Un original d’Isaac Orobio sauvé par Leibniz

Les modernistes antireligieux qui exaltaient Spinoza comme un « martyr innocent » de la libre-pensée, ou Newton, comme un « prophète » du matérialisme, ont « cancelé » au panthéon de l’histoire la réputation d’Isaac Orobio.
Isaac Orobio, le premier anti-moderne, a été marginalisé pour avoir plaidé en faveur de la scolastique (maïmonidéenne), « une fille du judaïsme élevée par des penseurs juifs » selon l’historien Heinrich Graetz (Geschichte der Juden, 1861, V. 6, p. xii).
Les penseurs classiques qui n’adhéraient pas strictement aux dogmes modernistes n’étaient pas sanctionnés par l’autodafé de leurs livres sur une place publique, mais la Police de la Pensée a irrémédiablement supprimé comme « apologétiques » leurs écrits, avec comme justification que la pensée classique est incompatible avec la pensée moderniste.
La pensée classique considère le temps comme la succession chronologique d’événements.
La pensée moderniste considère le temps comme chronométrique.
La pensée classique considère l’espace comme l’ordre de coexistence d’un sujet à l’autre.
La pensée moderniste pense la distance entre les sujets, c’est-à-dire le vide.
La pensée classique définit les sujets par leur création, avec une perspective allant de l’infini (Dieu) à une coexistence objective.
La pensée moderniste pense à une existence subjective.
La pensée classique ne pose qu’un seul infini réel, c’est-à-dire Dieu.
La pensée moderniste pense à plusieurs infinis théoriques sans Dieu.
La pensée classique pose la Création par un Créateur comme un article de foi irréfutable.
La pensée moderniste prétend qu’il n’y a pas de Création par un Créateur (Dieu) en utilisant, entre autres, l’argument suivant contre la doctrine classique de la création à partir de rien (creatio ex-nihilo) :
Prémisse 1 : la distance entre le non-être et l’être est infinie.
Prémisse 2 : l’infini est infranchissable.
Conclusion : il ne peut y avoir de création du non-être à l’être.
Isaac Orobio (1617-1687) a rejeté cet argument athée :

« Ainsi, nous sommes tenus, pour la gloire de Dieu, autant que possible, de nous débarrasser de ces sophismes nouvellement inventés (des faux raisonnements). J’atteste que les docteurs, qui ont écrit sur ce sujet à différentes époques, ont dit qu’il y a une distance infinie entre l’être et le non-être, mais ils n’ont jamais cru ni dit qu’il y avait une distance réelle ou positive entre l’être et le non-être, ce qui est impossible comme nous pouvons le prouver.
Par le terme mentionné de distance, ils ne signifiaient qu’un rejet absolu entre les deux concepts, l’être et le non-être, en termes d’une incompatibilité nécessaire qu’aucun pouvoir ne peut franchir. Les spinozistes employaient le même terme, « distance infinie » pour en déduire des conséquences perverses car, en faisant [une] analogie avec la distance locale, ils obscurcissent l’entendement des lecteurs et de ceux qui conçoivent l’idée de termes aussi contradictoires, comme s’il y avait un espace infini entre l’être et le non-être. Ainsi, en entendant la distance infinie, ils convainquent démonstrativement que le passage de rien à quelque chose est évidemment impossible. Et ils sont facilement persuadés, comme avec l’impossibilité dans une distance locale pour laquelle il n’y a pas de puissance infinie (c’est-à-dire pas de Dieu) si elle était infinie. C’est ainsi qu’ils démontrent que la création à partir de rien (creatio ex-nihilo) est impossible.
Ce texte d’Isaac Orobio refait surface plus de 300 ans après sa publication. L’imprimé original en latin se trouve à la Gottfried Wilhelm Leibniz Bibliothek, Hanovre (TA 6193, 2, page 17). La citation provient du Certamen philosophicum propugnatae veritatis divinae ac naturalis, 1703 (Cas Philosophique en Defense de La Vérité divine et naturelle, traduit en espagnol moderne et en anglais dans la collection Veritas e Terra Orientur).
Leibniz (1646 – 1716) était un philosophe divin qui a fait l’éloge d’Isaac Orobio (Théodicée 373) après avoir étudié ses arguments anti-modernes pour rejeter « les païens qui ont nié la création ex nihilo» (Théodicée 299 ; 395 – 398).
D’après les propos tenus en entretien privé avec Lloyd Strickland, traducteur des milliers d’écrits de Leibniz et philosophe, « Leibniz a probablement souligné ce passage particulier parce que c’était une objection à Spinoza qu’il n’avait pas rencontrée auparavant, le marquant afin qu’il puisse le trouver facilement au cas où il en aurait besoin. »
Aucune rue, aucun monument public, ni de statues, ne sont dédiées à Isaac Orobio, mais 300 ans de « valeurs » antireligieuses ne représentent qu’une courte période pour une civilisation de 3000 ans qui a établi le point de vue fondamental d’une tradition éternelle.