Terre d’histoire(s) et de respect

Tout a commencé en 2017 alors que nous réalisions un livre sur le plus grand Palais de Justice du monde, à Bruxelles. Nous souhaitions – comme chaque fois – nous servir d’un bâtiment historique comme prétexte pour questionner sur un thème de société.

L’idée était de donner la parole à une cinquantaine de personnalités internationales pour qu’elles s’expriment sur le thème – pas si universel – de la ‘Justice’. De la présidente de l’Ile Maurice à la première avocate sourde en passant par un économiste suisse de l’ONU, notre liste était élogieuse mais ne nous apportait pas beaucoup de surprises.

C’est à cette époque qu’une amie azerbaïdjanaise vivant à Paris nous a parlé de Tatiana Goldman Alexandr, juge à la Cour Suprême d’Azerbaïdjan, femme et juive dans un pays présenté comme ayant 96% de musulmans… la surprise semblait être de ce côté du monde. Nous avons tenté de l’impliquer mais les délais étaient trop courts.

Néanmoins, cette information éveilla notre intérêt. 6 ans et un Covid plus tard, en 2023, Bruxelles célèbre l’année de l’Art nouveau et les autorités nous demandent de réaliser une exposition sur l’Art nouveau et l’intelligence artificielle. En discutant avec les spécialistes de ce mouvement artistique, ceux-ci nous apprennent qu’un pays est pressenti pour intégrer le Réseau International Art nouveau (RAN) : l’Azerbaïdjan.

Quelle ne fut pas notre (deuxième) surprise de découvrir que Bakou possédait des trésors d’architecture Art nouveau, l’exploitation du pétrole coïncidant avec la plus belle période de ce mouvement artistique.

Il n’en fallait pas plus pour que nous organisions – avec l’ambassade d’Azerbaïdjan de Bruxelles – un voyage dont l’objectif était double : documenter l’Art nouveau de Bakou et en profiter pour aller à la rencontre des communautés juives d’Azerbaïdjan.

Juste avant de partir, pour prendre quelques renseignements, nous avons décidé de rencontrer la réalisatrice française Murielle Levy, auteur d’un documentaire intitulé « Shalom Bakou » sur la communauté juive d’Azerbaïdjan.

Une anecdote a alors retenu notre attention : la réalisatrice été allé jusqu’à imposer le port d’une kippa à son caméraman de façon à observer les réactions des passants. Résultat ? Rien. Aucune remarque, aucun regard. L’Azerbaïdjan était-elle l’autre « Terre Promise » ?

Arrivés à Bakou, travailler sur l’Art nouveau fut chose aisée, la capitale possède en effet un patrimoine architectural exceptionnel qui associe, avec une surprenante harmonie, fortifications médiévales, bâtiments modernistes hérités de la période soviétique et buildings futuristes défiant les lois de la gravité.

En revanche, notre ethnocentrisme avait plus de mal à comprendre la cohabitation entre les communautés religieuses, si loin des clichés que l’on véhicule en Europe sur l’Azerbaïdjan. Comment un pays quasi exclusivement musulman, à proximité immédiate de l’Iran, pouvait-il être aussi tolérant avec la communauté juive ? Nous sommes donc partis à la rencontre de ceux que l’on nomme les « juifs des montagnes » ou « Gorskie Evrei ».

A deux heures de Bakou – dans la province de Quba – se trouve le Red Village, présenté selon les autorités comme la plus grande communauté juive rassemblée après Jérusalem. Le paysage est montagneux, le temps semble s’être arrêté. Après une rencontre officielle avec le gouverneur de la Province, nous continuons la route et notre ascension. Puis, au détour d’une rue, un panneau en trois langues – dont l’hébreu – nous signale qu’il faudra tourner à droite pour atteindre notre destination…

Ensuite…? Ensuite nous avons rencontré des familles protégées depuis des siècles, un cimetière à flanc de montagne dont les tombes racontent toutes les histoires de l’Azerbaïdjan, des synagogues qui ont été offertes à la communauté juive par le gouvernement après en avoir assuré la restauration, des habitants qui nous ont ouvert leurs portes et leurs coeurs pour nous parler de leurs fiertés et de la chance qu’ils ont de se savoir libres et en sécurité.

Notre traducteur musulman a souhaité assister à la prière à la synagogue et nous demanda de le prendre en photo avec une Kipa. Des mezouzot aux portes des maisons comme on aimerait en voir en Europe et des écoles où les enfants juifs se rendent sans avoir jamais croisé un militaire ou un policier…

Nous avons finalement pris conscience que nous n’étions pas allés à la rencontre des juifs d’Azerbaïdjan vivant dans un pays à 96% musulman : nous avons simplement rencontré des personnes pour lesquelles la laïcité est un véritable mode de vie… et certaines d’entre elles étaient juives.
Juste avant de nous quitter, un Rabbin de Bakou nous a dit :

 Je n’aime pas ce mot de tolérance’, nous ne devrions pas avoir à nous tolérer. Ici, nous nous contentons de nous respecter…

Yuniesxy Fajardo Fuentes, présidente Atabey

Atabey est une organisation internationale spécialisée dans la diplomatie culturelle.

Elle utilise le patrimoine, l’art et la culture comme prétexte pour créer du dialogue entre les peuples ou sur des questions de société.

L’association est présidée par une cubaine résident en Belgique depuis 15 ans, Yuniesxy Fajardo Fuentes et l’équipe a réalisé une centaine de projets dans plus de 30 pays ces 8 dernières années. www.atabey.be
Photos : ©2023 Franck Depaifve pour Atabey

à propos de l'auteur
Diplomatie culturelle et intelligence économique, Franck est photographe.
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