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Toupies, gâteaux et lumières

Il est plus lumineux d'interroger votre « dreyd’l» qu’un marabout ou astrologue en ligne

Les fêtes se succèdent comme des rendez-vous répétitifs qui se renouvellent à chaque occasion. C’est précisément le cas pour ‘Hanoukka \ חנוכה ou la « Fête de la Dédicace » [du Temple de Jérusalem].

Pour certains, les festivités ont commencé avec Halloween. Les Russes ont introduit le clone du Père Noël ou Ded Moroz \ Дед Мороз (Grandpapa «Gel»). Les Scandinaves sont en pleine Santa Lucia : il fait si sombre dans le Nord que la sainte romaine au nom lumineux est la bienvenue par ces frimas.

La Saint Nicolas fêtée le 6 décembre en Occident et le 19 décembre en Orient chrétien rappelle que le saint thaumaturge est venu à Jérusalem (je célèbre dans sa maison devenue église) avant de passer quelque temps à Beit Jala et d’être rappelé en Grèce pour devenir évêque de Myre en Lycie. Il est connu pour être le sauveur des situations les plus tragiques – son nom « Nikolaos veut dire « victoire du peuple ». En grec, « laos » ne veut pas dire « laïque » mais « peuple consacré à Dieu ».

Il est temps de confectionner des soufganyot \ סופגניות ou beignets à la gelée qui sont de plus en plus sophistiqués. Les Achkénazes préfèrent les « latkes \ לאטקעס – crêpes de pommes de terre frites ». Bien sûr, beaucoup de ballons et de michloah \ משלוח – cadeaux ou chanikke-gelt \ חנכה-געלט, l’argent spécialement offert aux enfants pour Hanoukka. Il ne faut pas oublier de faire des dons pour les nombreuses associations et organisations comme le Magen David Adom/מד »א qui intervient partout dans le pays,sans distinction d’origine, Koupat Ha’Ir/כופת העיר pour les vêtements, Meir Panim/מאיר פנים pour les repas aux enfants ou Aleh/עלה – Yad Sarah/יד שרה pour les handicapés et tant d’autres groupes de toutes obédiences.

Les choses ne sont pas si simples, surtout dans une société israélienne juive basée dans une terre sainte pour les Chrétiens et les nombreuses communautés qui se réclament de Jésus de Nazareth, né à Bethléem de Judée selon les Evangiles. Pour certaines familles mixtes ou séculières, voire « new wave », « Chrismukkah », combine Hanukkah et Noël, lentement remplacés par des fêtes distinctes sinon plus cloisonnées.

Il y existe aussi une sorte de « chres’mas/Christmas » laïque avec des lumignons en forme d’arbres de Noël, de sapin ou de Santa Claus avec des bougies. Les ultra-orthodoxes protestent. Les crèches n’existent pas publiquement.

Au fond, la fin de l’année civile ressemble souvent à l’hystérie molle de gens trop divers qui veulent faire la fête en gardant des noms traditionnels tout en se comportant en néo-païens. La Russie post-soviétique ne se retiendra pas dans la nuit du 31/12 au 1/1/2015, nuit mythique de fraternelle camaraderie universelle, renouvelée le 13/1 dans un esprit plus mystique orthodoxe. Le 31/12 est devenu pour certains Israéliens la « Silvestèr/סלבסטר »de la nouvelle année citoyenne…

Mais restons sur Hanoukka : pendant huit jours, on allume les huit bougies en utilisant le premier, le chamach \ שמש = serveur ou « bedeau » (de synagogue, « diacre » chez les Chrétiens d’Orient, d’où shamousha/שמושא en araméen). Les immenses candélabres généralement organisés par le Chabad Loubavitch se répandent de Jérusalem jusqu’aux confins du monde.

Une chose est sûre : la lumière a vaincu et humblement triomphé des ténèbres : « Nes Gadol Haya Po \ נס גדול היה פה – un grand miracle s’est produit ici (en Israël) ou Sham \ שם – il (vu de la diaspora) ». Il est plus lumineux d’interroger votre « dreyd’l \ דריידל ou savivon \ סביבון », petite toupie plus crédible qu’un marabout ou astrologue en ligne.

Hanoukka est la seule fête juive qui lie deux mois : la fête commence le 24 Kislev (16/12) et se termine le 2 Tevet (24/12/2014). Le chamach \ שמש (serviteur) sert à allumer les bougies est la source de luminosité solaire (Shemesh \ שמש). Hanoukka rappelle surtout la naissance mensuelle de la Lune, sa plénitude, sa décroissance et disparition apparente pour renaître selon une Providence divine et constante.

Les miracles sont ces clins d’œil vacillants qui montrent à quel point Dieu fait confiance à l’être humain – ce qui est d’ailleurs assez incroyable !

Qu’est-ce-que la fête de Hanoukka peut nous apprendre cette année ? Une victoire ? La constance de Dieu ? Notre survie et l’existence de l’humanité ? Où brille le pardon de Dieu quand nous savons à peine vivre décemment, nous respecter nous-mêmes ou nous apprécier les uns les autres ?

La lecture biblique de la semaine passée (Vayeshev/וישב) hebdomadaire a montré comment comment les frères de Joseph l’avaient vendu, par jalousie, Ils l’ont vendu à un Ismaélite. Il était plus logique de le vendre plutôt que de le tuer. Le texte original n’indique aucune trace d’interrogation morale ou spirituelle de la part des frères de Joseph.

En revanche, celui-ci a agi, en toute choses, avec un sens aigu de morale pourtant élémentaire qui s’appelle « derekh haaretz/דרך הארץ en hébreu. Les valeurs éthiques incluent par définition les Commandements et leur accomplissement comme un « chemin pour avancer sur la terre ».

Il a fermement refusé de démissionner de son poste de conseiller, ni de céder à la séduction morbide de la femme de Potifar. Elle l’a fait jeter en prison. La résistance morale à l’appropriation jalouse provoque cette haine apparemment anodine et inconsciente. C’est donc dans un lieu de privation de liberté que Joseph a commencé à interpréter les rêves jusqu’à être appelé pour clarifier le sens des cauchemars de Pharaon assommé par quelques vaches en surpoids ou quasi anorexiques. C’est tellement actuel !

Bien sûr, Hanoukka correspond aux événements historiques qui remontent à l’empereur syro-grec Antiochus Epiphane. Il avait décidé d’anéantir les Juifs en 167 av. J.C. La révolte des Maccabées a constitué le vrai combat.

Il faut pourtant souligner l’effroyable passivité des Juifs à une époque où les plaisirs, les loisirs et tout le « tralala futile et libertin » étaient plus agréables avec un certain vernis culturel grec que de faire son existence un sacrifice pour le royaume traditionnel de les Mitzvot- מצות / Commandements.

Telle est bien la tentation permanente des communautés juives avant qu’elles se resaisissent et entrent en résistance. Les plaisirs et les dérives bien rôdées mènent souvent à suspendre le temps et, du coup, la dignité morale. C’est comme au moment de la sortie
d’Egypte : une fois libres dans le désert, les ancêtres ont amèrement regretté « les oignons d’Egypte »! – Pas des latkes farineuses ou des soufganyot hypercaloriques.

Dans ce cas particulier, ils étaient prêts à perdre leur âme. Ils voulaient revenir à l’endroit où ils pourraient obtenir une nourriture assurée en esclavage – Contrat à Durée Illimitée – au pays des merveilles.

La culture grecque s’est propagée à travers tout le monde antique, influençant tant le monde juif que la pensée talmudique. Il y a le prestige de la langue, de la culture, de modes de vie raffinés, au-delà des salades grecques, de la musique diffusée sur les ondes nationales israéliennes avant l’entrée du Shabbat !

La culture grecque était centrée sur la beauté, l’absence de cicatrices et mettait déjà l’accent sur l’hédonisme clanique et les débats philosophiques.

Hanoukka rappelle que l’empereur syro-grec a décidé de détruire le mode de vie juive, par l’interdiction formelle et exterminatoire, de trois grandes « Mitsvot » / commandements de la Torah, impo-
sant :

a) D’annuler la sanctification du nouveau mois (Roch ‘Hodech \ ראש חודש) ;

b) D’abolir la Brit Milah-\ ברית מילה (circoncision) le signe de l’Alliance avec Abraham;

c) De supprimer la célébration du Shabbat \ שבת, le jour où la communauté juive reconnaît que Dieu est le Créateur de l’Univers, du temps et de l’histoire et qu’il a donné Sa Loi (Torah \ תורה) écrite et orale qui se déploie dans l’espace connu et inconnu.

Le Grand Prêtre Matityahu ben Yohanan, de la ville de Modi’in, a décidé de résister à Antiochus afin de préserver ces valeurs. Était-ce du « nationalisme » ? Est-il possible de parler d’ « ethnicité » ? Certains n’hésitent pas aujourd’hui de parler d’un ADN du judaïsme. C’est brouiller la réalité : aucun Juif ne sait à quelle tribu il appartient. Les familles cohaniques ou lévitiques sont supposées, sans réelle preuve d’authenticité. On n’est pas dans la succession apostolique chrétienne qui ne peut être acquise par la naissance.

Bref, les Maccabées ont expulsé les oppresseurs au terme de trois années de dur combat. Pourtant leur victoire a essentiellement consisté en un miracle spirituel. Ils ont repris le Temple de Jérusalem. Ils furent donc obligés de le purifier et de procéder à une nouvelle dédicace du Lieu.

Il est notoire que l’on ne trouva qu’une seule fiole d’huile d’olive et l’on sait qu’elle permit d’allumer les lampes de la menorah\מנורה (candélabre, une « lampe » en hébreu), qui a ainsi brûlé pendant huit jours.

Le miracle de la lumière a montré, à l’époque, l’importance de la lutte et de la résistance spirituelle qui restent un défi réel de nos jours, dans d’autres conditions.

Une communauté peut se détruire elle-même ou être décimée de deux méthodes différentes. Cela peut s’appliquer à d’autres entités religieuses, mais le judaïsme garde des points tout à fait spécifiques :

a) L’anéantissement physique comme les Juifs ont été exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale au moment de la Shoah- שואה / Churban \ חורבן (réduction à rien) (catastrophe), clairement évoqué dans la Bible par le petit Rouleau d’Esther. C’est la fête de Pourim. Le mot « Shoah/שואה » est lié au « shva » grammatical (phonétique) ou réduction au silence d’une voyelle (« shalom, paix et « sh’lom habayit/שלום הבית », la paix de la maison »).

b) L’anéantissement culturel, souvent très subtil et difficile à définir. La purification du Temple par les Hasmonéens montre ce genre particulier de comportement spirituel donner à Dieu le droit et la première place. Dans le monde chrétien, ceci est très similaire à la résistance spirituelle des saints et des martyrs à travers l’histoire. L’histoire moderne conduit à scruter l’exemple de milliers de croyants, bien au-delà de ce que nous pouvons mesurer de leurs actions ou de leurs convictions humaines ou spirituelles.

La première étape de la lutte menée par les Maccabées a pris fin le 25 Kislev, proposant l’une des explications données pour le nom de la fête: Hanoukka, c’est-à-dire « ‘HaNUKH \ הנוח » = « ils se sont reposés [sur le K-H = 25 \ כ »ה] « .

En fait, le nom de la fête est mentionné dans le deuxième Livre des Maccabées depuis Hanoukka est « dévouement, inauguration » (Talmud Tractate Chabbat 21b). Cette petite lampe de pétrole a été découverte de manière inattendue. Serait-il possible de rapprocher ce miracle du chant Pessa’h : « Dayènu \ דינו »: « Si Dieu n’avait fait que tel ou tel miracle … cela aurait suffi »?

À certains moments, nous avons du mal à comprendre ce qui nous met en péril – nous, non pas les autres – et qu’une société a besoin d’être ferme quand elle affirme respecter une Loi vivante, librement consentie, transmise dignement et comme un appel qui ne dépend de personne sinon de l’Eternel. C’est particulièrement difficile. Mais la résistance spirituelle n’exclut jamais personne et c’est là un test d’authenticité.

A cet égard, les paroles de Jésus, dans le sermon sur la montagne, sont intéressantes car porteuses de valeurs talmudiques : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd le goût, avec quoi va-t-on le saler ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds. Vous êtes la lumière du monde : une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Justement, votre lumière brille devant les hommes qu’ils voient vos bonnes actions et glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Matthieu 5, 13-17).

à propos de l'auteur
Abba (père) Alexander est en charge des fidèles chrétiens orthodoxes de langues hébraïque, slaves au patriarcat de Jérusalem, talmudiste et étudie l'évolution de la société israélienne. Il consacre sa vie au dialogue entre Judaisme et Christianisme.
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