Un projet d’alyah

La ministre israélienne de l'Intégration des Immigrants Sofa Landver et Natan Sharansky, alors président de l'Agence juive, à l'arrivée des juifs français ayant fait l'Aliya, à l'aéroport international Ben Gourion le 10 juillet 2017. Photo de Nati Shohat / Flash90
La ministre israélienne de l'Intégration des Immigrants Sofa Landver et Natan Sharansky, alors président de l'Agence juive, à l'arrivée des juifs français ayant fait l'Aliya, à l'aéroport international Ben Gourion le 10 juillet 2017. Photo de Nati Shohat / Flash90

Chronique Radio J. du 22 Mai 2025.

C’est une lettre d’alyah qui constitue ma chronique d’aujourd’hui. Elle n’est pas la réaction à des actes ou des paroles antisémites ni le fruit d’un enthousiasme infini, moins encore d’un rejet de la France. Je ne donne pas le nom de son autrice, que certains reconnaitront.

J’ai trouvé que, dans son refus d’illusions, ce texte montre que l’alyah, quelles que soient les options personnelles, politiques ou religieuses, de celui ou celle qui s’y engage, est avant tout le choix d’un certain dépassement ; il s’agit de donner un sens à sa vie, assumer le passé et partager le futur.

Voici cette lettre :

Ca y est, nous avons pris une décision importante : cet été, nous partons vivre en Israël !

Cette décision n’est pas anodine et ceux qui me connaissent savent qu’elle était loin d’être évidente. Je ne l’avais jamais sérieusement envisagée jusqu’à ce qu’elle s’impose à moi comme une évidence.

Je ne sais quoi répondre quand on me félicite ou qu’on m’interroge sur le choix de retirer mes enfants d’un environnement paisible et confortable, pour les amener dans un pays en guerre et en deuil, dont ils ne connaissent ni la langue, ni les codes et que le monde entier honnit et conspue avec une haine souvent viscérale.

Ceux qui ont une lecture de l’identité juive un peu distante ont souvent du mal à en comprendre les nombreux paradoxes : comment peut-on être profondément Juif sans croire en Dieu, profondément sioniste en rejetant la politique du gouvernement ; comment peut-on soutenir Tsahal et vouloir la paix, comment peut-on se dire sioniste et pro-palestinien ? Comment peut-on aimer la France et la quitter ? Comment peut-on craindre pour la survie d’Israël et y plonger ses enfants…???

Dans mon esprit d’ashkénaze pessimiste, si le pire est certain, la seule question qui mérite d’être posée est comment s’y préparer au mieux possible. Longtemps, nous avions envisagé de partir loin des conflits que le monde s’apprête à vivre. Nous avons pensé au Canada, à la Floride ou au Brésil… Mais en vérité notre seul refuge, c’est Israël. Et si ce refuge est lui-même en danger, alors notre place est là bas, pour apporter notre petite pierre à un pays qui est aussi une idée, et qui aujourd’hui risque d’être détruit de l’intérieur autant que de l’extérieur…

La décision de partir s’était immiscée dans notre esprit après les élections législatives. La France sera écartelée entre une extrême droite et une extrême gauche qui ont beaucoup en commun, à commencer par le fait d’abriter certaines personnes, élus et électeurs, qui haïssent plus ou moins ouvertement les Juifs et Israël. L’histoire nous a appris que quand ça pue la merde c’est qu’elle n’est pas loin, et que, étrangement, les Juifs sont souvent les premiers à se la prendre dans la gueule. Plutôt que de choisir entre la peste et le choléra, il vaut mieux partir.

Et en même temps… Je ne veux pas laisser croire que je « quitte » la France ; je suis profondément française dans ma culture et mes valeurs, j’ai une reconnaissance infinie pour l’accueil qu’elle a fait à mes grands-parents, pour l’éducation, la sécurité et les opportunités qu’elle nous a offertes. J’espère ne jamais dénigrer ce pays qui m’a tant donné !

Je ne quitte donc pas la France par rejet et je ne rejoins pas non plus Israël par idéal sioniste et espoir d’un avenir meilleur. Si je suis honnête, la raison profonde est peut être plus simple et égoïste : nous avons besoin d’un nouveau souffle, d’ouvrir un nouveau chapitre et de recommencer à faire des projets, à nous engager, à agir et à donner du sens à ce que nous faisons…

Je ne me fais pas d’illusions sur Israël. La réalité y est dure, les fractures sont profondes, les manières de se sentir Juif et les valeurs qui s’expriment sont souvent éloignées des miennes. Il y a au pouvoir des opportunistes sans scrupules et des racistes fanatiques, les tensions entre religieux et laïques menacent la cohésion du pays et les perspectives de paix et de cohabitation avec les Palestiniens font figure d’un mirage, au mieux naïf, au pire suicidaire.

Et pourtant, malgré cela, nous avons décidé d’y déposer nos bagages, d’y construire notre avenir et celui de nos enfants, car malgré ses contradictions, ses douleurs et ses dérives, Israël reste notre seul et unique ancrage. Il y a mille façons d’être Juif, mais Israël est unique…

Il est difficile de s’installer dans un pays en guerre, plus difficile encore quand ce pays est critiqué de toutes parts… Et Israël n’a jamais été aussi critiqué qu’au cours de la semaine où ce texte a été écrit.

On a même vu des citoyens israéliens prestigieux porter des accusations dramatiques. Car je suis abasourdi par ce que viennent de dire certains opposants politiques au gouvernement, et en particulier Yair Golan, chef du Meretz…

S’il prouve que ce qu’il a dit est vrai et, si ces faits ignobles (s’amuser à tuer des bébés palestiniens) n’ont pas été très lourdement punis, c’est catastrophique pour l’image que nous avons d’Israël. S’il ne le prouve pas, cela détruit l’image très respectable jusque-là du général Golan lui-même, héros du 7 octobre, qu’elle place au niveau le plus méprisable de la diffamation politique.

Le hasard a voulu qu’au cours de la même semaine, nous ayons appris l’ampleur des ambitions des Frères musulmans pour la France. Que ce soit dans le rapport déclassifié issu de l’enquête provenant des services de renseignement et adressée au Ministre de l’Intérieur, ou à Fondapol, dans le témoignage du Préfet des Hauts de Seine, ancien directeur de cabinet du Ministre de l’Intérieur, les conclusions se rejoignent : les objectifs des Frères musulmans en France ne relèvent pas d’un projet séparatiste, mais ils visent à une domination culturelle – et à terme, politique – du pays.

Celle-ci, cela va sans dire, serait incompatible avec le maintien de toute présence juive en France… Il suffit de ne pas oublier que les Frères musulmans ont été pendant la guerre de très fidèles alliés des nazis et se rappeler ce que le Hamas, qui est un fleuron frériste[1], a fait le 7 octobre 2023…

Dr Richard Prasquier
Président d’honneur du Keren Hayessod France

[1] NDLR : Charte du Hamas, Article deuxième : « Le mouvement de résistance islamique [Hamas] est l’une des ailes des Frères musulmans en Palestine. Le Mouvement des Frères musulmans est un organisme mondial, le plus important des mouvements islamiques de l’époque moderne; il se distingue par la profondeur de son mode compréhension, la précision de son mode de représentation et l’universalisme parfait des concepts islamiques qui s’appliquent à l’ensemble des domaines de la vie, aux représentations et aux croyances, à la politique et à l’économie, à l’éducation et à la vie sociale, au judiciaire et à l’exécutif, à la mission et à l’enseignement, à l’art et à l’information, à ce qui est caché comme à ce qui est manifeste et à tous les autres domaines de la vie. »

Le Hamas (en arabe : حماس) est l’acronyme partiel de harakat al-muqâwama al-‘islâmiya (en arabe : حركة المقاومة الإسلامية, littéralement « Mouvement de résistance islamique »). Le terme Hamas en lui-même signifie littéralement « zèle », « enthousiasme », « ferveur », voire « exaltation ».

à propos de l'auteur
Depuis sa création en 1920, et à partir de 1948 en partenariat avec Israël, le Keren Hayessod, a joué le rôle principal dans la construction et le développement du pays, dans le sauvetage et l’intégration des Juifs nouveaux immigrants, ainsi que dans la lutte contre la fracture sociale. Seule organisation de collecte de fonds qui fonctionne en vertu d’une loi votée par la Knesset en janvier 1956, de nombreux projets ont été menés, tels que l’organisation de l'alyah de millions de olims et leur intégration, la mise en place de centaines de programmes sociaux, éducatifs et culturels innovants destinés aux populations défavorisées, mais aussi le renforcement de l’identité juive de milliers de jeunes en diaspora, à travers des programmes tels que Massa, Taglit ou Bac Bleu Blanc. Le Keren Hayessod existe dans 45 pays du monde et a œuvré en France sous le nom d'Appel Unifié Juif de France jusqu'en 2013. Depuis octobre 2013, le Keren Hayessod existe de façon autonome. Présidé par le Dr Richard Prasquier jusqu'en janvier 2020, il est aujourd'hui présidé par Judith Oks et Dan Serfaty.
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