Ukraine-Russie, le vent tourne

Du champ de bataille à la table de négociation

Alea jacta est [« le sort en est jeté » en latin]. Les experts américains ont parlé : il est temps de passer du champ de bataille à la table des négociations.

Les mêmes experts « les sachants » après avoir mis la charrue avant les bœufs lors du sommet en Lituanie, consacré à la reconstruction de l’Ukraine, alors que le combat fait rage depuis 18 mois, viennent de découvrir qu’on n’ira pas « jusqu’à la victoire finale », celle supposée mettre la Russie « à genoux ».  Ce prochain week-end des pourparlers auront lieu en Arabie saoudite pour-parler-d’un cessez-le-feu et mieux peut être. Non, ce n’est pas une erreur de votre serviteur. Le centre de gravité s’est déplacé à Djeddah.

La contre-offensive ukrainienne, longtemps annoncée comme le tournant du conflit, n’a pas été au rendez-vous. L’Ukraine participe à sa propre destruction en prolongeant le conflit. Le nombre de victimes, de blessés, de mutilés, augmentent chaque jour. Les hôpitaux, débordés, ne peuvent plus accueillir de patients. Les infrastructures sont détruites. Malgré le courage et le moral de la population, le pays s’enfonce dans le chaos.

La suspension de l’accord sur l’exportation des céréales est un coup de plus. La Turquie dont c’était l’initiative, a cette fois échoué à obtenir son renouvellement. Ce qui confirme le raidissement russe. Il semble même qu’une livraison de 40.000 tonnes destinées à Israël ait été détruite dans un site à Odessa. Au récent sommet russo-africain, le président Poutine a promis la livraison gratuite de céréales à six pays africains dont le Mali, le Burkina Faso, la Centrafrique les nouveaux amis de la Russie. Il n’y a pas de hasard.

Les infos qui ont filtré précisent que l’UE, les États Unis participeront à la réunion, mais rien de plus, surtout quand on connaît les positions proclamées par les différents dirigeants, de la Commission, de l’Allemagne, des États-Unis, j’ose l’expression, les Jusqu’au-boutistes.

Les priorités

Les mêmes experts n’avaient manifestement pas prévu que la guerre longue qui se dessine (depuis le 24 février 2022) entrerait en collision avec l’entrée en campagne électorale de l’Amérique et de son président-candidat et qu’elle se traduirait par la multiplication des aides à l’Ukraine qui se chiffre par milliards. Ce qui a obligé le président américain à revoir substantiellement le plafond de la dette, alors que sa priorité centrale reste le conflit avec la Chine. L’opinion américaine commence à se lasser du poids financier de cette guerre. Quel que soit le candidat républicain, ce sera un argument de poids contre le parti démocrate. En Europe, où l’inflation provoque de gros problèmes, la population ressent aussi les effets de cette guerre qui la touche au porte-monnaie. Les efforts financiers considérables consentis par l’UE depuis le début de l’opération, nonobstant le « soutien indéfectible » proclamé, notamment par le gouvernement allemand qui est en pointe – sont autant de moyens qui ne sont pas consacrés à régler les problèmes internes nombreux en Allemagne comme en France.

Les faits

Des experts américains et russes se sont rencontrés au printemps, le ministre russe Serguei Lavrov était présent. L’Ukraine a participé à des pourparlers à Copenhague avec plusieurs autres pays africains et du tiers monde, prêts à jouer les intermédiaires. L’Ukraine demandait le retrait des troupes russes comme préalable. Elle a échoué. Plusieurs d’entre eux ont également rencontré le ministre russe des Affaires étrangères à New York pendant plusieurs heures. Parmi les participants figuraient Richard Haas, le président récemment décédé du Council on Foreign Relations (CFR), et d’anciens responsables du gouvernement américain Charles Kupchan et Thomas Graham. Haas avait confirmé la réalité de ces contacts. Il s’agissait de rétablir les canaux de communication avec la Russie et d’explorer toute possibilité de négociations et de compromis futurs. Cela confirme à nouveau une erreur d’analyse et de stratégie, surtout quand tous les hauts responsables américains n’ont pas cessé de proclamer la lutte jusqu’au « succès final », leur seule option affichée. Le Conseil national de sécurité des États-Unis est parfaitement tenu informé des pourparlers et de leur contenu. L’ordre du jour comprenait « certaines des questions les plus critiques pour l’Ukraine », notamment « le sort des territoires sous contrôle russe que l’Ukraine ne voudra peut-être jamais libérer. On y vient. Peu de temps après leur rencontre avec Lavrov, Haas et Kupchan ont publié un article dans Foreign Affairs, selon lequel ils proposaient un « plan pour passer du champ de bataille à la table des négociations ». On lit qu’après la fin de la contre-offensive de Kiev, en cours, il fallait s’attendre à une « situation de blocage » dans laquelle les deux camps devraient retirer leurs armes et « en fait créer une zone démilitarisée » Ensuite, « une organisation neutre », comme les Nations unies ou l’OSCE.

La stratégie de Washington

On entrevoit mieux ici comment la Maison Blanche pensait fragiliser la Russie pour la neutraliser jusqu’à un certain point pour éviter d’avoir à lutter sur plusieurs fronts, militaires, économiques, diplomatiques en Europe, dans l’Indo Pacifique, au Moyen Orient. Cette perspective semble avoir fait long feu, si on considère le changement assez brutal en cours. Ce qui expliquerait que l’armée de Kiev, consciente de l’impasse dans laquelle elle se trouve, lance des attaques sur la Russie pour entrainer encore un peu plus, l’UE et l’Otan dans ce qui devient une tragédie pour les civils qui en sont les premières victimes et ensuite pour toute l’Europe, qui, pour l’instant, n’est pas entrée en guerre physique dans le conflit. Une bavure pourrait cependant l’y entrainer.

Les objectifs

A ce stade il s’agit de pré-pourparlers en vue d’une éventuelle négociation qui serait précédée d’un cessez le feu et pas encore de négociations sur le fond. C’est donc un premier pas. Encore faudra-t-il beaucoup d’efforts pour en fixer les conditions. On n’oublie pas que Zelensky lors de son élection avait promis la paix avec la Russie et pris divers engagements, qui n’ont pas été mis en œuvre après son élection. Depuis le début de la guerre, fort du soutien « illimité » américain, il a aussi promis le retour des territoires occupés à l’Ukraine. C’est un leurre. Jamais la Russie ne restituera la Crimée. Donc il risque sa place voire sa vie en cas d’échec face à des ultra nationalistes qui le lui ont fait savoir. Les États Unis semblent décidés à mettre fin à cette guerre d’ici fin de l’année. Ils ont mal analysé la capacité ukrainienne à soutenir le choc des conséquences de cette guerre. On voit bien que malgré les déclarations et les nouveaux supports financiers, le flux des livraisons d’armements s’est ralenti. Faute de pouvoir progresser sur un front de 1 000 km, Kiev lance des opérations en territoire russe. En réaction, les Russes détruisent chaque jour un peu plus les infrastructures.

Les pourparlers de Djeddah

Outre les participants à la réunion de Copenhague de juin, d’autres pays ont été invités, dont le Mexique, l’Indonésie, le Chili, l’Égypte et la Zambie. Comme l’Afrique du Sud, ces deux derniers sont membres des États africains qui ont participé à des pourparlers de médiation à Kiev et à Moscou à la mi-juin et à la fin de la semaine dernière, à la suite du sommet Russie-Afrique. W. Poutine a indiqué être prêt à entamer des pourparlers sur la fin de la guerre en Ukraine. On ne peut que constater que sur le plan diplomatique, stratégique et économique que la Russie sans être vainqueur à l’heure actuelle, conserve une position maîtresse. D’autant que la tâche la plus difficile sera de persuader Kiev de respecter un futur cessez le feu, ce qu’elle n’a pas rendu possible dans le Donbass (qui aura fait près de 20 000 victimes) et d’entamer des négociations. « De nombreux Ukrainiens verraient cela comme une trahison » Le président Zelensky devra « réduire substantiellement ses objectifs de guerre – il a promis la victoire. S’il persiste, alors l’Ukraine – au vu des pertes énormes et des immenses destructions – s’auto-détruira d’elle-même en raison d’objectifs hors d’atteinte. Même si cela semble irréel de l’affirmer aujourd’hui, on peut s’attendre à ce que la stratégie suivie par le président-candidat américain sera abandonnée par le candidat-président Joe Biden au nom « des intérêts supérieurs de son pays ». Les grandes manœuvres sont en cours.

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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