« Tous frères » ? C’est fini !

Des milliers d'Israéliens manifestent contre la refonte judiciaire prévue, au carrefour Azrieli à Tel Aviv, le 15 avril 2023. Photo par Avshalom Sassoni/Flash90
Des milliers d'Israéliens manifestent contre la refonte judiciaire prévue, au carrefour Azrieli à Tel Aviv, le 15 avril 2023. Photo par Avshalom Sassoni/Flash90

Celles et ceux qui me font l’amitié de lire ce blog, et parfois d’en discuter avec moi certains contenus, sont aussi des gens avec une certaine patience, qui sont prêts à lire des articles parfois bien plus longs que la moyenne communément admise.

Je les en remercie, et en guise de « compensation », je vais cette fois être bien plus bref, et présenterai dès le départ les deux acquis majeurs de la protestation de masse contre le coup d’Etat juridique que le gouvernement Netanyahou pensait pouvoir réaliser sans trop de problèmes : le réveil, que j’espère définitif, du public laïc, libéral et démocrate de ce pays de sa longue et incompréhensible torpeur, d’une part, et de l’autre, la fin du mythe « nous sommes tous frères », qui a longtemps réussi à faire taire les dissensions, et ce toujours au profit des « patriotes » et « bons Juifs » autoproclamés.

Je traite ici aujourd’hui de ce slogan dont l’absurdité éclate donc désormais au grand jour : « Nous sommes tous frères », ou de sa variante « nous sommes un seul peuple ».

Eh bien non ! En tous cas à partir de maintenant, non avec un « N » majuscule !

Non, je ne suis pas le « frère » de gens qui défilent par milliers dans la manifestation pour le gouvernement à Jérusalem (au cours de laquelle certains ont aussi réclamé la libération d’Igal Amir, l’assassin de Rabin) en piétinant un calicot orné des visages des juges de la Cour suprême, comme on le fait en Iran avec les drapeaux américain et israélien.

Je ne suis pas le « frère » de manifestants qui se réunissent devant la maison de l’ancien Président de la Cour suprême Aharon Barak, 86 ans, survivant de la Shoah, et, le visage tordu par la haine, crient à celui qui fut un enfant dans le ghetto de Kovno (Kaunas, Lithuanie): « Que Dieu te brûle ! »;

Je ne suis pas le « frère » de ces habitants de Beit Shean, attaquant des manifestants contre le coup d’Etat bibiste au cri de « Retournez dans les trains en Europe, là-bas on s’occupera de vous« ;

Je ne suis pas le frère de ces manifestants bibistes qui font en 2020 le siège d’une famille qui a perdu un fils au combat, car elle a osé critiquer le Grand Leader, et retournent le fer dans la plaie de son deuil infini;

Je ne suis pas le frère de tous ces ministres qui envoient ces manifestants (je pourrais ajouter des dizaines d’autres exemples) tenter de faire taire leurs opposants, et ne se privent pas eux-mêmes de mettre le feu aux poudres en traitant ces derniers d' »anarchistes », voire de « terroristes », pour leur crime de lèse-majesté à l’encontre du Grand Leader;

Je ne suis pas le « frère »‘ ni heureusement le disciple, de ces députés orthodoxes et de leurs maîtres « sprituels » (?), qui affirment sans honte leur volonté de « faire exploser la Cour suprême« ;

Je ne suis pas le « frère » de ministres qui sont des racistes déclarés, ou des homophobes accomplis, ou les deux, voire les trois si on ajoute la case « messianiques forcenés »;

Bref, si j’ai des frères en Israël, ils sont seulement dans les rangs de ces centaines de milliers de protestataires qui cherchent depuis des semaines à sauver ce qui reste du sionisme à visage humain, et désirent aussi, ce qui devient de plus en plus difficile dans l’Israël de 2023, préserver un judaïsme humaniste, ouvert et tolérant.

C’est d’ailleurs un thème que l’on n’ose pas encore traiter ouvertement : et si tous ces violents, tous ces haineux, tous ces intolérants, avec leurs maîtres et rabbins, étaient en fait le vrai judaïsme ? Et si tous les autres tentaient de se raccrocher à quelque chose qui n’existe pas ?

Trop longtemps, beaucoup trop longtemps, le public qui porte ce pays sur ses épaules s’est tu, endormi par les sirènes de ladite « fraternité », victime aussi de ses propres valeurs de respect de l’autre et du multiculturalisme, et trahi également par des leaders inexplicablement complexés face au monde orthodoxe et politiquement opportunistes. Ce faisant, il a fait concessions sur concessions, renoncé mille fois à ses propres valeurs.

Le voilà qui se réveille enfin, prend conscience de sa force, réalise que c’est lui qui fait bouillir la marmite et paie le prix de la défense de ce pays. Il redécouvre la Déclaration d’Indépendance et sort de chez lui, physiquement, pour sauver son système juridique, perfectible sans aucun doute, que le Grand Leader et ses adulateurs ont juré de détruire, pour créer ici un régime autoritaire avec plus qu’une touche d’Iran à la juive.

Même la menace extérieure ne suffira plus désormais à nous faire taire, à nous ramener à la situation qui prévalait jusqu’il y a quelques mois. C’est fini. D’ailleurs, quel avenir attend un pays et une société dont seule la menace extérieure assure la cohésion, qui ne peut donc être que de façade ?

C’est fini, donc. Nous ne sommes pas, ou plus exactement, nous ne sommes plus « tous frères ». Nous ne sommes pas, nous ne sommes plus « un seul peuple ». Binyamin Netanyahou a détruit la cohesion de notre société. La lutte entre les deux blocs sera encore longue et âpre.

Le camp du sionisme démocratique, libéral et humaniste ne peut perdre ce combat. Il faut donc renoncer à cette fausse « fraternité », qui nous a coûté renoncements et capitulations sans fin, et mener cette lutte sans faiblir, jusqu’à son issue victorieuse.

à propos de l'auteur
Né à Bruxelles (Belgique) en 1954. Vit en Israël depuis 1975. Licencié en Histoire contemporaine de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Ancien diplomate israélien (1981-1998) avec missions à Paris, Rome, Marseille et Lisbonne et ancien directeur de la Communication, puis d'autres projets au Keren Hayessod-Appel Unifié pour Israël (1998-2017).
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