitutives.

Certes, on peut se rassurer en s’appuyant sur les sondages qui, régulièrement, montrent qu’une majorité des deux populations soutient toujours la solution des deux États. On peut se réconforter en constatant que les Israéliens installés en Cisjordanie, en dehors des 200 000 vivant dans les quartiers Est de Jérusalem, ne représentent que 4 % de la population israélienne et seulement 13 % de celle des Territoires, preuve s’il en faut que la situation est encore réversible.

Mais plus le temps passe et plus il sera difficile de revenir en arrière. La majorité des Israéliens sont nés après 1967 et ignorent l’emplacement, voire l’existence même de la Ligne verte.

Ils vivent ce septième jour d’une guerre d’il y a cinquante ans, répétant, comme dans le film « Un jour sans fin », un même scénario où se reproduisent chaque jour les tragédies quotidiennes de l’occupation.

à propos de l'auteur
David Chemla est Secrétaire général européen de l'Association JCall, qui rassemble les citoyens juifs européens et les amis d'Israël, partageant un lien indéfectible avec l'État d'Israël et un profond souci de son avenir, qui aspirent à une paix au Proche-Orient fondée sur un accord entre Israéliens et Palestiniens, selon le principe «deux peuples, deux États»
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