« Spécificité » juive, de sa fin ou plutôt de sa transformation, et des temps nouveaux. Psychanalyse et histoire
Simone Veil, dans un entretien avec Josy Eisenberg pour une des émissions dominicales de « A bible ouverte » essayait de dire ce qu’elle pensait et ressentait profondément de la différence de ce qui s’était passé dans les camps de la mort et qu’elle avait vécu, avec les autres grands massacres et génocides qui ont jalonné l’histoire de l’humanité.
Elle citait des exemples qui lui furent contemporains, les génocides cambodgiens et rwandais. Mais, finalement, même si elle pensait et comprenait que ces événements étaient proches à bien des égards et que cependant, il y avait une spécificité de la Shoah, elle ne trouvait pas vraiment les mots pour définir celle-ci, quoi qu’elle en témoigna de toutes les fibres de son esprit et de son être.
Bien sûr, il suffirait de faire parler à ce sujet un humaniste universel mortifié par tous ces crimes contre l’humanité, et qui s’autoriserait simplement à dire à la fois son horreur et sa réprobation contre ces atrocités, en y ajoutant que cependant, vouloir trouver une exceptionnalité à la Shoah serait tout de même typique d’un complexe juif peu éloigné de la formule du peuple élu, pour se faciliter aussitôt la compréhension de ce problème.
Ainsi, les juifs voudraient toujours se distinguer du commun des mortels,même dans la mort qui leur fût donnée presque absolument. Même là, les juifs refusent de s’assimiler (aux autres) et c’est… ce qui les spécifient ! CQFD
La Shoah est spécifique d’avoir réalisé, réelisé, ce grand fantasme occidental, qui auparavant s’était traduit par l’inquisition, la conversion de force, l’expulsion régulière des populations juives et leur ségrégation ghettoïsé – du ghetto au camp de « concentration » – par le passage à l’acte d’un peuple occidental, à l’exception des résistants de ce peuple qui furent vite éliminés, dont la langue était la matrice première de celle des ashkénazes (ce qui signifie « allemands ») qu’ils détruisirent, justement jusqu’à faire disparaître leur langue de la surface de la terre.
Il s’est agit d’éradiquer les juifs de ce monde, quand l’histoire des peuples occidentaux – je n’aborde pas ici la place des juifs dans d’autres aires civilisationnelles puisqu’il s’agit de la Shoah, mais l’on pourrait trouver des éléments structuraux très homologues et les articuler – s’en tenait jusque là à les tenir à l’écart (ghettos) ou à les chasser, comme on chasse les marchands du temple.
Ce n’est évidemment pas de même nature mais sans doute de même structure.
Refouler, rejeter, annuler, forclore le juif. On reconnaîtra le vocabulaire des mécanismes de défense conçu pas Sigmund Freud et on ne s’étonnera pas que ce soit lui, et non, disons Jung, qui inventa la psychanalyse.
Onfray dit que la psychanalyse, loin de pouvoir prétendre à l’universalité est un fantasme droit sorti du cerveau malade de Freud. Ce en quoi il n’a pas tort. Sauf que Freud ne disait rien d’autre.
Œdipe est sorti de sa selbst analyse et il s’est beaucoup démené ensuite pour que sa « jeune science » ne demeure pas une histoire juive.
Il y parvint finalement, et Lacan qui tint quelque part le rôle que Jung rejeta (au nom d’un inconscient collectif différent selon les peuples et les cultures…) permit plus tard à la psychanalyse de vivre son Nouveau Testament.
Et, ce faisant, Jacques Lacan mit au jour ce qu’il trouva dans cette psychanalyse freudienne : plutôt « l’objet a » que l’œdipe grec.
Cet « objet a » n’était pas exactement l’objet libidinal de Freud. On ne pouvait le concevoir par la représentation ou la nomination symbolique, et il avait parti lié, cet ‘abjet’ avec le déchet, la lettre, la jouissance et le réel.
Dès lors, on peut penser que si Freud a découvert cette « psychologie des profondeurs », il ne pût échapper a un impensé, joliment épinglé par le psychanalyste Charles Melman quand il lût ainsi l’exemple canonique de l’oubli du nom du peintre Signorelli par Freud : Sig ignore Elie !
Mais ce n’était pas tant le Dieu de ses pères que Freud ignora ainsi, que le sort, précisément d’ « objet a », d’ ‘abjet’, de déchet qui devint celui de ses créatures élues. Objets électifs s’il en fût.
Lacan trouva donc ce que Freud défaussa sur le mythe grec, dans sa découverte d’un inconscient en effet universel, que le grand homme juif pût appréhender à partir de la place… « spécifique » que lui et les siens occupaient vis-à-vis de cet inconscient.
Le juif errant, intelligent et « à triple fond », insaisissable et inassimilable mais pourtant partout présent, vénal (anal si l’on suit Freud sur ce point), tortueux, issu d’un peuple « d’élite et dominateur » (De Gaulle), sans même aller puiser dans le bestiaire antisémite ou le rat et les parasites ont une place de choix – et songeant tout de même au traitre Dreyfus – à quelle autre place le situer qu’à celle si réelle de l’ « objet a » de Lacan, cet objet si irréductible en effet à toute assimilation et qui fomente tous les fantasmes.
Or, toute névrose est défense contre ce réel, et quand ça tourne à la psychose, l’objet persécuté devient persécuteur, et comment dès lors s’en arracher ?
Est-il vraiment besoin de faire un dessin de ce destin ? Les Juifs qui eux, inventèrent la mère des religions de l’Un (mal leur en a pris) pour se défendre de ce réel en le tenant obsessionnellement en respect par d’implacables rituels décrétés par d’implacables lois, gardèrent, sinon la tête froide, en tout cas la nuque raide et ne cédèrent jamais sur leur désir d’aller jusqu’au bout d’une tradition increvable.
Un mur s’écroulait-il que l’on se dépêchait de mettre le Livre à l’abri pour l’étudier et le transmettre ailleurs.
Bien sûr, on respectait « les Nations » et l’on priait et combattait pour celle où l’on vivait provisoirement, mais l’on était écartelé toujours entre assimilation-disparition et ghettoïsation stigmatisante.
Bien sûr aussi, le juif est une coproduction des juifs et des gentils (nations, goyim) et nous savons que le ghetto n’est pas seulement une assignation à résidence venue de l’autre mais qu’il fût également, tout comme le shtetl, le foyer de la vie juive parmi les nations.
Les métiers scabreux de l’usure et de la finance furent dévolus aux juifs, en même temps que bien d’autres métiers leur étaient interdits, tandis que ceux-ci prospérèrent souvent dans leurs charges sans abdiquer leur foi ni leurs coutumes.
Ils se taillèrent ainsi, parfois un beau costume, parfois un fier haillon, un morceau de vie juive dans ce monde pour eux en effet dédoublé.
Leur charge, ils en firent leur royaume, et de la diaspora, ils tinrent identité. Le juif cosmopolite (définition Wikipédia : mélange de plusieurs identités et sentiment d’être citoyen du monde au-delà des nations) se fit, comme on fait de nécessité vertu, nomade éternel, emportant avec lui son livre, sa famille, un violon et une pièce d’or – comme dans un tableau de Chagall.
Grand procrastinateur devant l’éternel (l’an prochain à Jérusalem), il prit toute la place, qui lui était faite. D’une masure, il faisait un palais, même si le plus souvent la masure restait une masure.
Le hassidisme voulut même que l’on dansa pareille vie. Et puis de la survie et de l’étude à l’investissement des disciplines intellectuelles, il n’y a qu’un pas, ou comme s’exprime le witz, qui est danse de l’esprit : quelle différence entre un tailleur et un psychanalyste ? une génération !
Étonnamment, ces « objets a » de l’humanité ne perdirent pas leur humanité, ce qui ne fût pas la tendance dominante chez les « gentils ». L’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, ne digérait pas ses juifs.
Si ceux-ci pâtissaient de jouir d’une vie ainsi objectalisée, les sujets occidentaux ne supportaient toujours pas de penser voir s’incarner leur propre jouissance objectale maudite dans ces congénères si semblables et si différents.
Le juif était devenu le double indissoluble de la (mauvaise) conscience occidentale. On avait beau scruter les signes anatomiques qui auraient pu faire coupure d’avec ces occupants invisibles, il ne resta bientôt que de descendre leurs pantalons.
Que l’on comprenne. Il ne s’agit pas ici d’incriminer je ne sais quel noir inconscient collectif des peuples occidentaux qui seraient ensuite appelés à la repentance mémorielle. Mais on peut penser avec Camus que « mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde ».
Quand Raymond Barre, Premier ministre de la France, déplore au moment de l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic, la mort de « Français innocents, pas du tout liés à cette affaire », il ne tient pas alors des propos proprement ou salement antisémites.
Il lui importe seulement, comme Français de la génération de l’avant-guerre, de ne « pas, du tout, être lié à cette affaire ». Plus facile à dire qu’a faire. Évidemment, mais avec des si… c’eut été plus simple si on avait tout bonnement laissé choir l’ancien testament pour le nouveau, au lieu de l’avoir tout le temps collé aux basques.
Donc pas tous antisémites, loin s’en faut, mais chacun aux prises avec ce que son propre inconscient articule de sa place singulière avec les signifiants qui lui reviennent de l’Autre (Lacan).
Ceci vaut pour tous et chacun, et l’homme juif fut sans doute dans cette situation compliquée de n’avoir pas pu être symboliquement représenté comme sujet entre les sujets. Voilà une proposition qui pourrait étonner.
On a vu précédemment qu’il avait partie liée avec l’ « objet a ». Beaucoup donne à penser que, au cours de l’histoire, les juifs qui connurent bien sûr la citoyenneté à partir de la France de 1789, n’étaient pas plus des sujets des rois que des sujets tout court.
Ils étaient… des juifs. Leurs identités civiles avaient été en général constituées non à partir d’une lignée ancestrale (hormis ceux qui purent garder ce type de noms, Cohen, Lévy, Jacob) mais avec des noms empruntés plutôt à la flore, à la minéralité et aux noms de lieux des zones où ils vécurent : noms en baum, en stein, en berg etc.
Ils se donnèrent ces noms à la demande expresse des administrations d’États modernes en cours de constitution, en usant de leur langue vernaculaire. Ainsi, leurs noms avaient, selon les temps de la migration, la semblance des noms alentour, avec en général quelque particularité discernable. En ce registre aussi, qui n’est pas absolument quelconque, ils étaient d’ici et pas d’ici.
Ces juifs donc vivaient entre eux dans leurs quartiers ou leurs villages, et au 19ème siècle, certains, dans certains pays, vécurent dans la population générale des villes hôtes.
Dans ces périodes où l’immigration et la circulation des personnes étaient réduites-il n’est pas question ici des phénomènes différents liés aux invasions et aux guerres – les juifs étaient souvent le seul ou à peu près seul corps étranger (interne) aux populations régionales ou nationales, et aussi étranger (interne…) aux religions chrétiennes dominantes hors desquelles il n’y avait point de salut ni d’identification possible.
De leurs côtés, certains juifs souhaitaient eux même en finir avec cette ségrégation refusée/désirée en se faisant plus nationaux que les nationaux de l’étape, ou en se convertissant, ou en changeant de nom – cf le célèbre witz sur Mr Katzman traduisant son patronyme en français… – quand d’autres préféraient définitivement l’entre-soi scellant le renoncement de n’être jamais un sujet aux prises avec le même type d’Autre que les autres !
Le bilinguisme n’est-il pas constitutif d’un entre-d’eux ancêtres et d’un conflit des Autres qui ne se joua d’ailleurs peut-être pas de la même façon pour celui qui connut l’école publique et pour ceux qui allèrent à l’école religieuse.
Il me semble que, mutatis mutandis, la manifeste humanité des « gens » du peuple Rom en Europe, illustrerait assez bien la manière dont des êtres humains peuvent se présenter – pour eux-mêmes comme pour les autres – comme dépourvus de subjectivité, du moins en ce sens précis d’une représentabilité symbolique possible d’un sujet dans le monde des représentations.
Comme cela dépend du partage pour un sujet du même type de castration que ses congénères (on sait que la castration est donnée dans la langue maternelle et peut varier de beaucoup dans ses effets sur les comportements et les types de mœurs et du « vivre ensemble »), le « choix » d’une vie collective séparée de celle des « gadjé », a conduit à une désubjectivation au profit d’un être groupal, se définissant par rapport à ses frères ayant en partage le même ancêtre dans la langue, et non par rapport a tout homme, ce « tout homme » définissant lui les sujets coexistants d’une castration partagée et la seule subjectivité admise et effective dans un corps social donné.
On pourrait bien sûr prolonger « l’illustration », ceterit paribus, en faisant remarquer que dans de telles conditions, l’assimilation d’une population et de ses membres à un rebut, voir la réalisation par cette population de métiers ou de comportements ayant partie liée avec le rebut, si on ne se tient pas trop dans le déni…, peut apparaître comme tout à fait spectaculaire. Le jazz manouche cousinant dès lors fort bien avec la musique klezmer.
Nous revoilà collés à « l’objet a » dont on ne se dépêtre pas. Et à la propension des uns à ne pas céder sur la dignité – et la souffrance/jouissance d’incarner La chose, ainsi qu’a la démangeaison des autres de traiter le rebut comme il se devrait (« L’offrande à des dieux obscurs d’un objet de sacrifice est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une monstrueuse capture » – séminaire de Lacan, année 1964).
Il reste à considérer, quant à la situation des juifs d’Europe, comment l’Histoire décida de leur sort, et comment eux mêmes se constituèrent en… sujet historique au décours de la Shoah.
Car finalement, les juifs disparurent d’Europe. Et du monde.
Je veux parler ainsi des juifs tels que j’ai essayé de montrer dans ce texte ce qu’ils furent jusqu’à la Shoah et la naissance de l’État d’Israël.
Aucun communautarisme ne rivalisera avec l’ardente présence du peuple juif tel que l’Europe la connut dans sa longue histoire : un peuple dispersé et homogène, actif, affairé, religieux et/ou philosophe, commerçant, capitaliste, anti-capitaliste, messianique, populaire ou conseiller des princes, entre-deux langues mais maternellement yiddish, patriarcal par transmission maternelle, talmudiste, critique, fataliste, ‘opssimiste’, manieur de witz, assimilationniste et/ou « séparatiste », misérable comme sublime, humaniste et obsédé de lui-même, fascinant et insupportable aux nationaux de toutes nations, et, on a compris mon propos, objet (a) assumé ou déchiré de tous les bons sentiments ou ressentiments.
Je ne parle donc pas des sujets d’aujourd’hui, d’origine juive, puisque ceux-ci ne relèvent plus, sinon lointainement de cette yiddishkeit, n’en parlent plus la langue hebraïco-germano-slave, et se sont donc rigoureusement constitués, comme ce fût le désir de leurs parents qui CESSÈRENT la transmission (!), dans leurs langues nationales, selon la castration en vigueur dans ces langues et eu égard au grand autre constitutif des signifiants de ces langues (ancêtres gaulois ou divers compris).
Ce n’est pas seulement l’Histoire qui a tranché, ce sont les juifs d’Europe rescapés qui, sans nécessairement se donner le mot, ont rompu, ont dû rompre, avec la tradition multiséculaire de la mame-loshn – langue maternelle – en même temps qu’en Israël, où les yiddishophones étaient alors majoritaires, on décidait de ressusciter la langue morte de l’hébreu au détriment fatal de la langue vivante des juifs « du passé ».
C’est ainsi que les juifs éternels (ewiges jüdisches) cessèrent, de partout, d’être éternellement juifs et devinrent partout des sujets nationaux, sujets nationaux européens ou sujets israéliens.
L’illustration qui peut venir, cette fois, est celle des Indiens d’Amérique, non moins génocidés, qui souvent hélas connurent des phénomènes de déchéance culturelle et sociale et devinrent progressivement, coupés de leurs langues et traditions, des sujets américains dont la culture d’origine ne procéda plus que du folklorique.
C’est pourquoi, l’antisionisme d’aujourd’hui, loin d’être – ce que beaucoup prétendent – le faux né de l’antisémitisme de toujours, s’il en porte peut être la nostalgie, est une haine envers la création de l’État d’Israël (c’est sa définition littérale) et non contre les politiques d’Israël ou contre les juifs.
En créant Israël, les Israéliens ont rompu avec la judéité européenne pour façonner l’hébreu nouveau, sujet de l’Histoire et sujet parmi les sujets.
Les peuples arabes alentour qui s’entendaient assez bien avec les pionniers juifs ne purent supporter (légitimement en ce qui concerne leurs droits nationaux, bien sûr, ce qui est le fondement de la double légitimité qui seule fondera elle-même la paix) l’existence d’un peuple et d’une nation israélienne, très éloignée de tout statut de dhimmi et qui de surcroît se comportait aussitôt comme tout État-nation soucieux de préservation et d’affirmation territoriale !
Les citoyens européens d’origine juive ne souffrent plus d’antisémitisme, dans la mesure où ils ne sont plus réduits à l’objet (a) convenable à pareil antisémitisme, s’étant dérobés (plus juste serait de dire : ayant été dérobés) historiquement à ce qui les constituaient dans leur judaïsme foncier.
Ils ne peuvent/veulent plus être les boucs émissaires de l’Europe, ce qui peut provoquer bien d’autres ressentiments mais plus de même nature. Quelque frustration peut-être ! Ou une sorte de douleur du membre fantôme.
Ils peuvent cependant être très régulièrement sujets au racisme – mais non plus objets d’antisémitisme – de par leurs liens privilégiés à l’État hébreu (qu’ils soient critiques ou inconditionnels), à la culture juive plus ou moins entretenue, mémorialisée ou hébraïsée, et à la religion hébraïque, à titre laïc ou confessionnel. Ou de par leurs liens supposés.
Cette fois, de la même façon que le racisme peut toucher des immigrés ou des descendants d’immigrés pour leur lien avec leur pays, leur culture, leur religion, leur langue d’origine, c’est-à-dire en tant qu’éléments étrangers dont on souhaite ou on accepte (ou on exige) l’intégration ou l’assimilation à terme, à l’instar de toutes les immigrations qui constituèrent in fine les bataillons des nouveaux nationaux « de souche ».
Je ne traite pas ici, des questions propres à l’immigration musulmane dont le débat sur racisme et islamophobie montre assez la complexité particulière. Cependant, on peut se demander si toute immigration non chrétienne ne présente pas, en définitive, ce genre de complexité, même si les complexités ne sont pas identiques.
La « solution » à la question juive aura donc été nationale, après la Shoah. Soit que les rescapés de l’Europe nazifiée se soient constitués en sujet historique de l’État juif – dans l’acception hébraïque du terme, soit qu’ils aient choisis, non pas la diaspora mais l’intégration dans les États- nations européens, permise sans doute par les effets d’après-coup de la Shoah sur les dites nations, et assurément confirmée durablement par l’ « existence de l’État d’Israël ».
C’est ainsi qu’il n’y eut plus « le peuple d’Israël et les nations », mais bien les juifs israéliens, américains ou européens.
À partir de là, on peut raisonnablement penser que l’évolution des populations d’origine juive ira soit dans le sens d’une plus grande assimilation aux nation européennes, et de ce point de vue le destin européen exemplaire de Simone Veil éclaire de tous ses feux le choix d’un tel chemin (vers une nation européenne), soit – mais il ne s’agit pas là d’un « soit » trop exclusif – dans le sens du renforcement du tropisme hébraïco-israélien et de la double nationalité.
On peut regretter, et même et surtout pleurer, la disparition des âmes juives qui éclairèrent le monde, depuis l’Europe, de leurs millions de flammes des siècles durant.
On ne regrettera pas la fonction objective et objectale à partir de laquelle ils durent fonctionner et vivre en dépit de l’admiration que nous avons de la manière extraordinaire, le plus souvent, avec laquelle ils transcendèrent leur condition et contribuèrent ainsi pleinement, et si « spécifiquement », à l’avancement (!) de l’humanité.
Leurs descendants ni n’oublient, ni n’oublieront ce qu’ils furent et le legs inestimable qu’ils ont constitué, et à partir de ce legs sans doute et d’autres ressources trouvées dans l’actuel-legs dans lequel ils ne trouveront pas, ni la langue, ni ce qu’elle fondait alors de destinal – ils inventeront (avec les autres et leurs autres spécificités qu’eux aussi doivent penser, conserver et dépasser) leur propre cartographie et topologie à l’usage des temps et des générations du présent et de l’avenir.