Tuer Israël, sauver le climat ?

La militante écologiste suédoise Greta Thunberg participe à une manifestation contre le projet d'autoroute A69 entre Toulouse et Castres, à Saix, dans le sud de la France, le samedi 10 février 2024.  (AP Photo/Fred Scheiber)
La militante écologiste suédoise Greta Thunberg participe à une manifestation contre le projet d'autoroute A69 entre Toulouse et Castres, à Saix, dans le sud de la France, le samedi 10 février 2024. (AP Photo/Fred Scheiber)

Des images choc ont marqué la triste année que nous avons tous vécue depuis le 7 octobre 2023. Celles bien sûr des atrocités de ce jour-là, des otages enlevés, puis celles de la guerre à Gaza avec le lourd bilan humain et matériel supporté par les civils. Mais il y a eu aussi l’inattendu, avec des manifestations aux États-Unis comme en Europe qui sont allées bien au-delà d’une demande de cessez-le-feu par compassion légitime pour les Palestiniens : occupations d’Universités avec intimidations d’étudiants juifs ; appels au boycott de toute présence israélienne, culturelle ou autre ; et manifestations dont les slogans et les banderoles – le fameux « From the river to the sea » – s’identifiaient totalement avec le projet du Hamas. Tout ceci a bouleversé nos certitudes. Oui, alors qu’Israël venait de célébrer ses 75 ans, son existence même était remise en question avec une bonne conscience abjecte, dans des démocraties normalement solidaires ; et cela par beaucoup de jeunes, ce qui était bien inquiétant pour l’avenir et la sécurité de nos communautés, en France ou ailleurs.

Parmi les surprises désagréables – sauf pour qui aurait suivi un peu en profondeur leurs mouvements – la frange radicale militant au nom de l’urgence climatique s’est largement engagée en faveur du camp palestinien ; et leur figure iconique, la suédoise Greta Thunberg, a très vite pris des positions polémiques sur le conflit. Comme le rapportait au mois de novembre le journal Le Monde[1], dès le 20 octobre et alors que l’entrée de Tsahal dans la bande de Gaza n’avait même pas débuté, elle appelait à faire grève pour le climat « en solidarité avec la Palestine » dans un message posté sur les réseaux sociaux où elle a des millions de followers. Sans faire la moindre allusion au massacre de centaines de civils par le Hamas, on la voyait portant un keffieh palestinien ; keffieh remis régulièrement dans plusieurs manifestations, et en particulier au mois de mai à Malmö ; il s’y tenait le concours de l’Eurovision, et plusieurs milliers de personnes s’étaient heurtées à la police pour exiger le retrait de la chanteuse israélienne Eden Golan. On l’avait aussi entendue au mois de novembre chanter lors d’une manifestation : « nous écraserons le sionisme »[2].

Plus près de nous, en France, on sait que l’opposition aux « méga-bassines » réunit ces dernières années à Sainte-Soline des militants écologistes radicaux, dont beaucoup venus d’autres pays. Cette année, les manifestants se sont rassemblés ensuite à La Rochelle, immortalisant la fin de leur action par une baignade, avec un grand drapeau palestinien flottant au-dessus de l’eau[3] ; drapeau palestinien devenu « l’étendard des opprimés », systématiquement brandi lors des manifestations soutenues par La France insoumise mais aussi organisées par la CGT. Sans surprise, on notait la participation forte du collectif Les soulèvements de la Terre ; collectif dont l’ex-ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait décidé la dissolution en raison de « plusieurs envahissements d’entreprises […], de plusieurs destructions de biens, de centaines de gendarmes ou de policiers blessés, de plusieurs appels à l’insurrection » ; cette décision a fait l’objet d’un décret cassé ensuite par le Conseil d’État. Avec ses manifestations mais aussi des actes de sabotage, ce collectif s’oppose principalement à « l’accaparement des terres », « l’agro-industrie », mais aussi aux nouvelles autoroutes et au projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin.

La journaliste Géraldine Woessner du Point suit depuis des années l’idéologie et les actions de cette mouvance. Dans un tweet publié au mois de février[4], elle relève qu’ils partagent une action contre la chaine « Carrefour » présentée comme un « complice du génocide » contre les Palestiniens. Elle dénonce aussi la complaisance de nombre d’universitaires envers cette mouvance radicale, et celle du site reporterre.net. Elle note enfin la présence à Sainte-Soline de Andreas Malm, figure de l’écologie radicale, soutien affirmé du Hamas et sur lequel je reviendrai plus loin. La journaliste Emmanuelle Ducros de l’Opinion a, elle, partagé un extrait vidéo filmé à « La fête de l’Humanité »[5] : on y entend la militante « décoloniale » Houria Bouteldja, invitée par Les soulèvements de la Terre – encore eux ! – réclamer une « convergence des luttes » contre « l’État capitaliste », à la fois à propos des méga bassines et … du sionisme.

Faut-il généraliser ces faits à l’ensemble de la mouvance écologiste, française ou internationale ? Simplifier ainsi serait à la fois injuste et stupide, car on devrait être tous légitimement inquiets de la crise climatique. Ainsi, l’article précité du Monde évoque le réseau international « Fridays for future », très présent sur les réseaux sociaux ; ses branches allemande et autrichienne ont fortement critiqué les propos de Greta Thunberg ; mais il note aussi que sur leurs réseaux sociaux étaient dénoncés dans d’autres pays – et avant le 7 octobre -, le « génocide » et « l’apartheid » pratiqués par Israël.

Cristallisée au départ sur l’opposition au nucléaire, l’écologie politique s’est structurée à partir des années 80. En Allemagne, elle est devenue une force politique – certes déclinante lors des derniers scrutins. On notera que le parti local « Die Grünen » (les Verts) a pris un tournant « réaliste » depuis de nombreuses années, participant même à plusieurs coalitions. Annalena Baerbock est une figure marquante de leur parti, devenue la ministre des Affaires Étrangères du cabinet Scholz ; un gouvernement resté un fidèle allié d’Israël, alors que le contexte politique – guerre avec le Hamas puis maintenant avec le Hezbollah, coalition droite-extrême droite à Jérusalem – rendent délicates les relations entre les deux pays.

En France, l’écologie politique a pris ces dernières années une orientation plus radicale, à mesure aussi que son assise électorale se réduisait. Traiter tous ses militants de « pastèques » (verts à l’extérieur, rouges à l’intérieur) serait simpliste ; mais il est clair que sous la direction de Marine Tondelier, ils se sont « mélenchonisés » sur de nombreux sujets, et pas seulement sur le conflit israélo-palestinien. Les écologistes ont par ailleurs certainement insisté pour que dans le programme du « Nouveau Front Populaire » figure un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières : l’accélération de la crise climatique a eu un impact certain, la « décroissance » étant vue comme une option crédible par certains.

Le rappeur français Medine (au centre) lève le poing aux côtés de la présidente d’EELV Marine Tondelier, alors qu’il est invité à débattre de la culture lors des journées d’été d’EELV au Havre, dans le nord-ouest de la France, le 24 août 2023. (Photo par LOU BENOIST / AFP)

Mais revenons pour finir à Andreas Malm, figure incontournable d’une « convergence des luttes » entre l’extrémisme palestinien le plus fanatique, et la branche la plus radicale de l’écologie militante. Universitaire suédois, né en 1977, regard fixe évoquant un psychopathe, la tête souvent couverte d’un étrange petit calot noir, il a fait l’objet d’un long et documenté article dans l’excellente revue en ligne « Le K »[6]. Dans un discours prononcé à l’Université Américaine de Beyrouth le 8 avril 2024, il a dit à propos du 7 octobre :

Comment ne pas crier de stupeur et de joie ? Il en va de même pour les scènes où les Palestiniens franchissent la clôture et le mur et affluent sur les terres dont ils ont été chassés.

Théoricien d’une lutte décisive pour sortir de « l’anthropocène » (ère dominée par l’homme qui aurait détruit la nature), il réclame « la démolition totale » de l’économie fossile, en abandonnant toute non-violence et en pratiquant des sabotages ; c’est l’inspirateur idéologique de mouvements comme Les soulèvements de la Terre, mais aussi de Extinction rébellion qui, sur un mode moins violent, a organisé des occupations d’espaces, des blocages de routes, des mouvements de désobéissance civile etc…

Mais c’est à partir d’une lecture délirante de l’histoire contemporaine qu’il a basculé dans une interprétation ahurissante du sionisme, en théorisant ce que l’on peut appeler un « antisémitisme vert ». Extrait de l’article :

À partir de l’industrie du charbon développée au 19e siècle, les Britanniques ont voulu créer un empire fossile sur la terre du Levant arabe et ottoman (Syrie, Irak, Liban, Palestine, Égypte) en s’appuyant sur les Juifs d’Europe, qui, en tant qu’Européens, auraient été en symbiose avec l’empire fossile. C’est ce qu’ils auraient fait à travers l’implantation d’industries extractionnistes, l’établissement du foyer national juif et l’encouragement au départ des Juifs, ou encore, plus tard, l’acheminement des Juifs rescapés d’Europe en usant massivement de bateaux, donc de moyens de transports grands consommateurs d’énergie. Non seulement, ce projet de la modernité impérialiste britannique a été l’un des plus pollueurs, mais il se serait dilué dans le projet sioniste du Yishouv, l’un étant au service de l’autre et tous les deux se servant des ressources fossiles qui détruisent la Méditerranée et son au-delà. À la suite de l’empire britannique, c’est l’État d’Israël qui aurait contribué à la domination américaine sur le Moyen-Orient et à l’accès illimité du pétrole au Levant, tout comme il aurait également accéléré l’écocide par la construction de ses implantations et de son territoire national.

Sur Israël « tête de pont de l’impérialisme », rien de neuf en vérité, c’était déjà une scie musicale de la propagande nationaliste arabe partagée par l’ex-URSS. Petit Faurisson du climat, il invente un « acheminement des Juifs rescapés d’Europe » avec l’aide des Britanniques, alors que les bateaux comme « L’Exodus » étaient impitoyablement refoulés. Mais sur « la destruction de la Méditerranée », on se retrouve devant une version moderne des Protocoles des Sages de Sion : comme si la formidable croissance démographique dans les pays du Sud n’y était pour rien ; comme si le minuscule État juif, grand comme les deux tiers de la Bretagne, en était le seul responsable ; comme si les tours imposantes construites de Dubaï à Istanbul ne participaient pas aux gaspillages d’énergie et au réchauffement climatique ; comme si les États arabes pétroliers et l’Iran ne contribuaient en rien à « l’économie fossile ». Quant à accuser le sionisme « d’écocide », il s’agit d’une saloperie intégrale quand on pense aux dizaines de millions d’arbres plantés dans un territoire quasi désertique au début du siècle dernier.

Comme écrit plus loin dans l’article, pour Andreas Malm : « l’important est de faire de l’ ‘entité sioniste’ – décrite comme abstraite, mondialisée et aliénée par la technique – une menace existentielle pour les valeurs d’authenticité dont les Palestiniens seraient les porteurs exclusifs, en raison de leur connexion au terrestre, à la terre et au geste manuel de la subsistance ». Et pour les « sionistes », cette population de voleurs et de pollueurs, une seule solution : l’expulsion totale, même si cela concerne maintenant plus de 7 millions de personnes.

Mutant à travers les siècles sous différentes figures redoutables – le peuple déicide, l’empoisonneur de puits, le révolutionnaire, le parasite usurier, la race menaçant tel un microbe le reste de l’humanité, le cosmopolite bourgeois – voici donc la dernière version du juif à tuer, cette fois pour sauver le climat.

Une dernière information, qui ne rassurera pas dans l’hypothèse d’une prise de pouvoir par Mélenchon : l’Institut La Boétie, dirigé par Clémence Guetté qui fait partie du premier cercle de « La France Insoumise », a eu l’honneur de recevoir cet antisémite notoire ; et on peut voir sur leur chaine Youtube[7] la conférence qu’il a donnée en France.

[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/18/guerre-israel-hamas-apres-les-prises-de-position-de-greta-thunberg-le-mouvement-ecologiste-fridays-for-future-se-dechire_6200925_3210.html?random=783616241

[2] https://x.com/Doranimated/status/1728477168139694502

[3] https://x.com/halteconnerie/status/1814951107946217490

[4] https://x.com/GeWoessner/status/1759249904000450948

[5] https://x.com/emma_ducros/status/1836510263266197947?lang=fr

[6] https://k-larevue.com/malm-antisemitisme-vert/

[7] https://www.youtube.com/watch?v=RbWH8PRTra4

 

 

 

 

à propos de l'auteur
Bénévole au sein de la communauté juive de Paris pendant plusieurs décennies, il a exercé le métier d'ingénieur pendant toute sa carrière professionnelle. Il a notamment coordonné l'exposition "le Temps des Rafles" à l'Hôtel de Ville de Paris en 1992, sous la direction de Serge Klarsfeld. Producteur de 1997 à 2020, sur la radio Judaïques FM, de l'émission "Rencontre". Chroniqueur sur le site "La Revue Civique". Président délégué de la Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF (2009-2019). Vice président (2012-2024) de la "Fraternité d'Abraham" association laïque pour le rapprochement entre Judaïsme, Christianisme et Islam.
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