Un infanticide à Gaza

Une femme porte un enfant dans l'enceinte de l'hôpital Al-Nasser de Khan Younès, le 15 août 2024, après que les autorités israéliennes ont autorisé 11 enfants atteints de cancer à quitter Gaza via le passage de Kerem Shalom, pout recevoir des soins en Jordanie. (Bashar Taleb / AFP)
Une femme porte un enfant dans l'enceinte de l'hôpital Al-Nasser de Khan Younès, le 15 août 2024, après que les autorités israéliennes ont autorisé 11 enfants atteints de cancer à quitter Gaza via le passage de Kerem Shalom, pout recevoir des soins en Jordanie. (Bashar Taleb / AFP)

Le monde, les écrans sont envahis d’images, d’images post-humanistes, c’est-à-dire celles qui viennent après l’affaire Mohammed Al-Dura (2000) ; elles montrent les enfants à Gaza dans des situations désespérées. Sommes-nous dans une relation saine et sereine vis-à-vis de ces représentations ? Évidemment non, car elles soulèvent bien trop de questions. Donc comment l’enfance est-elle prisonnière de notre économie de l’image, et de nos systèmes d’information ?

Le premier constat qui me paraît essentiel aujourd’hui serait de dire : pouvons-nous laisser l’Iran et ses proxys utiliser des images d’enfants pour leur propagande alors qu’ils commettent un infanticide, c’est-à-dire que non seulement, ils ne protègent pas leurs enfants des dangers de la guerre, mais ils les soumettent au sacrifice. Ici, est-ce que le droit à l’image et le droit à la vie ne sont pas bafoués ?

Cette dérive vers l’idolâtrie, qui dans toutes les régions du monde menace nombre d’entre nous, devrait nous interpeller car cet état de fait aboutit à un suicide collectif pour les générations à venir. L’argument est le suivant, et il résonne dans beaucoup de publications et de prises de paroles : l’Iran et ses proxys ne cesseront pas leurs offensives militaires tant que sur le 8ème front de la guerre médiatique – que les Palestiniens appellent « la guerre de la légitimité »[1] – ils ne remporteront quelques victoires[2]. Cet adversaire commet un infanticide et il le revendique.

Voici une citation de Moussa Abu Marzouk dans une interview publiée dans Chronique de Palestine du 28 octobre 2024 ; ce dernier place son combat dans une perspective datant d’il y a près d’un siècle, il est membre du bureau politique du Mouvement Hamas.

 Après la révolution de 1927 est venue la révolution de 1936. Trente-six ans plus tard[3], il y a eu la guerre de 1947, suivie des opérations des fedayins, puis de la formation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l’Armée de libération de la Palestine.

Après 1984 et le départ de l’OLP du Liban, la première Intifada a commencé en 1987, puis la deuxième en 2000, suivie des guerres de 2008, 2012, 2014 et 2021. Le peuple palestinien est prêt à payer le prix nécessaire, même à sacrifier ses enfants pour défendre sa religion et sa patrie.[4]

Les images d’enfants au milieu de destructions à Gaza, les images d’enfants blessés ou les cercueils, ne font que renforcer ce cycle infernal, car par ces dernières ils enjoignent l’opinion, et donc les fondamentalistes poursuivent leurs multiples attaques. C’est inédit dans l’Histoire, car ces dirigeants n’assument pas la responsabilité de protéger leurs populations, ils ne leur offrent comme avenir que le djihad.

Les populations civiles de Gaza sont devenues des victimes sacrificielles et éternelles, car le Hamas, non seulement détourne l’aide alimentaire, la revend à prix fort, et s’en nourrit, mais il réalise sa communication autour de la figure de l’enfant pris dans un cercle infernal, sans fin.

Ainsi, les organisations humanitaires, malgré elles, et bien qu’elles effectuent un travail formidable dans le monde, sont face à une impasse dès qu’il s’agit du Proche-Orient : la situation s’ouvre à la question. La photographie humanitaire, qui s’apparente ainsi à la photographie post-humaniste, constitue le socle des campagnes de dons, et donc les images représentants des enfants sont le support privilégié de celles-ci.

C’est un point critique, car l’image de l’Autre n’est jamais restituée dans son contexte historique ; modalités de la désespérance donc, à l’infini, cela ne s’arrête jamais ; toujours une nouvelle crise, une nouvelle catastrophe. Le public est alors invité à faire un don, c’est-à-dire à donner de lui-même par procuration, sans dialogue, sans rencontre, sans vérité.

Le post-humanisme et l’humanitaire ont atteint leurs limites, car la théâtralité de l’infanticide avec ses modalités apocalyptiques, ajoutée à la théâtralité de la victimisation, qui s’expriment depuis les premières heures du conflit, qui fait que les victimes sont devenues des victimes sacrificielles et éternelles, représentent une impasse existentielle pour nos sociétés.

Victimes éternelles aussi, car le combat des Palestiniens se transmet de génération en génération, sauf qu’Israël fait face. Cette rencontre, cette proximité entre deux dogmes produit la même esthétique bien qu’elles n’aient pas la même finalité : la première signifie à terme, la continuation de la guerre, la seconde signifie une chance de survie.

Mais les adeptes du post-humanisme bénéficient aussi de la médiatisation à outrance des organisations humanitaires, d’un point de vue médiatique et d’un point de vue financier. Ce soutien est providentiel, et permet aussi au « pro-iranisme » de se maintenir, malgré son idéologie destructrice, dictatoriale, et surtout sacrificielle.

Le droit à l’image des enfants n’est jamais respecté, même si leurs regards rencontrent le nôtre comme si nous étions leur unique sauveur, leur dignité n’est pas respecté car, ils participent d’une logique qui les dépasse, et parfois même, ils en sont le jouet, comme dans le conflit actuel.

Si le droit des enfants était respecté, ces images d’enfants disparaîtraient des médias, nous trouverions les mots.

Je lance un appel pour qu’il y ait une véritable prise de conscience à ce sujet, épargnons-les, épargnons-nous. Nous n’avons plus besoin de ces images pour prendre conscience de la misère du monde, mais nous avons besoin de courage, d’intelligence, et de responsabilité.

Mon troisième constat pourrait paraître un peu décalé, comme hors sujet, mais posons-nous quand même la question. L’aide à mourir, et les prochaines lois qui devraient figurer à l’ordre du jour du Parlement français, touchent nos enfants dans leur conscience.

Comment espérer dans la vie, alors que les lois proposent l’aide à mourir si les forces psychologiques de nos fils et filles sont fragilisées du fait d’un environnement inapproprié ; même si le législateur y mettra des limites, l’idée même que cette possibilité soit acceptée par l’Assemblée, puis par une partie de l’opinion publique, est à mon sens, problématique au plus haut point.

De plus, ce fait, par un glissement pervers, ne vient-il pas légitimer aussi, la possibilité d’un suicide pour le djihad ? Un suicide qui devient aussi, et pour une partie de nos populations, un suicide religieux. Parfois, les interdits ont du bon même si nous ne voyons pas toujours toutes les ressources positives qu’ils contiennent.

Pour conclure, ne devons-nous pas plutôt créer de nouvelles lois dans le Droit International pour juger l’infanticide à l’échelle d’un peuple. S’y atteler, y réfléchir, proposer un débat me paraît être, au-delà de tout clivage, une urgence absolue ; et ne faudrait-il pas aussi réunir un quorum de juristes pour développer ces questions ? Cette situation est inédite dans l’Histoire, et il apparaît que le Droit International doit s’adapter, car notre humanisme est ici aussi pris en otage.

[1] « Aux yeux du monde, les Palestiniens ont gagné la bataille de la légitimité », article de Ramzy Baroud : https://www.chroniquepalestine.com/aux-yeux-du-monde-les-palestiniens-ont-gagne-la-bataille-de-la-legitimite/

[2] Pourrions-nous nous satisfaire d’une trêve ?

[3] Je reprends ici, mot pour mot, la citation.

[4]  https://www.chroniquepalestine.com/notre-unique-exigence-est-la-justice-et-la-liberte/

à propos de l'auteur
Danielle est docteur en Histoire et Civilisation de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris), et a obtenu un Diplôme Universitaire en Suicidologie : "Comprendre, évaluer et prévenir le risque suicidaire chez l'adolescent et l'adulte", à la Faculté de Médecine, Paris Descartes. Elle est aussi artiste numérique, et photographe professionnelle. Elle réalise actuellement des recherches approfondies sur la place des images dans les conflits contemporains.
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