Tunisie : le chaos, la misère et la honte

Des milliers de manifestants tunisiens sont rassemblés près du bureau du Premier ministre appelant à la démission du Premier ministre tunisien Mohamed Ghannouchi à Tunis, le vendredi 25 février 2011. (AP Photo/Salah Habibi)
Des milliers de manifestants tunisiens sont rassemblés près du bureau du Premier ministre appelant à la démission du Premier ministre tunisien Mohamed Ghannouchi à Tunis, le vendredi 25 février 2011. (AP Photo/Salah Habibi)

Le pays, sous la férule de son président autocrate, est confronté à une crise sans précédent. En chassant Ben Ali, les citoyens pensaient être libérés d’une dictature. Ils ont eu les islamistes de  Ennarda puis un President élu. Depuis le pays est dans un état désastreux. Le chômage touche désormais toutes les catégories. Le président fait tout pour museler l’opposition, faire taire les médias,  neutraliser le pouvoir judiciaire et les avocats. Les arrestations arbitraires se multiplient. En février l’autocrate-président a prononcé un discours très dur, stigmatisant tous les migrants qu’il a désigné comme « un danger pour la Tunisie ». Kaïs Saied, dont les concitoyens attendaient tant, par sa politique a signé l’acte de décès de la révolution du jasmin de 2011.

Dans ce pays où les tensions sociales sont déjà très vives, la chasse à l’homme de trois jours qui s’est déroulée dans la cille portuaire de Sfax a été l’étincelle dans la poudrière.

Les faits

Le port est devenu le point de départ favori des migrants en provenance de l’Afrique sub-saharienne, car situé à 200 km de l’ile italienne de Lampedusa. Ceux d’Afrique de l’ouest sont dispensés de visa d’entrée, d’autres sont des irréguliers. Ils ont tous quitté un enfer pour un autre qu’ils n’imaginaient certainement pas.

Fin mai, un migrant béninois a été poignardé à mort par un groupe de jeunes tunisiens lors d’une attaque menée contre 19 migrants dans un quartier populaire de Sfax. Un mois plus tard, plusieurs centaines de personnes manifestaient devant la préfecture, contre la présence de migrants avec pour slogan « migrants, une menace pour la sécurité des habitants ».

Début juillet, trois migrants sont accusés de la mort d’un Tunisien, tué dans une attaque à l’arme blanche. C’est le début d’une chasse à l’homme sans pitié, provoquant de nombreux blessés. Les migrants, pour la plupart, avaient trouvé à se loger dans les quartiers les plus défavorisés dont ils sont chassés. Apres la déclaration du président, les tensions déjà vives entre la population et les migrants ont atteint un paroxysme. Forcés de monter dans des camions en direction de la frontière libyenne et craignant pour leur vies, des centaines d’entre eux n’ont eu d’autre choix que de se retrouver sans moyens en plein désert où une autre mort les attend.

La suite

ARTICLE DE PRESSE : 27 avril 2023. Direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement. La Commission européenne et la Tunisie ont exprimé leur volonté d’établir un partenariat renforcé sur la migration, la lutte contre le trafic et la promotion de la migration légale. (origine site UE)

Le 16 juillet dernier, Mme von der Leyen, présidente de la commission flanquée de la Première ministre italienne et du Premier ministre hollandais se sont rendus à Tunis pour signer un accord conditionnel et ambigu avec le président tunisien moyennant une aide de près d’un milliard d’euros en vue de « retenir l’immigration clandestine vers l’Europe et lutter contre les passeurs et gérer ces migrants » alors que Kaîs Saied a déclaré à plusieurs reprises que la Tunisie n’acceptera pas d’être le « gardien des frontières européennes, ni d’être un foyer pour les migrants ».

Le président a déclaré être prêt à ralentir les départs mais refuse toute gestion. D’ailleurs, ces événements mettent en évidence l’incapacité des autorités à maitriser et à gérer la situation. Ce qui discrédite la faisabilité de l’accord du 16 juillet dès le départ. L’ambition affichée par la Commission de faire de la Tunisie un centre de tri pour le compte de l’UE est caractérisée par l’ambiguïté et l’incapacité des autorités à y faire face. De plus, l’aide de 900 millions est subordonnée à la mise en place d’un prêt de l’ordre de deux milliards de dollars du FMI. Le président tunisien en refuse les modalités, alors que son pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise.

C’est l’occasion de rappeler qu’un accord similaire avait été conclu avec la Libye. On connaît la suite, faite d’agressions, de tortures et d’exactions de toutes natures, de corruption. L’UE, d’autres pays, la commission des droits de l’homme de l’Onu, toujours prompts à se joindre aux accusations contre Israël en matière de droits de l’homme font preuve d’un silence assourdissant face à ces événements. D’évidence les dirigeants européens n’ont pas honte de soutenir un régime qui maltraite son peuple et ne respecte pas les droits de l’Homme dont nombre d’ONG se réclament. Ce qui se vérifie ici, mais à géométrie variable.

De plus, la Commission continue à éviter l’obstacle. On persiste à ne pas vouloir traiter le problème des migrants au plan européen. On doit également s’interroger sur les moyens de financement qui s’avèrent disponibles pour ces opérations qui se traduisent par un gouffre sans fin. On a vu qu’un accord similaire de 2016 avec la Turquie se traduit ensuite par des pressions politiques inacceptables et de nombreuses difficultés dans sa mise en oeuvre.

On ne sera donc pas étonné d’apprendre que dans cette situation où la Tunisie est aux abois, la Chine semble disposée à lui venir « en aide ». On connaît la force et les conditions de son « softpower » – les relations remontent à 1958. les deux gouvernements ont signé un protocole d’accord en 2018. Comme pour les autres pays du projet belt and Road international et Route internationale (comprendre facilités portuaires) la Chine affirme aborder le partenariat avec deux grands principes à l’esprit : la non-ingérence dans les affaires intérieures de la Tunisie et un opportunisme jamais démenti. Ces deux principes sont censés contraster avec l’approche occidentale et permettre une prise de décision plus simple et rapide ainsi qu’une main-d’œuvre et un financement à faible coût.

Ce qui précède illustre le choc frontal de deux misères, celle du peuple tunisien qui souffre et de populations africaines que l’espérance d’une vie meilleure a abandonné et qui est prête à perdre la vie pour avoir un avenir.

Tant que l’UE ne réalisera pas ce dilemme qui est aussi un défi humanitaire, les drames se poursuivront, la Méditerranée continuera à devenir un cimetière pour nombre d’entre eux.

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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