Solutions
Ouragan. L’âge, apparemment n’avait pas d’effet sur elle. L’éclat du rire. Le mouvement, sans cesse. Les grands gestes, le rejet de tête vers l’arrière, secouant la masse des cheveux blonds. Et puis les idées fortes, la parole claire, les convictions. Et le volontarisme, l’optimisme de provocation.
Cette ancienne amie, restée bombe à retardement, venait une nouvelle fois de faire irruption, déclarant, définitive, j’ai les solutions, les deux plus importantes.
Jonathan n’eut d’autre solution, lui, que de convier ses trois copains venus lui raconter leurs petites affaires, de prendre un verre, de prendre aussi leurs aises dans les fauteuils, et d’écouter l’irrésistible élégie développer sa démonstration.
Fine mouche derrière son exubérance naturelle, elle commença par les rassurer. La réaction au 7 octobre a été la bonne. Pas de remise en cause. Il n’y a qu’une façon de garantir la vie de ce pays. La verdeur du langage annonça quand même la vigueur du propos à venir. Il faut couper ce que vous savez à ce mouvement assassin. Mais trois choses. Accompagner le terrible effort de guerre par un effort humanitaire de grande ampleur vis-à-vis des Gazaouis, femmes et enfants en particulier. Secouer les puces du monde occidental, en exigeant au titre des morts et des otages israéliens, de nouveau deux choses. Engager une action d’attaque effective, y compris militaire, de l’axe Hamas/Hezbollah/Daesh – Iran. Israël ne doit pas rester seul, en avant-poste à faire le sale boulot. S’attaquer au mammouth ONU, devenue caricature obèse hors sol. L’obligeant à réinventer sa mission et sa composition. Entreprendre la réinstallation d’une situation de droit en Cisjordanie, en ramenant manu militari les colons extrémistes religieux hors des territoires illégalement occupés, en punissant toutes leurs exactions, en tentant toutes les approches de modération possibles avec la société palestinienne.
Les mèches rebondissaient en vague, les bras se lançaient au ciel, les yeux verts luisaient, et le débit s’accélérait. En interne, pas d’alternative. Grand nettoyage de printemps, en espérant que l’époque le permettra. Renouvellement de toutes les structures de commandement. La faillite, le désastre du militaire et du renseignement, impose limogeage des anciens embourgeoisés et montée de jeunes formés, motivés, alertes. Renouvellement de toutes les directions et recomposition de toutes les structures du politique. En commençant, bien sûr, par le Führer. Devant quelques haussements de sourcils, elle rectifia. La « kopf », je veux dire ! Jonathan se souvint qu’elle adorait relever ses envolées verbales par le piment de mots étrangers. Pas seulement d’ailleurs car le jeu politique israélien est devenu une confrontation stérile d’idéologies. A preuve ces religieux jusqu’au-boutistes qui doivent être interdits de politique. Tout simplement.
Et, deusio. Deuxièmement. Le poing se fermait au bout du bras levé. Son insistance annonçait une seconde solution, apparemment surprenante. Quid de l’après-guerre à Gaza ? Une quadrature du cercle ? Hé bien elle a résolu l’énigme. Tout le monde sait que Golda Meir était l’homme fort du gouvernement de Ben Gourion. Hé bien, elle est, elle, apparemment la seule à savoir que la seule graine d’homme d’Etat du personnel politique israélien est… Mansour Abbas. Arabe israélien, attaché à un mouvement islamiste modéré, issu de la société civile, et en politique, chef de la Ligue Arabe Unie, ministre chargé des affaires arabes en 2020/21. Disposant à la fois du sens pratique, d’une vision long terme et d’un réel sens moral. Cachant en fait, sous sa rondeur plutôt souriante une véritable acuité tactique.
En fait le candidat idéal pour prendre la tête d’un Etat palestinien, réunissant Gaza et la Cisjordanie. Du côté palestinien, homme politique aguerri, Arabe, appartenant à l’univers islamiste, vierge de l’historique, des affrontements entre le Fatah et le Hamas, monsieur Propre sans doute capable de s’attaquer au problème endémique de la corruption, engagé dans la modernité par son activité professionnelle initiale. Cerise sur le gâteau, honni par les religieux juifs extrémistes, eux-mêmes ennemis mortels de tout Arabe vivant sur la terre de leur Grand Israël. Du côté israélien, il peut représenter l’homme miracle. Connu d’abord. Conférant à un gouvernement palestinien renouvelé la crédibilité, l’ouverture au dialogue, la compréhension et la conduite de l’évolution par étapes. Priorisant les dimensions fondamentales, que sont l’éducation, l’économie, le social, la haute technologie… Attaché à la sécurité et reléguant au dernier rang de préoccupation, l’aspect militaire.
Fine mouche mais pas fleur bleue, elle conditionna le succès de son hypothèse idéale à l’acceptation a priori de cette candidature par les deux populations de Cisjordanie et de Gaza. Acceptation qu’il faudra bien préparer. Populariser le profil d’homme providentiel. Nouveau, Clean, dit-elle. Tourné entièrement vers la jeunesse et l’élévation des femmes. Populariser son projet. Clair, simple et précis.
Si les Israéliens et les Palestiniens sont un peu moins bêtes que d’habitude, ça passera !!
Tornade adoucie mais toujours personnage flamboyante, elle leur fit face, silencieuse.
Le premier qui sortit timidement sa tête de la fascination du discours et de la femme, ou de l’inverse peut-être, fut Jean, le bedonnant expert-comptable. Mansour Abbas, c’est sans doute lui qu’il faudra bien convaincre en premier. Vous…. Il n’eut pas à aller plus loin. Un rôle pour l’histoire, ça ne se refuse pas. Elle le savait. C’est un homme d’engagement. Ça sera l’aboutissement d’une vie dédiée au bien public. La tête de Jean rentra dans ses épaules.
Jonathan, flatteur prudent, proposa alors que le prochain verre soit levé en l’honneur des vraies idées, toujours provocatrices er de celle qui les défend, toujours provocante. Flatterie qui fut accueillie par un sourire, par des rires, sous le soir qui tombait.