Sylvie Bleckmans : « Le devoir de mémoire a été trop vite oublié dans certains milieux »

Rosa Bleckmans : 2251, de Raphaël Levy, Somogy Editions d'Art
Rosa Bleckmans : 2251, de Raphaël Levy, Somogy Editions d'Art

Cette journaliste retraitée prépare un livre retraçant la vie de sa maman Rosa Bleckmans (née Balber), rescapée d’Auschwitz. Rosa, dont le combat aux côtés de S.Klarsfeld a conduit à l’arrestation de Barbie est aujourd’hui pensionnaire aux Invalides.

Parlez-nous de votre mère affectée au Kommando du Kanada…

« Ma mère est arrêtée à 16 ans suite à une dénonciation et internée plusieurs mois à Drancy, bénéficiant de l’aide d’un gendarme qui lui permet de retarder sa déportation au 13 février 1943. Son père Henri, qui était coiffeur, se trouvait au kommando du Kanada (*). Prévenu de l’arrivée de sa fille par l’un de ses anciens clients qui l’avait vue à Drancy, il la fit rechercher pour la faire entrer dans ce kommando. Le travail y était moins pénible qu’ailleurs et l’on n’y mourait pas de faim. Il consistait à trier les affaires des déportés envoyés en chambre à gaz. Transférée à Ravensbrück, elle participe à la marche de la mort. Libérée dans la douleur le 2 mai 1945 à Neustadt-Glewe par les troupes soviétiques, elle est prise pour une Allemande et en perd sa voix. Ma grand-mère, arrêtée aussi après dénonciation puis déportée le 23 juin 1943, ne survécut pas au camp. Ma famille paternelle, immigrée de Lettonie (Dwinks) pour fuir un régime qui parquait déjà les juifs dans les camps, s’était réfugiée à Courbevoie. Mon père a été déporté à Auschwitz à 20 ans, après s’être évadé du camp de Pithiviers. Mes parents se sont connus après la guerre dans le restaurant de mon grand-père ».

Comment vit-on avec une telle histoire ?

« Imaginez ce que peut ressentir une jeune femme dont les deux parents étaient à Auschwitz. Ils ont essayé de m’épargner, mais j’ai toujours été inquiète pensant que l’histoire pouvait se répéter. Fille unique, n’ayant pas connu mes grands-parents, ce traumatisme a perduré en moi. Petite, je me demandais pour quelle raison mes parents avaient un numéro sur le bras et à 8 ans, je connaissais l’histoire des miens. Lasse des questions ignorantes, maman avait fini par se faire retirer son matricule, n°35370 qui témoignait de son vécu dont elle se voulait discrète.

Elle avait fait une analyse pendant trois ans, qui l’avait libérée. Je sais que ma mère a été torturée par Mengele. Elle en a gardé des traces indélébiles, a eu des difficultés pour enfanter. Je me suis documentée sur cette période tragique de l’histoire qui me concerne au premier chef. Je suis fière que mes parents aient réussi à sortir de cet enfer. Ils m’ont donné la force de m’accomplir dans le droit fil des valeurs qu’ils m’ont inculquées. J’éprouve beaucoup de mal à évoquer cette mémoire familiale. Ces sujets sont de l’ordre de l’intime mais je serais prête à mourir pour défendre la mémoire de mes disparus».

Qu’avez-vous ressenti lors des manifestations anti-pass entachées de révisionnisme ?

« Le vaccin a été conçu pour guérir la population, alors que le port de l’étoile jaune avait vocation à exterminer tout un peuple. L’analogie m’a naturellement blessée, horrifiée. Je me suis demandée pour quelle raison fallait-il encore faire un parallèle avec les juifs. Ces comparaisons participent à la banalisation de la shoah. C’est d’autant plus choquant dans un contexte de résurgence de l’antisémitisme. Dans certains milieux, le devoir de mémoire a été trop vite oublié. La tournure de certains débats politiques m’inquiète. Ma mère n’a hélas plus sa raison, mais je ne suis pas mécontente de la savoir épargnée de cette fureur révisionniste. Elle a toujours fait preuve de caractère. Je sais ô combien elle, qui a honoré des Justes à la mairie du 16è arr de Paris, aurait été furieuse de voir la résurgence du négationnisme ».

(*) Entrepôts localisés dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz où toutes les possessions des nouveaux déportés sont placées dès leur arrivée.

à propos de l'auteur
Diplômée de l’Ecole de journalisme et de communication de Marseille, Magali fait le choix d’un parcours éclectique. Ses sujets oscillent entre le sport, l’écologie, la politique, ou encore l’actualité internationale. Après une expérience au Petit Journal.com de Londres, un parcours de journaliste sportif, elle a collaboré à plusieurs médias francophones (La Presse de Tunisie, Le Soir...). Elle travaille actuellement pour divers journaux israéliens et communautaires depuis la France.
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