Si pas maintenant, alors quand ? Comment sauver le système éducatif israélien ?

Depuis quelque temps, la droite exerce son influence sur les valeurs véhiculées par l’école israélienne ; c’est aux parents et aux enseignants d’y remédier.

J’ai quatre fils. Il y a un mois, leur père et moi les avons arrachés (temporairement) à tout ce qu’ils connaissaient, à savoir leur famille et leurs amis en Israël, et bientôt ils commenceront une nouvelle année scolaire dans le système éducatif de Cambridge, dans le Massachusetts.

L’un des plus grands changements dans leur vie sera la manière dont le système et les valeurs démocratiques leur seront enseignés. Jusqu’à présent, ils ont fait partie d’un système éducatif aux mains des nationalistes extrémistes, où pendant de nombreuses années, le concept de démocratie n’a pratiquement pas été enseigné. Et lorsqu’il l’était, il était présenté de manière unilatérale et étroite, avec des messages dominants défendant des idées telles que « la guerre est un mal nécessaire » et « le peuple élu ». Le principe de « la majorité gouverne » était privilégié, au détriment des droits des minorités, tandis que des slogans superficiels d’unité et de fraternité (principalement entre Juifs) étaient brandis à tout bout de champ.

Ce n’est pas un hasard. La droite a orchestré cette campagne de « colonisation des cœurs » depuis le désengagement israélien de Gaza en 2005, ressenti comme une défaite cuisante. Le système éducatif était l’un des domaines à conquérir et, astucieusement, c’est exactement ce qui s’est passé, à la fois en termes de budget et de contenu pédagogique, puisque le système d’éducation laïque de l’État a été vidé et nourri de force d’un contenu anti-libéral. Cela explique pourquoi le directeur de l’école de mes enfants (et beaucoup d’autres libéraux dans l’âme) évite tout discours politique – même en ces temps troublés. Comme si le silence n’était pas une déclaration politique en soi.

En décembre 2022, un nouveau gouvernement israélien a prêté serment. Pour la première fois dans l’histoire d’Israël, des partis ouvertement racistes et kahanistes ont obtenu des sièges à la Knesset, après avoir été admis par des partis de droite qui avaient perdu tout sens des valeurs démocratiques tout en légitimant des valeurs nationalistes et ethnocentriques.

Petit quiz : d’où ces partis extrémistes ont-ils tiré leurs voix et leur pouvoir ? Indice : dans le système éducatif israélien, où, au fil des ans, des ministres et des directeurs-généraux ont inculqué des visions étroites et tordues de la démocratie. C’est là que de nombreux électeurs de Ben Gvir et d’autres suprémacistes juifs ont été formés pour leurs premières élections.

Cette coalition d’extrême droite sous stéroïdes et sa refonte judiciaire, dont le point culminant est la récente législation limitant le pouvoir de la Cour suprême d’annuler les décisions déraisonnables du gouvernement, ont pris de nombreux Israéliens par surprise.

En réalité, elle se profilait à l’horizon depuis longtemps : pendant des décennies, la droite s’est employée à consolider l’occupation, à alimenter officiellement et officieusement la haine et la peur, et à limiter l’enseignement de la démocratie, face à une majorité libérale insensible et endormie.

L’un des premiers gestes du Premier ministre Netanyahu a été de promettre à Avi Maoz, un misogyne, homophobe et raciste auto-proclamé (« La parade de la fierté à Jérusalem doit être annulée… C’est une honte »), une partie du système éducatif, en lui confiant le contrôle de la division chargée des programmes externes. La décision a fait des vagues. Des parents libéraux et laïques ont élevé la voix et, avec les municipalités et les ONG, ont déclaré : « Pas dans nos écoles, cela ne se passera pas comme ça. Ils ont fait entendre leur voix et ne se sont pas tus depuis. »

L’une des difficultés a été de soutenir les enseignants employés par le ministère de l’Éducation, en protestant bruyamment. Entre les mois de janvier et de juin 2023, j’ai consacré la plus grande partie de mon temps à permettre aux éducateurs de s’organiser afin qu’ils puissent s’intégrer dans la dynamique sans précédent qui a envahi le pays, une dynamique en résistance au gouvernement d’extrême-droite. Les professeurs et les directeurs d’établissement avaient observé la Hongrie et ils savaient ce qui allait arriver – ils ressentaient depuis longtemps l’effet de musellement qui est entraîné par la censure, depuis presque une décennie, en fait. Ils se battent pour pouvoir tenir leur rôle éducatif avec intégrité et sans risquer leur gagne-pain (nous n’avons même pas parlé de la grave pénurie d’enseignants !) Tout cela est une réalité pour les éducateurs juifs, une réalité dont les difficultés sont multipliées par deux pour les éducateurs arabes en prenant en compte la discrimination de longue date et la censure particulièrement dure dont ils sont les victimes.

Au cours des derniers mois, nous avons assisté à un éveil remarquable, un éveil qui continue à ce jour après 30 semaines de manifestations continues, créatrices, sur tout le territoire israélien – et ce n’est pas terminé – avec un message précis : Sauvez la démocratie israélienne (et j’ai envie d’ajouter, comme c’est écrit sur le tee-shirt que je porte quand je vais aux rassemblements : « Il ne peut pas y avoir de démocratie sous occupation » mais si nous voulons sauver la chance de voir naître un état palestinien libre et démocratique, il ne nous reste comme moyen que le droit de manifester).

Dans mon travail, j’ai vu des milliers de parents qui ont été rejoints par des centaines d’éducateurs pour construire un mur de protection autour de nos écoles. Ce mur protège nos enfants des forces violentes qui se trouvent à l’extérieur tout en définissant clairement nos valeurs, les valeurs de ceux qui n’accepteront rien d’autre que la démocratie pour tous et pour toutes. Dernier exemple en date, ce week-end, où le ministre de l’Éducation, suite aux demandes soumises par l’extrême-droite, a interdit l’intervention, dans les établissements scolaires, du Cercle des Parents (une ONG qui fait la promotion de la paix), en affirmant que ses activités contredisaient les valeurs du ministère. Des dizaines de directeurs d’établissement ont protesté contre cette décision et certains ont même déclaré qu’ils continueraient à inviter cette organisation.

Ces mouvements et ces individus courageux organisent des manifestations mais ils créent également des contenus pédagogiques ; ils demandent des réponses au ministre ; ils initient la collaboration avec les municipalités : ils étudient les programmes et les manuels et ils se dressent lorsqu’il s’agit d’empêcher des programmes anti-libéraux de franchir le seuil des écoles.

Et s’ils le font, c’est qu’ils savent que la démocratie n’est pas un mouvement perpétuel. C’est un muscle qui doit être entraîné de manière répétée si nous voulons que les futures générations aient un sentiment de citoyenneté. Le ministère de l’Éducation ne sera pas à la tête de ces efforts et il nous revient à nous, parents, éducateurs et partenaires, de nous serrer les coudes et de continuer le combat. Je dois à mes enfants de le faire. Nous le devons tous à nos enfants.

à propos de l'auteur
Naomi Beyth-Zoran est une éducatrice et avocate israélienne, spécialisée dans le plaidoyer et l'éducation antiraciste et droits de l'homme. Elle réside actuellement à Cambridge, et participe au programme d'études MC-MPA de la Harvard Kennedy School.
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