Tunisie : 1964, expropriation des terres agricoles
A la suite de l’accession de la Tunisie à l’indépendance en 1956, le nouveau gouvernement décida en 1964 de nationaliser les terres agricoles appartenant aux non Tunisiens. Des milliers d’hectares de terres dans tout le pays furent ainsi rétrocédées à des exploitants tunisiens ou affectés au domaine agricole. Encore aujourd’hui des terres domaniales appartiennent toujours à l’Etat et la volonté du gouvernement actuel semble être de les rétrocéder à des exploitants privés.
Cette loi de 1964 expropriant les étrangers visait principalement les familles françaises et italiennes qui s’étaient vu attribuer ces terres à partir de 1881 pour une bonne part et jusque dans les années 1930/1940.
Pour les exploitants agricoles juifs tunisiens c’est un peu plus compliqué. Lorsqu’il pouvait y avoir un doute sur la nationalité tunisienne des ressortissants juifs de Tunisie, l’état a effectué une pré-notation d’expropriation sur le titre foncier. Mais il suffisait que les concernés prouvent leur nationalité tunisienne pour annuler cette pré-notation. Certaines familles ont procédé de la sorte et ainsi ont pu ensuite céder les terres appartenant à leurs familles.
Une exception cependant : les terres agricoles non titrées et qui sont occupées « de bonne foi » par des familles tunisiennes depuis au moins quinze ans leur appartiennent. C’est le principe dit de « l’usucapion ». Un grand nombre de familles tunisiennes ignore cette disposition et pensent occuper « un bien étranger ».
Il suffit pour ces familles tunisiennes de saisir le tribunal immobilier de leur secteur pour faire reconnaître » leur occupation de bonne foi » depuis au moins quinze ans pour intenter une action en vue d’immatriculer les terres qu’ils exploitent.
Les titulaires des titres fonciers de terres agricoles décédés aujourd’hui ont des ayants droit qui dans quelques cas sont également nés tunisiens et donc ont conservé leur nationalité de naissance sauf à y avoir expressément renoncé. Ces ayants droit sont donc toujours à ce jour propriétaires des terres de leurs aïeux.
Il leur suffit de mettre leur(s) titre(s) à jour à leur nom pour régulariser. C’est important car nombre de familles tunisiennes qui vivent sur ces terres depuis des décennies ne demandent pas mieux que de les acquérir, eux qui dans les faits exploitent et entretiennent ces terres qui juridiquement ne leur appartiennent pas.
Le plus souvent la mise à jour de ces titres, s’il y a peu d’héritiers prend quelques mois. L’annulation d’une pré-notation venant dans la foulée prend également quelques mois. Ensuite la vente devient possible.
Evidemment, il faut tenir compte de ces délais de procédures, de l’ancienneté de l’occupation de ces terres par des familles tunisiennes pour déterminer un prix qui soit raisonnable et accessible pour des agriculteurs tunisiens qui dans la plupart des cas ne roulent pas sur l’or. Un prix bas va trouver un acquéreur immédiatement; les vendeurs de toutes façons ne misaient plus sur cela depuis des décennies et pensaient même que tout cela était définitivement perdu. Mieux vaut une petite vente que pas de vente du tout…
Cependant ces terres agricoles ne le sont peut-être plus aujourd’hui. La prodigieuse expansion urbaine que connait la Tunisie depuis plus de cinquante ans a modifié cette ancienne topographie des terres agricoles. De petites villes voire des villages entourés de champs et de fermes, avec l’expansion urbaine deviennent désormais des quartiers de villes en expansion.
Près de Sousse, de petits villages devenus aujourd’hui des villes moyennes comme Kaala Kbira, Kaala Sghira, Bouficha sont désormais quasiment des quartiers de Sousse. Des terres qui à l’origine avait une vocation agricole ne l’ont plus. De telle sorte que les pré-notation d’expropriation pour vocation agricole inscrites dans les années 60 à 90 sont devenues obsolètes, et les juifs tunisiens ou leurs ayants droit peuvent donc parfaitement mettre ces titres fonciers à jour puis les céder.
D’autres situations se présentent également beaucoup plus sensibles. Au titre de la loi d’expropriation des terres agricoles on a exproprié donc des terres agricoles mais pas seulement. On constate quelquefois des situations baroques : au coeur d’une ville comme Sousse par exemple, plusieurs milliers de m2 jadis occupés par une usine de briques, expropriés au titre de la loi de 1964.
Dans un quartier classé zone urbaine depuis les plans d’aménagement urbain de 1920 jusqu’à nos jours ! Pas question donc de « terre agricole » où alors sous Napoléon ! Etonnant ! Sur ces milliers de m2 une grande partie occupée désormais par une administration locale, une autre laissée à l’abandon. Une procédure est possible : la saisine du tribunal administratif pour faire établir que l’expropriation pour terres agricoles est abusive puisque cette terre n’a pas été agricole depuis plus de cent ans. Cette procédure, nous l’avons initiée puis déposée. C’est long, fastidieux, mais absolument imparable. C’est à peu près comme si l’état avait placé une montagne de la frontière algérienne dans une zone du domaine maritime.
Autre cas actuellement en procédure : on exproprie deux hectares à l’entrée de Sousse face au stade olympique. L’administration revend cette terre à une société immobilière étatique mais avec une clause d’annulation : cette société doit construire des logements sociaux dans les trois ans.
Bien entendu pas plus de logements sociaux que de beurre en branches. La vente est donc caduque. Partant de là, la famille juive tunisienne demande fort logiquement l’annulation de l’expropriation qui a précédé la vente, et avec toutes les chances de l’obtenir… dans quelques mois ou dans dix ans. Mais le combat juridique mérite d’être livré…
La Tunisie demeure malgré tout un état de droit et s’il est difficile et laborieux de faire valoir ses droits cela demeure accessible.