Soutien à la Palestine ou détestation d’Israël ? – 1ère partie

Illustration : Des militants et partisans anti-Israel brûlant un drapeau israélien lors d'une manifestation de soutien à la cause palestinienne devant l’ambassade d’Israël, au centre de Londres, le 22 mai 2021. (Crédit : Justin Tallis/AFP)
Illustration : Des militants et partisans anti-Israel brûlant un drapeau israélien lors d'une manifestation de soutien à la cause palestinienne devant l’ambassade d’Israël, au centre de Londres, le 22 mai 2021. (Crédit : Justin Tallis/AFP)

Palestine ou Israël, trop souvent le soutien de l’un revient à nier l’existence du second. Aucune solution simpliste ne résoudra ce conflit otage d’enjeux millénaires, dans une région au carrefour des continents, des civilisations et de l’histoire.

Une étroite bande côtière, correspondant à deux départements français, mais lieu de passage depuis des temps immémoriaux, au carrefour de trois continents (Asie, Afrique, Europe), confluent des cultures, des religions et des empires, attise passion et convoitise. Il s’agit d’Israël, « Terre promise » et disputée. Tout ce qui s’y passe est surmédiatisé au détriment du reste de la planète et de la réalité, impactant les populations de la région et bien au-delà. Alors que l’émotion prime sur la raison et l’opinion sur les faits, il est urgent de revenir sur quelques fondamentaux trop souvent occultés et de se poser les bonnes questions, quitte à froisser certaines susceptibilités dans les deux camps. C’est l’objet du présent article en deux parties : « Au commencement… » et le début de l’Histoire et Quand les mythes rencontrent la réalité.

« Au commencement… »[1] et le début de l’Histoire[2]

Juif et Palestinien, des peuples inventés ?

Pour ses détracteurs, Israël, en tant que groupe humain, culture, religion, histoire et aujourd’hui État, tout a été inventé, emprunté voire dévoyé. Les Juifs seraient des européens au teint clair (rappelons que selon la Bible, le Roi David était roux : Samuel 1 : 16, 10-30), massivement convertis, venus coloniser un pays dont ils sont étrangers sous le prétexte de la Shoah qui elle-même est le plus souvent niée. Les sciences ont même été convoquées pour soutenir ces affirmations. Alors que les Palestiniens seraient un peuple autochtone, enraciné depuis des millénaires. Selon les mouvements nationalistes, ils descendraient soit des Philistins (peuple de la mer d’origine grecque), soit des Cananéens, ou encore de Juifs convertis à l’islam. Faisant d’eux les seuls héritiers légitimes de la « Terre promise ». Cependant, la majorité des Palestiniens revendique une appartenance arabe datant de la conquête musulmane, même si d’autres évoquent une origine berbère, turque ou kurde.

À l’inverse, pour les soutiens d’Israël, les Palestiniens seraient une entité récente, d’origines diverses (pour les plus radicaux, le peuple palestinien ou l’OLP sont des inventions du KGB). Issus de familles, clans et tribus retrouvés dans les pays arabes limitrophes, ils se seraient progressivement constitués en peuple, à partir du XIX siècle, au contact du mouvement sioniste (premier mouvement d’émancipation d’un peuple indigène), et de l’essor économique qui lui est associé, dans une région sous domination ottomane depuis 400 ans. Un processus similaire à celui des tribus germaniques face aux Romains. Et s’il y a pour certains une ascendance juive, c’est le résultat de conversions forcées et non d’un libre choix.

En réalité, ce qu’apportent les études scientifiques est beaucoup plus universel et complexe.

  • La paléontologie démontre que l’humanité a très probablement une origine africaine ;
  • et la génétique des populations que nous dérivons tous du petit groupe humain qui a survécu à l’ère glaciaire.

L’histoire des peuples est celle des migrations, dont l’ADN garde la mémoire depuis la préhistoire. Ainsi, même chez les Cananéens de la Bible, on retrouve une parenté génétique avec des populations caucasiennes. Concernant les Juifs, il existe une très grande proximité génétique entre Ashkénazes (Allemagne, Europe de l’Est) et Sépharades (Espagne, Portugal, Maghreb) et leur génome présente des marqueurs moyen-orientaux, battant en brèche l’argument des conversions massives. Cette hypothèse est également contredite par les bûchers de l’inquisition, les cérémonies d’abjuration du judaïsme et les ghettos partout en Europe durant des centaines d’années. Cela eut pour conséquence de limiter considérablement les échanges génétiques avec les populations non juives, sans toutefois les exclure totalement, ne serait-ce que suite aux abus lors des pogroms.

Peinture « Via Rua in Ghetto, Rome » (1880) par le peintre italien Ettore Roesler Franz (1845–1907). Le ghetto de Rome, en italien « Ghetto di Roma », est un ghetto imposé aux Juifs le 14 juillet 1555 par le Pape Paul IV, qui imposa des restrictions religieuses et économiques aux Juifs, et créa le ghetto qui continua d’exister jusqu’en 1870. (Crédit : domaine public via Wikipedia)

Il en est de même des cultures. Aucune ne s’est constituée en vase clos sans apport extérieur, que ce soit par emprunts mutuels ou par assimilation. Le langage, l’écriture, les mythes fondateurs, la technologie ou la nourriture, tout le démontre. À cet égard, les Juifs constituent bien un peuple, et pas uniquement un culte, car ils « forment une communauté culturelle ayant, dans leur majorité, une origine commune » au Moyen-Orient.

Ce que révèle l’histoire, c’est qu’il suffit qu’un groupe humain « lié par un certain nombre de coutumes, d’institutions communes » et « poussé par une similitude de conditions extérieures de vie » se considère comme tel pour qu’un peuple existe. Cela est valable tant pour les Juifs que les Palestiniens et ce, quel que soit les circonstances et le moment où cette histoire débute. C’est un constat incontournable. Sans reconnaissance mutuelle, aucune cohabitation pacifique ne sera possible.

Tous enfants d’Abraham ?

Avant d’être le berceau du monothéisme, Canaan, plus région que véritable pays au sens moderne du terme, a connu un riche panthéon influencé par les grandes civilisations de l’antiquité, où dominait un « Dieu national » propre à chaque cité État. Les Hébreux avaient le leur, qui eut la postérité que l’on sait en devenant le « Maître de l’Univers qui a créé le ciel et la terre ».

Mais ce qui était un universalisme se retourna contre ses « promoteurs » avec la Théologie de la substitution. Le christianisme et l’islam se sont chacun considérés comme les uniques dépositaires de la parole divine, le « Verus Israël » pour le premier et les seuls « soumis à Dieu » pour le second ; ce qui eut des répercussions dramatiques et durables sur les populations juives, de part et d’autre.

Il fallut attendre Jean XXIII et le concile de Vatican II (1962-1965) pour que « l’enseignement du mépris » envers les Juifs prenne fin, et 1964 pour qu’un Pape, Paul VI, aille en Israël.

Par contre, en terre d’islam, les « peuples du Livre »[3] ont été soumis à un statu discriminatoire : la dhimmitude[4] (apartheid avant l’heure, qui persiste encore le plus souvent). En conséquence, les communautés juives ont quasiment disparu de ces pays malgré une présence plurimillénaire, et les Chrétiens d’Orient voient leur population diminuer partout, sauf en Israël.

Intégrer la dimension ethnico-religieuse, que ce soit les rivalités au sein du monde musulman entre Chiites et Sunnites, mais également ente Arabes et non Arabes (Kurdes, Druzes, Trucs, Perses), ou avec les autres populations et courants spirituels, est indispensable à la compréhension des conflits actuels. La composante nationaliste est beaucoup plus récente et ne peut expliquer à elle seule la géopolitique et les enjeux existentiels, dans une région qui a vu se succéder les empires et défiler les envahisseurs depuis la nuit des temps.

Si la chrétienté et le judaïsme sont entrés dans la modernité et entretiennent désormais des liens fraternels, l’essentiel reste à faire avec l’islam. Et pour les tenants de la ligne dure, l’existence même d’un État juif souverain est intolérable.

Israël ou Palestine ?

En raison du contexte religieux, politique et des sensibilités, chacun usera de l’une ou l’autre appellation, correspondant à des visions le plus souvent opposées. Il en va de même des capitales. Citer Tel-Aviv, Jérusalem ou Ramallah n’est jamais anodin.

Aussi, revenons sur les faits. Entre le Royaume d’Israël, avec sa capitale Yerushalayim (Jérusalem en hébreu) et son Temple attesté par des preuves archéologiques incontournables, et la Palestine sous mandat britannique, hormis le fugace royaume Franc de Jérusalem, il n’y eut aucun État indépendant dans cette région. Qu’il soit arabe, kurde ou turc. La région fut intégrée, le plus souvent, comme une province de moindre importance dans les empires qui se sont succédés depuis l’antiquité, de Babylone et la Perse jusqu’à la « Sublime Porte » (l’Empire ottoman) en passant par la Grèce (ayant conquis l’Égypte), Rome et Byzance.

C’est Hadrien, suite à la deuxième guerre des Juifs contre les Romains (132 à 135 apr. J.-C.) qui rebaptisa cette province en « Syria Palaestina » (en référence aux Syriens et aux Philistins, peuples qui avaient disparu, et ennemis des Hébreux). Hadrien chassa une partie des Judéens et donna le nom d’ « Aelia Capitolina » à Jérusalem. Pour autant, une permanence juive a toujours été attestée en Terre Sainte comme le rapportent les récits de voyages ainsi que les écrits d’auteurs juifs anciens ou modernes et non juifs, parmi lesquels Mark Twain dans Le voyage des innocents.

Une pièce rare d’un demi-shekel en argent, frappée par des rebelles juifs il y a près de 2 000 ans lors de la 3ème année de la Grande Révolte juive contre les Romains en 69 de notre ère, a été récemment découverte lors de fouilles à Jérusalem, a annoncé l’Autorité israélienne des Antiquités (IAA) en décembre 2022. (Crédit : Autorité israélienne des Antiquités/Tal Rogovski)

Mais avant cela, il y eut la période faste du Second Temple, après le retour de l’exil à Babylone (les captifs hébreux de Nabuchodonosor furent libérés par l’empereur perse Cyrus II), en particulier sous le règne d’Hérode le Grand (73 av. J.C. à 4 av. J.C.) ; période qui a bien des égards ressemble par sa modernité, sa diversité et ses problématiques au monde actuel. Elle fut rapportée avec précision par l’historien antique Flavius Joseph.

Pour décrire le Royaume de Judée de l’époque, la formule la plus appropriée est la suivante : « une nation pour deux peuples et un Temple pour tous ». Les peuples en question sont les Juifs et les Iduméens qui pratiquaient tous deux le judaïsme au Temple, dans lequel les autres nations, en premier lieu Rome, avaient leur place. Alors qu’aujourd’hui les Juifs sont les seuls à pratiquer ce culte, il en était tout autrement avant l’apparition du christianisme et de l’islam. De plus, il y avait d’autres entités juives, au Levant comme en Afrique. Le judaïsme était une religion reconnue de Rome, et parmi les proches du pouvoir, certains revendiquaient cette foi. Selon les sources, près de 10% de la population de l’empire « judaïsaient ». Les courants en son sein étaient nombreux, avec des oppositions doctrinales et politiques.

Au niveau de l’identité, on pouvait être à la fois sujet du royaume de Judée (État vassal de Rome bénéficiant d’une large autonomie), être Juif ou Iduméen de peuple, pratiquer le judaïsme, parler l’araméen (la langue internationale), prier en hébreu, de culture grecque, et avoir la citoyenneté romaine. Dans ces conditions, que l’actrice israélienne Gal Gadot interprète le rôle de la reine égyptienne Cléopâtre, d’origine grecque, ne devrait choquer personne. D’autant plus que cette dernière avait des vues sur la Judée, et que des membres de la famille sacerdotale et dynastie hébraïque des Hasmonéens (Maccabée) portaient ce prénom. Sans parler de l’idylle prêtée à la pharaonne et au souverain juif.

En définitive, les rivalités intestines, la radicalisation, les guerres de succession, tant à Rome qu’à Jérusalem, et les intérêts contradictoires, particuliers et géopolitiques, eurent raison de ce modèle complexe et avant-gardiste (1ère guerre des Juifs contre les Romains de 66 apr. J.-C. à 73 apr. J.-C., et la destruction du Second Temple). Une vérité que tous les dirigeants de notre temps devraient méditer.

Que peut-on retenir ?

Canaan/Israël/Palestine est une région de brassage génétique et culturel. Si des civilisations se sont succédées, les populations constitutives se sont le plus souvent mêlées aux nouvelles entités politiques.

Juif ou Palestinien, chacun constitue un peuple. Pour autant, il n’y a jamais eu d’État arabe indépendant nommé Palestine. Cette appellation, reprise pour le mandat britannique, est d’origine romaine. De la période cananéenne au mandat conféré par la SDN, la seule entité politique autonome ayant existé est Israël.

Malgré la disparition d’un État centralisé et son intégration dans les empires successifs, il y a toujours eu une présence juive dans cette province et un attachement culturel avec Israël.

Aussi, nier l’existence de l’autre, ou s’approprier son histoire, s’est se nourrir de la dangereuse illusion qu’il est possible de l’escamoter et de bâtir un avenir durable au détriment de la réalité, aussi complexe soit-elle. Comme en psychanalyse, le « refoulé » trouvera toujours son chemin. Sans compromis et mise à distance des mythes fondateurs, aucune paix n’est possible.

La seconde partie de l’article traitera de la naissance des États Nations au Moyen-Orient, créés principalement par la France et la Grande Bretagne sur les décombres de l’empire Ottoman et de la difficile rencontre des mythes fondateurs, des nationalismes arabe et juif, avec la réalité moderne.

Article paru sur Le Diplomate le 01/05/25.

[1] La Genèse : chapitre 1, V1.

[2] En référence à l’ouvrage La Fin de l’histoire et le Dernier Homme de Francis Fukuyama.

[3] Les Juifs et les Chrétiens.

[4] La Dhimma.

à propos de l'auteur
Hagay Sobol, Professeur de Médecine est également spécialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les individus et les filières djihadistes. Ancien élu PS et secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée, il est vice-président du Think tank Le Mouvement. Président d’honneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses années à travers le collectif Tous Enfants d'Abraham.
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