Tribune – Juif, je ne peux me taire sur l’Ukraine

Des enfants ukrainiens jouant à un poste de contrôle abandonné à Kherson, dans le sud de l'Ukraine, le mercredi 23 novembre 2022. (Crédit : AP/Bernat Armangue)
Des enfants ukrainiens jouant à un poste de contrôle abandonné à Kherson, dans le sud de l'Ukraine, le mercredi 23 novembre 2022. (Crédit : AP/Bernat Armangue)

Je suis Juif.

Cette identité ne m’appartient pas seulement à titre personnel. Elle est une mémoire, une responsabilité, un héritage. Elle m’oblige.

Être Juif, c’est porter en soi la mémoire de tant d’enfants arrachés à leurs familles, de tant de femmes et d’hommes emmenés sans explication, de médecins déportés parce qu’ils soignaient au mauvais endroit, pour les mauvaises personnes, au mauvais moment. C’est avoir inscrit dans sa chair l’histoire de ce que le monde permet quand il détourne les yeux.

Aujourd’hui, en Ukraine, des enfants sont enlevés. Des civils, y compris des médecins, sont capturés, déportés, déplacés de force vers la Russie. Par milliers. Les chiffres sont connus. Les visages, parfois, circulent. Mais le silence – diplomatique, médiatique, politique – est assourdissant.

Comment, moi, Juif, pourrais-je ne pas réagir ?

L’histoire nous a appris à reconnaître les signes. À lire entre les lignes. À entendre l’inhumain là où d’autres entendent encore des justifications politiques. Nous savons ce que signifie être effacé, déplacé, déraciné. Nous savons ce que coûte l’attente interminable de nouvelles d’un proche. Nous savons ce que produit, sur des générations entières, l’exil forcé et la disparition.

Je pense à ces enfants ukrainiens qui, comme tant d’enfants juifs autrefois, grandiront sans savoir qui ils sont vraiment, ou dans le déni de leurs origines, conditionnés à oublier. Je pense à ces civils, ces soignants, dont le seul « crime » a été d’exister ou d’aider dans une zone de guerre. Je pense à ces familles à qui l’on a arraché un fils, une fille, un père, une mère.

Se taire, ce serait trahir ce que signifie être Juif après Auschwitz.

Ce serait accepter qu’au XXIe siècle, sur notre continent, des enlèvements de masse puissent être normalisés. Ce serait détourner le regard comme d’autres l’ont fait hier, pendant que des enfants disparaissaient dans des wagons sans retour.

Je refuse cela.

Parce que notre devoir de mémoire ne vaut que s’il devient action. Parce que notre passé ne peut justifier notre silence, mais au contraire exiger notre voix. Parce que l’humanité ne se défend pas seulement par des commémorations, mais aussi par des prises de position, ici et maintenant.

Aujourd’hui, en Ukraine, des enfants pleurent leurs parents. Des médecins sont emprisonnés pour avoir soigné. Des civils disparaissent sans trace. Ce ne sont pas des faits secondaires. Ce sont des crimes. Et ils nous regardent.

Je suis Juif. Et je me lève.

à propos de l'auteur
Eric Gozlan est co-directeur de l'International Council for Diplomacy and Dialogue . il est Conseiller diplomatique de plusieurs gouvernements Son dernier ouvrage est : Extrémisme et radicalisme : pistes de réflexion pour en sortir. Éric a toujours été intéressé par le social et les relations intrernationales. Il a été nommé il y a peu par le roi des Roms ambassadeur de sa cause pour la France et a reçu la médaille de la paix en Roumanie et celle de la Belgique Il a participé à de nombreux colloques sur la paix en Corée, Russie, Etats-Unis, Bahreïn, Belgique, Angleterre, Italie, Roumanie… Eric Gozlan écrit dans plusieurs revues dont le Nouvel Observateur en France, Times of Israël en Israël et a publié dernièrement, suite à une demande du Vatican, une étude sur l’apostasie dans le Judaïsme
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