Trudeau se déclare sioniste, mais encore ?

Justin Trudeau a déclaré « Je suis sioniste » dans un discours lors du National Forum on Combatting Antisemitism en 2025, principalement pour des raisons de politique intérieure. Lors de ce discours, Trudeau a insisté sur la montée de l’antisémitisme au Canada, notamment après le 7 octobre 2023.
Le rapport « La montée de l’antisémitisme au Canada et les moyens d’y faire face » du Comité permanent de la justice et des droits de la personne (décembre 2024) traite de ce phénomène et propose des mesures pour y répondre.
Ce rapport reprend les chiffres d’une organisation qui note que l’antisémitisme a atteint un niveau historique, avec une augmentation de 109 % entre 2022 et 2023.
Cette recrudescence fut malheureusement visible sur les campus universitaires, où de nombreux étudiants juifs ont exprimé publiquement leur sentiment d’insécurité.
Cette hostilité se traduit aussi par des actes de violence verbale, physique, du harcèlement et des actes de vandalisme visant des institutions juives, telles que des synagogues et des écoles
Le « Je suis sioniste » de Trudeau n’est pas une déclaration anodine. On peut aller jusqu’à établir un parallèle avec le célèbre « Ich bin ein Berliner » (Je suis Berlinois) prononcé par John F. Kennedy en 1963.
Dans les deux cas, les déclarations dépassent leur signification littérale et visent à exprimer une solidarité morale plutôt qu’une identification littérale. Plusieurs institutions sécuritaires au Canada ont suivi le pas.
Elle s’inscrit dans une stratégie politique visant à contrer l’antisémitisme et non dans une volonté de marginaliser le récit ni la cause palestinienne. Il faut la lire comme un appel à la tolérance.
Le monde musulman doit comprendre que lorsqu’un dirigeant occidental déclare « Je suis sioniste », il ne signifie pas nécessairement qu’il adopte le sionisme en tant que mouvement politique ou qu’il soutient la politique israélienne envers les Palestiniens. Il utilise avant tout ce terme pour exprimer un soutien aux Juifs en général et à la communauté juive de son pays. D’ailleurs, un bon nombre de sionistes s’oppose à la politique israélienne et à l’occupation.
Pour Trudeau, l’utilisation de l’expression « Je suis sioniste » est un acte rhétorique pour exprimer son appui à la communauté juive du Canada, mettant en lumière un soutien politique plutôt qu’une adhésion aux principes idéologiques du sionisme.
Il est crucial de faire cette distinction.
Bien sûr, de nombreux dirigeants occidentaux se déclarent sionistes pour signifier leur engagement envers le droit d’Israël à exister et à se défendre.
L’allocution de Justin Trudeau a provoqué une multitude de réactions, à la fois sur le sol canadien et à l’échelle mondiale, notamment sur les réseaux sociaux et parmi certains groupes critiques de la politique israélienne, qui interprètent cela comme un soutien inconditionnel à des politiques considérées comme injustes, surtout en ce qui concerne les droits des Palestiniens.
Plusieurs analystes arabes avancent que ce discours a entaché la bonne image de Trudeau dans le monde arabe et aura un impact négatif sur son legs politique.
Dans le monde arabe, la guerre du narratif et de la propagande idéologique ont pris une dimension plus combative après les accords d’Abraham. Il existe un effort pour remodeler le discours dans la région, afin que les relations entre États et Israël deviennent quelque chose de naturel.
Des déclarations comme « Je suis sioniste » de Trudeau sont réduites par une frange conservatrice à un « soutien à l’occupation israélienne », plutôt que d’être replacées dans un débat interne au Canada. Ainsi, cette instrumentalisation du discours vise à imposer une vision simpliste et partisane, où toute opposition aux politiques de normalisation avec Israël devient un acte politiquement incorrect et condamnable.
Depuis le début de la guerre à Gaza, de nombreuses manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu au Canada, dénonçant le soutien du gouvernement canadien à Israël. Les forces policières ont su gérer ces manifestations et ont parfois toléré certains débordements et actes de violence. Cette tolérance s’avère cependant à double tranchant, car elle a engendré un climat d’insécurité sur les campus universitaires et une intensification de l’intimidation envers la communauté juive.
C’est dans ce contexte qu’il faut relire les propos de Justin Trudeau. Reprenons ses paroles :
Chanter les louanges du Hamas n’est pas normal. Que des antisémites chantent les louanges du Hamas et du Hezbollah en agitant leurs drapeaux dans les rues de nos villes n’est pas normal. Que des étudiants juifs soient hués dans leurs salles de classe et sur les campus pour avoir simplement exprimé leur identité, leurs opinions et leurs croyances n’est pas normal. Que des synagogues et des écoles juives soient attaquées et incendiées par des lâches en pleine nuit n’est pas normal. L’indifférence assourdissante, voire la rationalisation de la montée de l’antisémitisme, de plus en plus répandue, n’est pas normale. Le terme « sioniste » est de plus en plus utilisé comme un terme péjoratif, alors qu’il signifie simplement que croire au droit du peuple juif, comme de tous les peuples, à déterminer son propre avenir n’est pas normal. Personne au Canada ne devrait avoir peur de se dire sioniste. Je suis sioniste.[1]
Il est important de noter que depuis 2002, le Hezbollah et d’autres groupes palestiniens, comme le Hamas, sont classés comme des groupes terroristes par le gouvernement canadien. Ainsi, toute collaboration, support ou assistance, directe ou indirecte, à ces groupes est prohibée au Canada. Leurs sympathisants pourraient être sujets à des sanctions, y compris des accusations au pénal.

C’est à se demander si ces manifestants peuvent soutenir le Hamas et le Hezbollah, dans certains pays acquis à la cause palestinienne, sans conséquences. Si oui, pourquoi insister pour brandir des drapeaux problématiques sur le sol canadien ? La réponse réside dans la tolérance et la liberté d’expression, même quand elles dérangent.
Pour rappel, ce même Premier ministre a souvent démontré son soutien à la communauté musulmane du Canada, en particulier suite à l’attaque de la Grande Mosquée de Québec. Il a aussi pris la défense des droits des Musulmans quand il était nécessaire de le faire. Le Canada, sous la gouverne libérale, vote toujours en faveur des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies pour dénoncer l’expansion des colonies israéliennes dans les Territoires palestiniens, y compris à Jérusalem-Est, et sur le Golan. Parfois, dans les médias canadiens, on se compare aux pays arabes.
Les médias turcs et arabes, en diffusant les propos de Trudeau sans les contextualiser ni prendre en compte les dynamiques internes canadiennes, participent à la désinformation et portent aussi préjudice à l’unité sociale au sein de la communauté canadienne.
[1] « Singing the praises of Hamas is not normal. Anti-Semites, singing the praises of Hamas and Hezbollah while waving their flags in the streets of our cities is not normal. Jewish students being shouted down in their classrooms and campuses for simply expressing their identity, their opinions, their beliefs, is not normal. Synagogues and Jewish day schools being attacked and firebombed by cowards in the night is not normal. The increasingly common deafening indifference toward, or even rationalization of rising anti-Semitism is not normal. The term Zionist is increasingly being tossed around as a pejorative, in spite of the fact that it simply means believing in the right of Jewish people, like all people, to determine their own future is not normal. No one in Canada should ever be afraid to call themselves a Zionist. I am a Zionist. »