Trump, 2016-2020 en miroir

L'ancien président américain et candidat républicain à la présidence Donald Trump s'exprime lors d'une soirée électorale au West Palm Beach Convention Center à West Palm Beach, en Floride, le 6 novembre 2024. (Crédit : Jim WATSON / AFP)
L'ancien président américain et candidat républicain à la présidence Donald Trump s'exprime lors d'une soirée électorale au West Palm Beach Convention Center à West Palm Beach, en Floride, le 6 novembre 2024. (Crédit : Jim WATSON / AFP)

Tout a été inattendu depuis le mardi 5 novembre.

D’abord, bien sûr, les résultats de toutes les élections tenues ce jour-là aux États-Unis. Celle de Donald Trump a été claire et nette contrairement à sa victoire de 2016, car il a non seulement obtenu une nette majorité des « grands électeurs », mais aussi gagné le vote populaire, avec environ 3 millions de voix d’avance sur Kamala Harris.

Succès des candidats républicains aussi au Capitole, car ils ont cette fois la majorité à la fois à la Chambre des Représentants et au Sénat.

Surprise ensuite dans la manière à la fois « douce » et rapide de ce début de transition : entretien apparemment courtois avec Joe Biden une semaine après ; et surtout, nomination très rapide des principaux Secrétaires d’État révélant que, cette fois ci, la prise de pouvoir avait été bien préparée : sur ces nominations il y aurait beaucoup à dire, et cela sera réservé à un autre article.

Tout ceci contraste déjà avec « le bruit et la fureur » redouté depuis l’élection de 2020, et ayant accompagné une campagne électorale hystérisée par le nouveau ex-président élu, comme il sait si bien le faire. Vu d’Israël et des principales Diasporas, les réactions ont été bien prévisibles. Une majorité d’Israéliens sont heureux de ce changement d’équipe, et leur pourcentage dépasse largement les supporters du gouvernement Netanyahu.

Une majorité – certainement plus forte – des Français juifs est tout à fait enchantée, rêvant pour beaucoup de voir ses deux « super héros », Bibi et Trump, mener ensemble, tels des cavaliers de l’apocalypse, l’assaut contre les installations nucléaires en Iran : tout est tellement simple dans le monde du wishful thinking…

Plus préoccupés par la stabilité économique et la résilience de leur démocratie, les Juifs américains sont restés fidèles au parti démocrate, Kamala Harris obtenant 79% de leurs suffrages. Et le soutien massif et constant de l’administration Biden à un Israël en guerre depuis plus d’un an – livraisons massives de munitions, soutien diplomatique, participation à sa défense contre les missiles iraniens, crédits imposants votés au Congrès – ne leur a pas non plus donné l’impression qu’ils « trahissaient » en le faisant.

Cela n’a pas empêché Trump de tenir pendant la campagne des propos douteux contre eux, comme rappelé ici[1] :

Il a non seulement accusé une nouvelle fois les Juifs de déloyauté envers lui et envers Israël, mis en cause leur santé mentale s’ils votaient démocrate, et, pour faire bonne mesure, les a accusés par avance d’être les responsables de sa défaite éventuelle à l’élection présidentielle.

Ceci étant posé, les choses sont-elles tellement simples ? Donald Trump a-t-il été objectivement le plus pro-israélien des présidents américains ?

En remontant quelques décennies avant Joe Biden – qui, non juif, s’est déclaré « sioniste », on retrouvera aux carrefours critiques de l’histoire d’Israël plusieurs autres présidents, à commencer par Harry Truman, qui n’eut pas peur de reconnaitre en 1948 le tout jeune État envahi par tous ses voisins arabes ; ou même le peu sympathique Richard Nixon qui, très affaibli par le scandale du Watergate, eut quand même pendant la guerre du Kippour le cran de résister au chantage de l’embargo pétrolier, tout en assurant la survie du pays par – déjà ! – un pont aérien pour compenser les lourdes pertes subies par Tsahal.

Sur son premier mandat de 2016 à 2020, on a logiquement retenu une série d’actes forts :

  • le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem ;
  • la reconnaissance de l’annexion du plateau du Golan ;
  • la rupture de l’accord sur le nucléaire iranien ;
  • les « Accords d’Abraham » avec l’établissement de relations officielles avec les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn et le Maroc.

On a vite oublié son projet de résolution du conflit palestinien, comprenant le projet d’un État indépendant sur quelques 70% de la Cisjordanie : ce fameux « deal du siècle » a été abandonné, en raison de l’hostilité du monde arabe et de l’Autorité Palestinienne, mais surtout de la défaite de Trump quelques mois après.

Maintenant présents en force dans le gouvernement Netanyahu, les partis d’extrême droite refusent tout compromis territorial. Bezalel Smotrich espère ouvertement que, avec la nouvelle administration américaine, « 2025 sera, avec l’aide de Dieu, l’année de la souveraineté en Judée et en Samarie ». Lui et ses soutiens devraient être pleinement soutenus par Mike Huckabee, le nouvel ambassadeur des États-Unis à Jérusalem que l’on vient de découvrir.

Proche à la fois des communautés évangéliques – un des piliers de la campagne de Donald Trump, et de dirigeants des implantations qu’il fréquente depuis longtemps, il vient de dire dans une interview qu’il soutenait une souveraineté israélienne totale sur la rive Ouest du Jourdain. Que resterait-il alors des Accords d’Abraham, signés en particulier avec les Émirats avec la promesse de ne pas annexer ces territoires ? Netanyahu comme Trump, en populistes aguerris, ont appris à vendre tout et son contraire à des publics différents ; mais les retours de boomerang existent aussi.

Sur le retrait de « l’accord de Vienne sur le nucléaire » signé par Obama en 2015, le discours européen mais aussi longtemps celui des Démocrates – l’administration Biden a tenté, sans succès, de reprendre le dialogue avec les Iraniens – est que ce fut une erreur car, sans contrôle de l’AIEA la République Islamique a pu reprendre l’enrichissement de l’Uranium jusqu’à des seuils maintenant tout proches de celui de l’arme atomique.

C’était oublier que cet accord devait prendre fin en 2025 (demain !), ce qui aurait permis, de toute façon et sans le démantèlement des installations non imposées 10 ans avant, une marche rapide au nucléaire militaire. Mais le fait était surtout sur quoi il ne portait pas :

  • les missiles balistiques permettant aux mollahs de terroriser leur voisinage ;
  • la domination progressive du Proche-Orient, avec le bras armé du corps des « Gardiens de la Révolution » directement engagés en Syrie ;
  • les proxys en Irak, au Liban et au Yémen dont la nocivité a été surtout démontrée depuis l’automne 2023, avec le harcèlement à distance d’Israël.
Les systèmes de défense aérienne israéliens interceptent des missiles tirés depuis l’Iran, dans le centre d’Israël, le 14 avril 2024. (Crédit : Tomer Neuberg/AP)

Certes, l’Iran n’aurait jamais signé l’accord modifié réclamé en 2018 par Donald Trump et son Secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo. Certes la « pression maximale » du retour aux sanctions promise par le président américain s’est avérée inefficace. Les autres pays occidentaux ont eux aussi fait chou blanc dans leur tentative de déclarer « illégales » ces sanctions ; et au final, deux acteurs alors en retrait sont venus sauver la mise à la République Islamique : la Russie de Poutine, devenu un allié militaire, et la Chine, devenue le principal client du pétrole iranien.

Remarquons aussi que les principales figures de l’administration américaine de l’époque ayant œuvré en parfaite résonance avec la ligne « vendue » avec succès par Netanyahu : Mike Pompeo, Secrétaire d’État ; Nikki Haley, la percutante représentante à l’ONU, John Bolton, conseiller à la Sécurité Nationale, sont tous passés depuis à la trappe.

Est-ce parce qu’ils représentaient les héritiers des « Néoconservateurs » de l’ère Bush junior, en partie discrédités par les guerres en Irak et en Afghanistan ? Est-ce un message adressé à une large partie de l’électorat républicain de 2024, isolationniste et penchant souvent vers l’extrême droite ? Est-ce parce qu’ils étaient des républicains « old school », donc non « MAGA » (Make America Great Again), nouvelle marque de fabrique d’un parti se confondant avec son patron tout puissant ? Trump en a aussi certainement voulu à Haley de l’avoir défié un moment dans la primaire de cette présidentielle. Mais dans tous les cas, Israël a perdu aussi avec eux des amis solides.

Il y avait aussi un lien logique entre le retournement américain contre l’Iran en 2018, et les nouveaux accords signés par Israël avec une partie du monde arabe deux ans après : beaucoup y ont vu en filigrane une alliance contre une menace commune, menace existentielle pour le premier, conflits par procuration pour les seconds.

Mais il faut aussi rappeler des épisodes dramatiques qui n’ont pas fait les grands titres des médias, et ils se sont joués entre l’Arabie, les Émirats Arabes Unis et le Yémen. En 2014, les Houthis, tribus rebelles du Nord de ce dernier pays, de confession « zaydite » (proche du Chiisme), déclenchent une guerre civile rapidement victorieuse puisqu’ils s’emparent de la capitale et de la moitié Ouest du territoire. Ils sont soutenus par l’Iran, qui réalise rapidement l’enjeu stratégique de cet État, porte d’entrée de la Mer Rouge et face à la corne de l’Afrique.

Une coalition arabe dirigée par l’Arabie Saoudite vient au secours du président déchu parti se réfugier à Aden, et y participent aussi les Émirats. Se déroule alors un conflit ayant un fort impact sur la population civile (famine, épidémies), avec des tués en grand nombre (plus de 100 000 morts selon la CIA, beaucoup plus selon d’autres sources).

Les forces de la coalition arabe s’enlisent, malgré des succès initiaux. L’Iran joue habilement en coulisses, fournissant des armes sophistiquées comme des missiles balistiques, tirés vers le territoire saoudien. Mais le tournant décisif a lieu le 14 septembre 2019 : ce jour-là, des bombardements aériens visent les raffineries de la Saudi Aramco, dans l’Est du Royaume : 60% de la production est arrêtée, avant réparation en urgence.

Les rebelles Houthis le revendiquent – ils seront très forts aussi pour annoncer des coups fumants imaginaires, en Mer Rouge ou contre Israël depuis un an. Les éléments de l’enquête accréditent plutôt une attaque venue du Nord, comprenant 18 drones et 7 missiles de croisière, envoyés selon les hypothèses soit par une milice pro-iranienne en Irak, soit par le Hezbollah, dont on connaît maintenant la coopération militaire avec ses alliés yéménites[2].

L’important à ce moment-là a été ce que n’a pas fait Donald Trump : une attaque d’une ampleur stratégique contre un allié des États-Unis n’a donné lieu à aucune réplique militaire directe. Clairement, les pays arabes du Golfe ont ressenti alors une grande solitude et ont décidé, sans le dire mais peu à peu, de sortir d’une logique d’affrontement avec la République Islamique.

Sont venus ensuite, en l’espace de quelques années : un premier cessez-le-feu d’un an au Yémen en 2022, renouvelé un an après ; mais surtout la reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran début 2023 ; puis une posture de « neutralité » à partir du 7 octobre, certes sans rompre avec Israël, mais avec une prudence extrême, en ne participant pas par exemple à la coalition maritime pour défendre la navigation en Mer Rouge contre la piraterie des Houthis.

Ce refus d’intervenir directement en solidarité avec des alliés a dû leur sembler, aussi, encore plus injuste lorsqu’on a vu peu après l’administration Trump prendre des risques sur un autre théâtre d’affrontement indirect avec l’Iran.

Pour mémoire, l’armée américaine avait et a toujours de nombreuses bases en Irak, officiellement pour aider ce pays contre les reliquats d’État Islamique encore présents après la reconquête de Mossoul. Mais ce pays, à majorité chiite, tolère aussi de nombreuses milices alliées de la République Islamique ; celles-ci ont harcelé fin 2019 les soldats américains présents. En représailles, un drone américain tue à sa sortie de l’aéroport de Bagdad le 3 janvier 2020 le général Qassem Souleimani, chef du corps « Al Qods » des « Gardiens de la Révolution » : quelque part, ce fut aussi comme une annonce des éliminations ciblées des chefs des différents proxys de l’Iran, menées par Israël depuis un an.

Qu’avait Donald Trump à l’esprit quand il a pris cette décision ? Était-ce un coup de tête ? Simplement ce qu’il considérait comme une vengeance ponctuelle, mais sans stratégie ? Silence pour l’Aramco, mais surréaction pour Soleimani, « mes soldats comptent plus que mes alliés » ? Le nouveau mandat qui vient de commencer nous racontera la suite de l’histoire.

[1] https://fr.jcall.eu/a-la-une/la-grande-peur-des-juifs-americains
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Attaque_d%27Abqa%C3%AFq_et_de_Khurais

à propos de l'auteur
Bénévole au sein de la communauté juive de Paris pendant plusieurs décennies, il a exercé le métier d'ingénieur pendant toute sa carrière professionnelle. Il a notamment coordonné l'exposition "le Temps des Rafles" à l'Hôtel de Ville de Paris en 1992, sous la direction de Serge Klarsfeld. Producteur de 1997 à 2020, sur la radio Judaïques FM, de l'émission "Rencontre". Chroniqueur sur le site "La Revue Civique". Président délégué de la Commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF (2009-2019). Vice président (2012-2024) de la "Fraternité d'Abraham" association laïque pour le rapprochement entre Judaïsme, Christianisme et Islam.
Comments