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Shela’h lecha – De l’importance de croire en soi

Ce peuple : petit par la taille, certes, mais ô combien grand par sa valeur et sa destinée

« Believe you can and you’re halfway there »
Citation attribuée à Théodore Roosevelt

La parasha que nous lirons ce Shabbat en Israël (et la semaine prochaine pour les communautés de Diaspora) relate l’épisode tristement célèbre de « la faute des explorateurs ». Pour la plupart des commentateurs, la faute en question consistait, pour les explorateurs, à tenir des propos désobligeants sur la Terre d’Israël, et pour le reste du peuple, à ajouter foi à ces propos au point d’en perdre tout espoir. Sans rejeter cette interprétation, j’aimerais toutefois vous en proposer ici une version quelque peu nuancée… mais tout d’abord, voyons ensemble un résumé de ce troublant épisode.

Notre parasha s’ouvre sur la décision de Moshe d’envoyer douze hommes, un par tribu, en mission d’exploration de la Terre promise (1). Lorsqu’ils reviennent de cette mission, dix d’entre eux font un rapport fort décourageant et concluent à l’impossibilité de conquérir la Terre, en raison des « gens de haute taille » qui y résident et qui sont « plus forts que nous » (2).

Le peuple entre alors en fureur et, refusant d’écouter le rapport minoritaire, nettement plus encourageant, des deux explorateurs restants, s’apprête à lapider ces derniers, provocant ainsi la colère de l’Eternel (3).

S’ensuit alors une négociation entre Celui-ci et Moshe, le prophète se faisant l’avocat du peuple face aux menaces divines d’anéantissement (4). L’Eternel finit donc par « pardonner » tout en jurant que, à l’exception des deux explorateurs mis en minorité, pas un seul des membres de cette génération, désormais condamnée à 40 ans d’errance dans le désert, n’entrera en Terre promise. Quant aux dix explorateurs à l’origine du rapport décourageant, ils meurent, « frappés par le Seigneur » (5).

Après une nuit que l’on imagine mouvementée, le peuple va trouver Moshe, reconnait sa faute et se déclare prêt à entamer la conquête de la Terre promise. Réponse lapidaire de ce dernier: « Cela ne vous réussira point […]; l’Eternel ne sera point avec vous » ! Une réponse immédiatement confirmée puisque ceux qui s’obstinent à se mettre en chemin sont rapidement battus et « taillés en pièces » (6).

Ainsi s’achève ce tragique épisode qui, selon la Mishna (7), est à l’origine du jeûne et du deuil que nous observons chaque année le neuvième jour du mois de Av. La lecture de ce passage éveille en moi un certain nombre de questions, que je souhaiterais partager avec vous :

– quelle est précisément la faute commise par les explorateurs, et par ceux qui les ont écouté, et en quoi était-elle grave au point de mériter une telle sanction ?

– comment se fait-il que la sanction ait continué à frapper le peuple, même après que celui-ci eut reconnu sa faute et exprimé le désir de la réparer ?

– pourquoi lier désormais l’entrée en Terre promise au changement de génération et comment être certain que la prochaine génération ne répétera pas la faute commise par celle-ci ?

Pour répondre à ces questions, il importe avant tout de comprendre en quoi les deux rapports (le majoritaire et le minoritaire) étaient différents. Commentant le premier, Rashi (Rabbi Shlomo Yisthaki, 1040-1104) s’applique à trouver une explication pour chacun des arguments qui y sont développés, démontrant ainsi qu’il ne s’agit en aucune façon d’un rapport mensonger. Bien au contraire, tout y est rigoureusement vrai ! Ceci est d’ailleurs implicitement confirmé par les deux explorateurs minoritaires, qui ne cherchent à aucun moment à mettre en doute la véracité des faits du premier rapport, mais uniquement leur interprétation. Car c’est bien là que réside la différence entre les deux rapports: dans la seule interprétation de ce qu’ont vu les explorateurs.

Mais si c’est effectivement le cas, pourquoi en tenir rigueur aux rapporteurs majoritaires ? Ils n’ont fait, après tout, rien d’autre que ce que Moshe leur avait demandé de faire : explorer le pays et vérifier, sur la base de ce qu’ils y verraient, la faisabilité d’une conquête. Une divergence d’opinion quant à ce dernier point peut-elle réellement leur être comptée comme une faute aussi grave ?

La réponse à cette dernière question réside, me semble-t-il, dans une simple phrase, tirée du rapport des dix explorateurs et ô combien révélatrice de leur état d’esprit. Voici ce qu’ils déclarent au moment de décrire les « gens de haute taille » rencontrés lors de leur mission :

 » Nous étions à nos propres yeux comme des sauterelles, et ainsi étions-nous à leurs yeux ». (8)

Les rapporteurs majoritaires avaient pour mission d’examiner objectivement les forces et les faiblesses de l’adversaire, de manière à permettre ensuite l’élaboration d’une stratégie adaptée. Au lieu de cela, ils ont commencé par évaluer subjectivement (« à nos propres yeux ») leurs propres faiblesses, ce qui a eu pour effet de rendre ces faiblesses évidentes pour l’adversaire (« et ainsi étions-nous à leurs yeux »). Prendre note de la haute taille de l’adversaire était bien entendu un point indispensable, qui aurait normalement du permettre au peuple de se préparer de manière adéquate; mais se diminuer soi-même jusqu’à se considérer comme une sauterelle, c’était s’assurer une défaite écrasante.

La faute des explorateurs n’est donc pas tant d’avoir délivré un rapport décourageant que de l’avoir fait par manque de confiance en soi et, surtout, d’avoir propagé ce manque de confiance en soi au sein du peuple. C’est ce qui explique le caractère inéluctable de la sanction : une fois la confiance en soi détruite, il est extrêmement difficile, voire impossible, de la reconstruire. Il était donc nécessaire d’attendre que se lève une nouvelle génération, qui n’aurait pas été atteinte par ce rapport décourageant, et qui soit capable  de mener à bien la conquête.

C’est peut-être aussi ce qui explique la terrible colère de Dieu lors de cet épisode et la réponse de Moshe aux repentis : « l’Eternel ne sera point avec vous ». Car si ce n’est ni la première, ni la dernière fois que le peuple manque de confiance en Lui (9), c’est bien la première fois qu’il fait preuve d’un tel manque de confiance en soi. Et si Dieu peut opérer des miracles même pour celui qui ne croit pas en Lui, Il ne peut rien pour celui qui ne croit pas en lui-même.

Une leçon à méditer pour une génération qui, bien que revenue sur sa Terre depuis près d’un siècle, a toujours tendance à se voir comme une sauterelle face à ses belliqueux voisins et au monde qui l’entoure… N’est-il pas temps pour ce peuple de réparer la faute des explorateurs et de se voir enfin tel qu’il est réellement : petit par la taille, certes, mais ô combien grand par sa valeur et sa destinée ?

Shabbat shalom à tous !

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(1) Nombres XIII, 1-20; sur la question de savoir si l’initiative d’envoyer ces explorateurs revient à Dieu ou à Moshé, voir le commentaire de Rashi sur le verset 2.

(2) Ibid, 21-33

(3) Ibid XIV, 1-10

(4) Ibid, 11-19

(5) Ibid, 20-38

(6) Ibid, 39-45

(7) Ta’anit IV, 6

(8) Nombres XIII, 33

(9) Voir Nombres XIV, 11 : « Quand cessera ce peuple de m’outrager ? Combien de temps manquera-t-il de confiance en moi, malgré tant de prodiges que j’ai opérés au milieu de lui ? »

à propos de l'auteur
Traducteur indépendant (hébreu-français et anglais-français), Julien Pellet est né à Lausanne (Suisse) dans une famille juive traditionaliste. A l'adolescence, les discussions autour de l'actualité proche-orientale le poussent à s'intéresser à ses racines juives et à se rapprocher de la communauté. Ce rapprochement s'accentue au cours de ses études de droit, durant lesquelles il est actif au sein de l'association locale des étudiants juifs. Son Bachelor en poche, Julien délaisse le droit pour se consacrer à la lutte contre l'antisémitisme avec l'association CICAD, basée à Genève. Puis, en 2010, les montagnes suisses cèdent la place aux collines de Jérusalem, où il étudie à la yéshiva Machon Meir. Julien rentre en Suisse pour partager son temps entre la CICAD et l'école juive de Lausanne, où il découvre les joies (et parfois les peines !) de l'enseignement. Mais Jérusalem le réclame à nouveau et c'est grâce à celle qui finira par devenir sa femme que Julien y fait son grand retour à l'été 2014, accueilli comme il se doit par les roquettes du Hamas.
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