Syrie : l’Iran recule, la Turquie avance ?

Le président turc Recep Teyyip Erdogan s'exprimant lors d'un événement sur le thème des droits de l'homme organisé par son parti politique islamiste AKP dans la capitale turque d'Ankara, le 5 août 2024. (Crédit : Capture d'écran X/Türkiye Canlı ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d'auteur)
Le président turc Recep Teyyip Erdogan s'exprimant lors d'un événement sur le thème des droits de l'homme organisé par son parti politique islamiste AKP dans la capitale turque d'Ankara, le 5 août 2024. (Crédit : Capture d'écran X/Türkiye Canlı ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d'auteur)

Pendant 54 ans, les dictateurs Assad père et fils ont dirigé la Syrie d’une main de fer, n’hésitant pas à recourir aux armes chimiques contre leur propre population. Depuis le début de la guerre civile en 2011, le pays s’est fragmenté en différentes zones d’influence : l’armée syrienne contrôle le centre, le Sud et le Nord-Ouest, tandis que la mouvance islamiste s’est implantée à Idlib au Nord/Nord-Ouest du pays. La Turquie, frontalière, a chassé les populations kurdes le long de sa frontière, alors que les Kurdes maintiennent une présence significative dans le Nord-Est. Ces derniers ont joué un rôle crucial dans la lutte contre Al-Qaeda en appuyant les forces américaines, qui disposent encore d’une base à la frontière syro-jordanienne.

Al-Qaeda, un mouvement islamiste transnational, contraste avec Daesh, qui combine idéologie islamiste et nationale tant en Irak qu’en Syrie. Hayat Tahrir al-Cham (HTS), une dissidence de Daesh, a établi son autorité à Raqqa et Idlib. Au fil des ans, Daesh a bénéficié d’un soutien direct et indirect de la Turquie, qui a permis à des djihadistes du monde entier de transiter par son territoire vers la Syrie et l’Irak. En outre, la Turquie a apporté un soutien logistique et militaire à Daesh, notamment dans sa lutte contre les Kurdes, facilitant des encerclements via son territoire. Cette assistance se poursuit aujourd’hui, bien que les pays occidentaux ferment les yeux face aux pressions du président Erdogan, menaçant de relâcher les 2,9 millions de réfugiés syriens qu’il abrite. L’Union européenne a déboursé six milliards d’euros pour freiner cet exode.

Le chef du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Abu Mohammed al-Jolani, constatant les dégâts causés par un tremblement de terre dans le village de Besnaya, dans la province syrienne d’Idlib (nord-ouest) tenue par les rebelles, à la frontière avec la Turquie, le 7 février 2023. (Crédit : Omar Haj Kadour/AFP)

HTS se revendique comme une alternative « modérée » à Daesh. Alliés à l’armée syrienne libre composée de laïcs opposés à la dictature, ces groupes ont partagé un objectif commun : renverser le président Assad. L’avancée de HTS a été fulgurante, capturant Alep, Hama, Homs et Damas en moins d’une semaine, face à une armée syrienne démoralisée et peu résistante.

Cette offensive de HTS intervient après l’effondrement du Hezbollah libanais, allié clé du régime syrien. La Russie, soutien historique d’Assad, conserve deux bases militaires dans le Nord-Ouest, mais ses revers en Ukraine compliquent sa capacité d’intervention. Pour l’Iran, ce bouleversement brise « l’axe de résistance » qui alimente ses ambitions impériales via des proxys en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. Par ailleurs, les forces kurdes, désormais alliées aux États-Unis dans l’est de la Syrie, ont coupé les voies terrestres reliant l’Iran à ses alliés syriens via l’Irak.

L’avenir du gouvernement HTS, issu de la mouvance djihadiste, reste incertain : sera-t-il modéré ou démocratique ?

Il faudra aussi surveiller ses éventuelles connivences avec la Turquie, dont les ambitions impériales s’affirment. Sous la présidence d’Erdogan, la Turquie s’est progressivement islamisée : les femmes peuvent désormais porter le voile en public, les militaires séculiers ont été évincés, et la fonction publique remaniée. La Turquie est aussi tristement célèbre, en détenant la seconde place au palmarès du nombre de journalistes emprisonnés.

Erdogan, cherchant à rallier les pays arabes et musulmans sous sa bannière, a échoué à obtenir leur soutien. Il évoque régulièrement le passé ottoman des lieux saints comme La Mecque et Médine, et investit massivement à Jérusalem pour raviver une influence turque. Son discours virulent contre l’Occident appelle à se distancer des États-Unis et de l’Europe, bien qu’il maintienne l’appartenance de la Turquie à l’OTAN. Ses relations diplomatiques sont tendues, notamment avec Israël, qu’il critique ouvertement[1][2]. Cependant, les priorités turques demeurent le renvoi des réfugiés syriens et l’élimination de toute tentative d’autonomie kurde, de peur que la minorité kurde de Turquie et d’ailleurs ne s’y joigne.

Soulagés par les revers militaires du Hamas, du Hezbollah et des proxys iraniens, de nombreux dirigeants du Proche-Orient, à commencer par Israël, restent attentifs aux développements en Syrie, et aux liens que le nouveau gouvernement pourrait entretenir avec la Turquie.

[1] Recep Tayyip Erdogan menace ouvertement d’envahir Israël (NDLR)

[2] Erdogan en quête d’une alliance islamique anti-Israël (NDLR)

à propos de l'auteur
Dr. David Bensoussan est professeur d’électronique à l’École de technologie supérieure. Il a été président de la Communauté sépharade unifiée du Québec et a à son actif un long passé d’engagement dans des organisations philanthropiques. Il a été membre de la Table ronde transculturelle sur la sécurité du Canada. Il est l’auteur de volumes littéraires dont un commentaire de la Bible et du livre d’Isaïe, un livre de souvenirs, un roman, des essais historiques et un livre d’art.
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