Tamar, mère (étrangère) du Messie

Crédit : Pierre Orsey
Crédit : Pierre Orsey

הִנֵּה חָמִיךְ עֹלֶה תִמְנָתָה

« Voici, ton beau-père monte à Timnath » Genèse 38,13

Yehouda cherche à construire une famille et à lui donner une postérité parce qu’il sait que de cette lignée doit sortir le Messie selon la prophétie de Yaakov (Genèse 49,10) : « Le sceptre ne s’éloignera point de Yehouda, ni le bâton souverain d’entre ses pieds, jusqu’à ce que vienne le Pacifique et que les peuples lui obéissent ».

Il se marie avec une Cananéenne, ce qui en soi est une faute grave et met en péril la lignée messianique. D’ailleurs le nom de cette Cananéenne n’est mentionné nulle part, elle restera pour toujours dans l’anonymat. Elle lui donne trois enfants. Yehouda choisit Tamar comme femme pour son premier fils, Er. Celui-ci meurt et c’est son frère Onan qui assure le lévirat en épousant la veuve.

Mais, craignant qu’elle ne perde sa beauté physique en enfantant, Onan laisse tomber à terre sa semence pour ne pas la féconder. Cela lui vaudra la mort à lui aussi. Yehouda prétexte que son troisième fils Chéla est encore trop jeune pour épouser Tamar (en fait, il a peur qu’il ne meure lui aussi), et il demande à Tamar de retourner vivre chez son père. Tamar est la petite-fille de Chem fils de Noah, roi de Shalem, détenteur de la Torah qu’il a enseignée à Avraham. Le père de Tamar est cohen (prêtre).

Quand sa femme meurt, Yehouda se retrouve seul et dans une situation de désespoir : il s’est séparé de ses frères suite à la vente de Yossef, puis il a perdu ses deux fils, et enfin sa femme. Seul lui reste un ami, Hira, qui représente le « sourire de Dieu ». Puisqu’il refusait de donner Chéla à Tamar, Yehouda aurait dû prendre ses responsabilités et assumer lui-même le lévirat en épousant Tamar puisqu’il était son plus proche parent, ce qu’il n’a pas fait (par peur de mourir lui aussi ?).

Yehouda ne reste pas éternellement dans le deuil, il sort de son désespoir, il « monte » (alya) à Timnath. Timnath תִמְנָתָה signifie « la droite », le côté de l’amour. Il va vers ceux qui sont en train de tondre les brebis. La laine vierge représente le printemps, l’espoir, l’éveil à la vie. Yehouda cherche l’amour, la vie et la postérité. Le mal, c’est quand la vie s’arrête, quand on ne veut plus donner ni recevoir, comme l’ont fait Er (qui pourtant signifie « éveillé ») et Onan.

Tamar qui est attachée à la maison de Yehouda et qui veut lui donner un successeur, élabore un plan pour le forcer à aller vers elle. Elle est à la fois rusée et déterminée. Elle aussi sort de ses vêtements de deuil, se voile d’un châle de beauté (la beauté de la Présence divine). Elle se poste au « carrefour des Deux Sources » (qui sont les sources de la Torah et de la sainteté), sur le chemin menant à Timnath.

Le mot עֵינַיִם (sources) signifie aussi « les yeux » qui sont la « Porte d’Avraham » et de l’amour d’HaChem. Tamar elle aussi cherche l’amour. Une autre interprétation rabbinique comprend symboliquement « einayim » (עֵינַיִם) : Tamar a donné des yeux à ses paroles, c’est-à-dire qu’elle a donné des réponses convaincantes à Yehouda, en lui montrant qu’elle lui était permise.

En retournant chez Chem, Tamar est retournée à sa source, en haut, mais elle est voilée, elle devient la Présence cachée, en exil. C’est pour cela que Yehouda ne l’a pas reconnue. Il l’a prise pour une prostituée, ce qui est plutôt étrange car habituellement, les prostituées au contraire se découvrent. Le Baal Ha Tourim explique que Yehouda l’a vue comme Jérusalem qui était méprisée et qui est devenue Reine. Même Yehouda ne voit pas la Présence divine, elle a caché sa beauté.

Elle se voile et se dévoile, comme dans un jeu amoureux, pour augmenter le désir de l’amant. En un premier temps, Yehouda va se détourner d’elle, comme Moshé qui s’était détourné pour voir ce qu’il y avait dans le buisson de feu. La Tradition dit qu’un Ange (l’Ange du désir) envoyé par HaChem l’a finalement poussé à aller vers la « prostituée » car cela faisait partie du plan divin.

Yehouda va vers elle et elle lui demande ce qu’il va lui donner en retour. Donner et recevoir est le principe de la vie qui circule entre deux êtres, comme dans une même respiration. En donnant quelque chose, Yehouda est appelé à ne pas rester dans la passivité, à sortir de lui-même, à aller vers l’extérieur et à se dépasser. Il propose un chevreau en guise de paiement et laisse en garantie à cette « inconnue » ce qu’il a de plus précieux : son sceau, son cordon et son bâton qui représentent les attributs royaux.

De même qu’il s’était porté garant de son petit frère Benyamin, Yehouda est prêt à tout donner et à tout perdre dans un acte de vraie générosité assez inexplicable à vue humaine. Pour que Yehouda soit roi, il faut qu’il soit prêt à offrir cette royauté, parce que le roi d’Israël est là pour faire régner le vrai Roi HaChem et non pour prendre le pouvoir à sa place. C’est à cela qu’on reconnaît le roi-Messie : il est capable de montrer HaChem et de s’effacer derrière Lui.

Lorsqu’il envoie son ami Hira s’acquitter du paiement, celui-ci ne trouve pas la « prostituée ». Tamar a repris ses vêtements de deuil et est partie. Elle se cache comme le Messie qui est déjà là, dans son ventre, mais encore caché. Trois mois plus tard, on annonce à Yehouda que sa belle-fille Tamar est enceinte, ce qui lui vaut la condamnation au bûcher puisqu’elle est fille de prêtre.

Tamar qui ne veut pas humilier publiquement Yehouda, dévoile les gages de manière discrète et avoue être enceinte de l’homme qui les lui a laissés. Yehouda les reconnaît et confesse : « elle est plus juste que moi car il est vrai que je ne l’ai pas donnée à Chéla mon fils ». Yehouda ne se prend pas pour un dieu, il reconnaît sa faute publiquement, ce qui lui vaut de porter les quatre lettres du Nom divin dans son nom (יהודה).

Quelque temps plus tard, au bout de sept mois de grossesse seulement, Tamar accouche des deux jumeaux Peretz et Zerah. Le Prophète Michée parle du Messie en ces termes : « Celui qui fera la brèche (haporetz) montera devant eux ; ils feront la brèche, franchiront la porte et en sortiront. Leur roi marchera devant eux, et l’Éternel sera à leur tête ». Le Messie Peretz enlève (défonce) tout ce qui pourrait faire obstacle à la Délivrance.

Zerah signifie « briller, lumière jaillissante ». Zerah représente le soleil au zénith, tandis que Peretz représente la lune, qui croît et décroît sans cesse, qui se renouvelle tout en restant la même. L’histoire d’Israël peut être comparée à la montée et la décroissance de la lune, et Peretz incarne ce mouvement de la lune dans sa course autour du soleil. Or, selon le Prophète Isaïe, « la lumière de la lune sera comme la lumière du soleil » (Is 30,26).

On peut comparer la lune à Israël, tandis que Rome est personnifié par le soleil. Durant 2000 ans, tandis que le christianisme rayonnait, le peuple juif traversait l’Histoire, apparaissant et disparaissant selon les persécutions qu’il subissait. Mais à la fin des temps, Israël retrouvera toute sa dignité et sa juste place ; et la lumière de la lune sera semblable à celle du soleil.

On peut se poser la question de savoir pourquoi il revenait à Tamar d’assurer la lignée messianique. Après la mort de sa femme, Yehouda aurait pu se remarier et enfanter. Mais le dessein d’HaChem était dans la lignée de Tamar. Deux femmes devaient être à l’origine des rois David et Salomon ainsi que du Messie : Tamar et Ruth. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Tamar n’est ni une prostituée (elle était seulement déguisée), ni une femme adultère (puisqu’elle était veuve), ni une femme incestueuse (elle a accompli le lévirat avec son plus proche parent selon l’ordre normal des choses).

Genèse 38,26 : « Cependant il cessa, dès lors, de la connaître ». Rachi interprète ce verset différemment : puisque Yehouda savait que Tamar avait agi par pur amour selon la volonté d’HaChem, Yehouda ne se séparait pas d’elle, et à partir de ce jour, Tamar devint son épouse.

L’Église, comme Tamar, a eu de faux maris : la Grèce et Rome (Er et Onan). Tous deux sont morts, comme les civilisations grecque et romaine qui se sont écroulées et ont disparu. En revenant vers Yehouda, elle va vers celui qui lui est destiné de toute éternité selon le Plan divin, vers celui qui ne disparaîtra jamais et avec lequel l’Alliance ne passera pas car c’est une alliance dans le feu. Du fait de son nouvel amour pour le peuple juif, de son désir de la lumière que porte Israël, l’Église constate qu’au dedans d’elle, dans son ventre « ça remue ». Il y a un être vivant qui commence à se manifester en elle. Partout, sans se concerter, sans coordination centralisée, des Chrétiens s’approchent des Juifs et boivent à leur source.

L’Église trouve alors une vigueur nouvelle. Cela n’est pas tellement perceptible parce que le bébé est encore tout petit ; c’est un embryon, un petit fœtus. L’Église est enceinte d’un nouvel esprit, l’esprit d’Israël. L’Église est הָרָה (ara) enceinte d’un enfant que nous ne pouvons pas encore nommer (ni définir ni voir) car il est pour le moment dans l’Église seulement sous forme de désir. L’Église est vraiment enceinte même si cela n’est pas encore pleinement accompli. Alors on pourrait dire qu’elle est enceinte par désir, par anticipation. Peu à peu Israël va apprécier la venue de l’Église chez lui, à Jérusalem. Un jour Israël bénira l’Église, comme Yehouda lorsqu’il comprit que Tamar était enceinte de lui : צָדְקָה מִמֶּנִּי

« Elle est plus juste que moi » Genèse 38,26

à propos de l'auteur
Passionné de judaïsme et d'Israël, Pierre Orsey est né en 1971 et habite près d’Avignon.
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