Ukraine, malheur au vaincu, vers une paix imparfaite !

Manifestement nos éminents chefs d’État ne sont pas tous férus d’histoire. Ils auraient pu et dû s’inspirer depuis longtemps du discours d’Henry John Temple, Lord Palmerston à la Chambre des Communes en 1848 :
We have no eternal allies and we have no perpetual enemies. Our interests are eternal and perpetual and those interests it is our duty to follow. (Nous n’avons pas d’alliés éternels ni d’ennemis perpétuels. Nos intérêts sont éternels et perpétuels et nous avons le devoir de les défendre).
En bref, l’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents, elle n’a que des intérêts permanents.
Le Premier ministre à Londres, n’a pas dû relire ce discours. En France, lors d’un entretien avec le magazine Paris Match le 9 décembre 1967, le général De Gaulle déclarait :
Un grand pays n’a pas d’amis. Les hommes peuvent avoir des amis, pas les hommes d’États.
En ce temps-là, la France avait encore une audience internationale. Aujourd’hui, où sont-ils ?
Stupeur et consternation, la réalité et les apparences de la réalité
La rencontre entre D. Trump et V. Zelensky en mondovision a semé la panique en Europe. Pourtant, les deux protagonistes sont des communicants éprouvés, des professionnels de la télévision. Quand on convoque les caméras du monde entier, on doit s’attendre à tout.
Mais voilà, les dirigeants européens qui avaient tous voté pour Kamala Harris ont déjà été très contrariés de découvrir que les électeurs américains, seuls habilités à choisir, n’avaient pas suivi leur préférence, a-t-on parlé d’ingérence ? Première déconvenue.
Ensuite, horreur et sidération, on découvre que le nouveau président confirme qu’il va effectivement mettre en œuvre ce qu’il a annoncé, seconde déconvenue.
Tous nos chefs d’État viennent de découvrir que le rêve américain, version européenne, est définitivement brisé. C’est d’autant plus sidérant que nos grands hommes ont vécu pendant les dernières décennies dans une forme de rêve éveillé.
D’une part, nous avions l’OTAN et le parapluie américain avec ses bombes atomiques stockées en Allemagne, en Italie, aux Pays Bas, en Belgique, plus toutes les bases entourant la Russie. Trump suivant en cela la politique de son prédécesseur J. Biden, ce dernier n’avait-il pas annoncé que tous les membres de l’OTAN devraient porter leur contribution à au moins 3% de leur budget national ? Depuis, il est question de 5%. Le président américain n’a pas cessé de marteler qu’il ferait la paix « à sa façon ».
D’autre part, alors qu’on annonçait une nouvelle réunion américano-russe toujours sans l’Europe mais peut être avec l’Ukraine, le déni de réalité est tel que sortis de leur torpeur et laissant les rennes à la cheffe de la Commission européenne, les grands chefs organisent réunion sur réunion pour se mettre d’accord sur l’aide à apporter à l‘Ukraine, sur la création d’une défense européenne avec un parapluie nucléaire français, ce qui est loin d’être clair, car il n’y a qu’un seul bouton.
L’Allemagne est plus militariste que jamais, son futur gouvernement sous l’autorité du nouveau chancelier F. Merz a déjà déclaré vouloir investir plusieurs centaines de milliards, après avoir consacré une première fois 100 milliards après le début du conflit ukrainien.
L’Union a consacré 300 milliards d’euros l’année dernière pour ses 27 pays…

La sidération et la peur comme arguments
Les experts ont largement analysé la situation après l’invasion russe. On n’oubliera pas les slogans unanimes des divers responsables et médias : « mettre la Russie à genoux », « jusqu’à la victoire finale », « seule réponse possible » … Les paquets de sanctions envers Moscou se sont ajoutés aux précédents. À date, 16 paquets votés.
Où en sommes-nous trois ans plus tard ? L’Ukraine se présente comme un champ de ruines, ses infrastructures largement détruites, 500 000 morts, des dizaines de milliers de grands blessés, des familles détruites.
La Russie, nous dit-on, consacre 40% de son budget à l’armée ; on est très loin des 5% exigés des membres de l’OTAN.
Le rêve et la sidération
Depuis l’invasion de la Crimée en 2014, nos dirigeants, dont le réveil tardif est sidérant, ont longtemps vécu dans un déni des réalités. C’est beaucoup trop tard.
L’Union européenne avec ses 450 millions de citoyens, faute d’avoir compris que le monde avait changé, s’est mise hors-jeux des grands problèmes planétaires. Il ne suffit sans doute pas d’avoir l’arme nucléaire et d’agiter la dissuasion pour être présent dans les grands dossiers (Moyen-Orient, Afrique, Asie).
En France, nous avons considérablement réduit notre capacité énergétique nucléaire, la plus compétitive. L’usine de Fessenheim a été fermée pour faire plaisir à notre voisin allemand qui voyait d’un mauvais œil l’industrie française, encore debout, disposer d’une énergie bon marché. Résultat : l’Europe, globalement, est devenue dépendante de la Russie en matière énergétique pour la fourniture du gaz naturel, et l’Allemagne tout particulièrement.
Depuis l’arrêt des fournitures russes, nous achetons beaucoup plus cher du gaz liquéfié aux États-Unis, plusieurs centrales ont été mises à l’arrêt, la centrale de Gravelines a vu sa production réduite.
Économiquement, l’Amérique de Biden avait déjà pris des mesures spécifiques destinées à promouvoir le développement de ses industries moyennant un programme de subventions de 400 milliards de dollars favorisant ceux qui fabriqueraient Made in USA ; l’augmentation des droits de douane annoncée par Washington vient donc compléter la panoplie. Dans le même temps, nos pays ont engagé un bras de fer avec la Chine.
La défense européenne et le droit de véto américain
En relançant le projet de défense européenne, on oublie de préciser que la majorité des armements utilisés dans le conflit, et ceux utilisés actuellement en Europe, proviennent des États-Unis. À ce titre les Américains conservent un droit de véto sur leur utilisation, y compris lorsqu’un pays envisage de transférer ces armes à un pays tiers.
Au-delà, pour soutenir l’Ukraine militairement, force est de constater que les limites des Européens sont très vite atteintes. Veut-on produire des munitions, des obus dans les usines européennes ? Alors il faut passer à une économie de guerre dans les usines qui produisent actuellement des biens de consommation, de l’aviation, des machines-outils, notamment.
Le pays le plus industrialisé, apte à répondre à cette définition, c’est notre voisin allemand. Le futur chancelier Friedrich Merz n’a pas caché vouloir faire de son pays la première puissance militaire de l’UE, voire son leader ; alors on peut conjecturer sur ce qui va se dérouler en temps réel. Qui sera Calife ?
On a beau agiter des centaines de milliards, la réalité est qu’il faudra un certain temps pour mettre le projet en musique, certains parlent d’au moins 5 ans pour un début.
D. Trump prétend être capable d’obtenir sinon la paix, au moins un cessez-le-feu dans un premier temps. Aussi vite dit, aussi vite les Européens se sont-ils satisfaits de cette déclaration en spéculant sur la place que pourrait prendre une force européenne d’interposition, mais pas en première ligne. Là où le bât blesse, c’est que pour le Premier ministre britannique, à date, cela s’entend avec la garantie des Américains.
En clair, les Européens, même avec des centaines de milliards, ne sont pas en mesure de donner seuls ladite garantie. La Russie, après trois ans de belligérance, n’a pu balayer l’armée ukrainienne, mais on agite le spectre d’une invasion qui verrait les troupes russes passer le pont de Kehl pour arriver à Strasbourg.
Pourquoi agiter la peur ? Le moment de la paix, même au prix de grandes difficultés et de sacrifices, n’est-il pas venu ? ou faudra-t-il attendre encore 3 ou 4 ans que l’Union européenne parvienne à mettre sur pied une force militaire qui serait de nature à remplacer les États-Unis, et capable d’affronter la Russie. Les peuples le veulent-ils, et les pays le peuvent-ils ? Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Ainsi va le monde.