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Trois anniversaires

Ariel Bibas a eu cinq ans en captivité du Hamas à Gaza, le 5 août 2024. (Crédit : Autorisation)
Ariel Bibas a eu cinq ans en captivité du Hamas à Gaza, le 5 août 2024. (Crédit : Autorisation)

1. Ariel

J’écris ces lignes ce mardi 6 août, au lendemain du jour de l’anniversaire du petit Ariel Bibas, détenu en otage par le Hamas à Gaza avec sa mère Shiri et son petit frère Kfir, un an depuis janvier dernier. Son père Yarden est lui aussi otage, mais il a été enlevé séparément de sa femme et de ses enfants.

Ariel a donc eu 5 ans ce lundi 5 août 2024. Hier, nous avons été plusieurs centaines à nous regrouper autour de sa famille, à la demande de celle-ci, pour marcher dans le centre de Tel-Aviv en cette triste occasion. Comme d’habitude, une manifestation polie, calme, « comme il faut ». Beaucoup trop à mes yeux. Car il y a quelqu’un qui a décidé qu’Ariel et tous les autres restent prisonniers à Gaza, et pour des raisons tactiques ; beaucoup de familles d’otages ont décidé de ne pas attaquer de front ce « quelqu’un ». J’y reviendrai plus loin.

Mais parlons d’abord d’Ariel. Le coeur veut espérer, la raison fait profondément douter. Survivre à plus de 300 jours de captivité aux mains d’une organisation de matrice nazie, sans nourriture décente, sans soins, sans hygiène minimale, sans visite de la Croix-Rouge – qui semble reproduire sa passivité des années de la Shoa et manquer singulièrement de motivation pour exiger ce minimum de la part du Hamas – sera déjà extrêmement difficile pour les jeunes soldats et les hommes en bonne condition physique détenus eux aussi à Gaza. Comment alors imaginer qu’un enfant de cinq ans puisse s’en sortir ? Et son petit frère d’un an ? Le sort de ces enfants et de leurs parents est de toute façon déjà incertain depuis fin novembre 2023, et des estimations contradictoires circulent depuis lors à leur propos…

Nous connaissons tous, malheureusement, la famille Bibas, et en particulier les deux petits rouquins, Ariel et Kfir. Ce dernier avait neuf mois lors de son enlèvement. Nous aurions donné cher pour ne jamais les avoir connus, et eux, pour rester une famille anonyme du kibboutz Nir Oz. Leurs photos sont devenues emblématiques d’une situation sans précédent, non seulement en Israël, mais aussi dans le monde. Sauf erreur ou omission, jamais un mouvement de « libération », avec ou sans guillemets, n’avait jusqu’ici pris en otage des enfants, des femmes, des grands-pères et des grand-mères, pour faire avancer sa cause. Jamais. Ni l’IRA, ni le FLN algérien, ni l’ETA basque.

Il en faut plus, évidemment, pour émouvoir les sectateurs pro-palestiniens de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite, si opposés a priori (mais à y regarder de plus près…).

Vous souvenez-vous de cette députée LFI, Ersilia Soudais, celle-là même qui avait invité à l’Assemblée nationale la militante du terrorisme palestinien Mariam Abou Daqqa, membre du bureau politique du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) à Gaza ? Elle se plaignait le 25 octobre 2023, après avoir trouvé sur la porte de son bureau parlementaire un tract avec la photo du petit Kfir : « Ne faut-il pas être cinglé pour venir me harceler jusqu’à mon bureau, à l’Assemblée ? ». Pauvre âme persécutée, être ainsi « harcelée » sur le sort d’un bébé de quelques mois enlevé par ceux que son parti ne parvient pas à qualifier de terroristes… On l’aurait presque consolée, si on n’avait pas été pris d’une violente nausée.

Depuis lors en tous cas, et jusqu’à ce jour, personne ne sait où est Kfir, où est Ariel, 5 ans depuis ce 5 août, où sont ses parents, et où sont tous les autres, toutes les autres.

2. Yaïr

Un autre anniversaire, bien plus joyeux, a été fêté la semaine passée. Yaïr N. est un jeune Israélien de 33 ans depuis le 26 juillet dernier, en villégiature depuis quelques mois à Miami, Floride. Évidemment, étant en âge de servir comme réserviste, on aurait pu espérer que comme des milliers d’autres jeunes Israéliens qui se trouvaient à l’étranger le 7 octobre, il rentrerait au plus vite au pays pour prêter ses forces à l’effort de guerre, mais cela ne s’est pas produit. Yaïr N. a continué son séjour à Miami, sous la protection rapprochée de deux agents du Shabak (coût annuel : 2.5 millions de shekels par an, soit autour de 600.000 euros). Pourquoi cette protection ? C’est que le jeune Yaïr n’est pas n’importe qui : il est le fils de Mr. Benjamin N. et de Madame Sara N., et à ce titre il a été décidé de lui accorder cette protection, sans précédent semble-t-il.

Yaïr n’est pas connu pour être un travailleur acharné. Cette caractéristique fait le bonheur des satiristes, mais pas celui des contribuables israéliens. Cela lui a laissé tout le temps de fêter ses 33 ans avec Papa et Maman Netanyahu, qui se trouvaient opportunément aux USA fin juillet. « Mr. 7 octobre » a parlé au Congrès mercredi passé, vu Joe Biden et Kamala Harris jeudi et Donald Trump vendredi.

Israël est en guerre, on se serait attendu à ce que le couple royal rentre rapidement au pays après ces rencontres, mais pas de chance, shabbat approchant, il a dû rester aux États-Unis jusqu’à samedi soir, et a donc pu fêter avec le fiston comme il se doit. Celui-ci ensuite revenu en Israël avec ses parents, à bord de l’avion hyper-luxe de ces derniers, « Aile de Sion » (« Knaf Tsiyon »), qui a lui seul résume la mégalomanie, les exigences sans fin et l’insatiable appétit de luxe des Netanyahu ; le même avion que Bennett et Lapid, anciens Premiers ministres, avaient refusé d’utiliser, et dont chaque vol transatlantique coûte plus de 200.000 dollars.

J’ai dit que Yaïr n’est pas un fanatique du travail, mais cela ne veut aucunement dire qu’il soit inactif, loin de là. Il consacre énormément de temps à alimenter la « machine à poison » qui fait de quiconque ne salue pas son père au garde-à-vous un ennemi de la patrie, un traître. C’est le même bon fiston qui a qualifié en son temps la police israélienne, coupable d’enquêter sur son père, de « Gestapo », et comparé les kibboutzim à l’Allemagne nazie. Il n’hésite pas non plus à répandre des insinuations sur la vie privée des adversaires de son père, comme ce fut le cas avec Benny Gantz.

Un coup d’oeil sur sa notice Wikipedia vous donnera un florilège assez vomitif de ses positions idéologiques et de ses fréquentations d’extrême-droite, aux États-Unis comme en Europe. Début juillet dernier, planqué au soleil de la Floride alors que son pays est en guerre, il accusait encore la Cour suprême et le procureur général de « détruire le pays ». Le bon fils que voilà… Il méritait bien son gâteau d’anniversaire.

3. Un autre Yaïr

Une cellule d’anciens diplomates, créée et emmenée par Daniel Shek, ancien ambassadeur d’Israël en France, et Émilie Moatti, ancienne députée travailliste, travaille depuis ce tragique 7 octobre 2023 aux côtés des familles d’otages, pour mettre à leur service leur expérience dans le domaine si important des relations internationales. Briefings tous azimuts, contacts avec des gouvernements et des figures du monde politique, culturel, médiatique et économique à travers le monde, sont au menu quotidien de ce groupe, ainsi que l’accueil de personnalités, de missions de solidarité, etc… La mission est évidemment de maintenir autant que possible les projecteurs sur le drame des otages, de ne pas permettre à quiconque, de certains ministres israéliens à des Soudais, Portes et apparentés, de le faire plonger dans l’oubli.

Mardi dernier, 30 juillet, c’était l’anniversaire d’un autre Yaïr, Yaïr Horn, 48 ans ce jour-là. Mais ce Yaïr-là n’a sûrement pas fêté son anniversaire : il est otage à Gaza. Et il n’y est pas seul : son frère Eitan y est détenu, lui aussi. Eitan était venu voir son frère au kibboutz Nir Oz, et tous deux y ont été capturés le 7 octobre. Leur père, Itzik, a donc la double peine. Itzik est l’un des piliers du « Quartier Général des familles des otages », avec lequel travaille la cellule des anciens diplomates. Originaire d’Argentine, éducateur chevronné, il est toujours sur la brèche, multiplie les interviews, les témoignages face aux visiteurs. Je l’ai rencontré déjà plusieurs fois, et traduit ses paroles pour plusieurs missions. C’est le genre de personnes dont on se demande de quelle matière elles sont faites. D’où il tire la force avec laquelle il affronte la terrible situation de ses deux fils (le troisième, heureusement, est à ses côtés), et la sienne, et ceci d’autant plus que sa santé est loin d’être florissante.

C’était donc l’anniversaire de Yaïr Horn, ce 30 juillet, et à la demande d’Itzik nous nous sommes retrouvés pour le marquer – on ne peut pas dire « le fêter »… Je pense qu’il voulait vraiment nous avoir autour de lui en cette journée plus difficile encore que les autres depuis dix mois. Il appelle le QG des familles d’otages sa « seconde maison ». Il tente de garder le moral, mais n’a pu s’empêcher de conclure les quelques paroles qu’il a prononcées de cette manière : « Comme le Premier ministre, j’ai un fils qui s’appelle Yaïr, et dont l’anniversaire tombe cette semaine. Au-delà de cela, je n’ai plus rien en commun avec lui ».

Nous sommes nombreux à partager ce qu’il ressent, terrifiés que nous sommes de voir que « Mr. 7 Octobre » semble faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher toute avancée vers un accord qui permettrait la libération des otages, comme l’ont encore dit tous les responsables de la défense lors d’une réunion houleuse avec lui la semaine passée. Les échanges, révélés ce vendredi 2 août par la chaîne 12, montrent que ces derniers semblent désormais convaincus qu’après avoir amené sur les otages la catastrophe du 7 octobre, le fauteur de leur malheur les abandonne aujourd’hui une seconde fois à un sort qui ne fait plus de doute.

Alors Ariel, Kfir, leurs parents, Yaïr et Eitan, tous et toutes les autres, sacrifiés ? Voilà ce qui arrive à ceux qui ne sont pas du bon bord quand on a un Premier ministre qui hait, d’une haine profonde, tenace, inextinguible, tout ce qui n’est pas de son camp politique, et qui a pour seul but de prolonger sa présence au pouvoir, pour laquelle lui est indispensable le soutien d’une extrême-droite religieuse à laquelle toute considération humaine, même pour ses « frères » juifs, est totalement étrangère.

Certains des otages eux-mêmes ne se faisaient à ce propos aucune illusion. Adina Moshé, 72 ans, enlevée au kibboutz Nir Oz et libérée fin novembre 2023, rapportait récemment, en larmes, à la télévision, un échange en captivité avec un autre otage du kibboutz, Haïm Peri, 79 ans, dont la mort a depuis été confirmée par Tsahal. Peri lui avait dit que le Premier ministre Benjamin Netanyahu ne ferait rien pour les libérer parce qu’ils étaient ‘des gauchistes’ :  « Chaim Peri m’a dit que ça pourrait durer deux ans. Je lui ai dit : ‘Mais pourquoi es-tu si pessimiste ?’  Nous nous sommes même querellés. Je lui ai dit : ‘Nous avons un pays.’  Il m’a répondu : ‘Nous avons Bibi et nous sommes de gauche' ».

Comment un Premier ministre qui mène ses compatriotes à une telle réflexion, à un tel désespoir, alors qu’ils sont dans la situation la plus tragique qui soit, peut-il encore se regarder dans un miroir ? Seul l’intéressé le sait. Moi, ça me dépasse, me dégoûte, m’épouvante et me révolte. Qui donc nous libérera de son emprise malfaisante, avant qu’il ne soit trop tard pour les otages, et pour Israël en général ?

à propos de l'auteur
Né à Bruxelles (Belgique) en 1954. Vit en Israël depuis 1975. Licencié en Histoire contemporaine de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Ancien diplomate israélien (1981-1998) avec missions à Paris, Rome, Marseille et Lisbonne et ancien directeur de la Communication, puis d'autres projets au Keren Hayessod-Appel Unifié pour Israël (1998-2017).
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