Serions-nous tous à la recherche du même (dieu) ?

« La vocation d’Israël est par essence la médiation entre les hommes. »

André Noham Chouraqui

Pour Carl-Gustave Jung, les archétypes relèvent d’une structure universelle issue de l’inconscient collectif qui apparaît dans les mythes, les contes et toutes les productions imaginaires du sujet sain, névrosé ou psychotique. Il existe dans notre inconscient collectif des archétypes communs à toute l’humanité que l’on pourrait mettre en évidence afin de rassembler les humains dans une fraternité spirituelle universelle.

Le judaïsme peut-il rassembler les humains dans une fraternité spirituelle universelle ? Comment reconsidérer le Temple de Salomon en abordant sa spiritualité hébraïque non pas en tant que religion mais en tant que langage spirituel universel ? Le judaïsme est perméable aux spiritualités qui l’entourent, et depuis son origine s’est inspiré des religions avoisinantes : « Le judaïsme n’est pas une doctrine autarcique, et elle n’est pas non plus une doctrine figée. Elle vit de rapports avec son milieu, elle agit sur lui comme il agit sur elle, elle a une histoire et elle subit des évolutions. Bénamozegh reconnaît les influences égyptiennes, et Jéthro lui-même peut être considéré comme « un des fondateurs de la religion d’Israël ». »(1)

En France, ce qui reste supérieur à toutes les croyances, spiritualités et religions, c’est la philosophie, la Raison avec une majuscule. Au dessous du « dieu Raison » (ou déesse ?) il y a la Nature. En effet, tout ce qui est immanent est acceptable tandis que le transcendant reste sous le contrôle de la Raison (donc restreint).

La Nature nous offre de la nourriture pour l’âme. La première est la contemplation de sa beauté, ensuite elle nous offre sa pharmacopée, puis elle peut, si l’on y est sensible, nous proposer des remèdes qui nécessitent un apprentissage auprès de maîtres, spécialistes ou chamans expérimentés.

Ce domaine n’a rien à voir avec le transcendant même s’il peut s’agir de croire. Par exemple, si l’on ne croit pas que le Tchi (ou Qi) existe, on ne peut pas pratiquer le Tchi Kong et le Taï Chi comme la médecine chinoise seront inefficaces. Pour les Chinois le Tchi est une énergie qui provient de la Nature, c’est-à-dire de soi et de tout le cosmos. Ce genre de spiritualité qui ne nécessite pas de religion.

Nous sommes tous plus ou moins consciemment à la recherche d’un dieu qui rassemblerait toute l’humanité. Ce dieu pourrait être fictif, cela n’a pas d’importance, « peu importe la couleur du chat, pourvu qu’il attrape les souris » dit un proverbe chinois. En terme hébraïques on pourrait dire que les goyim connaissent Elohim.

De même, le pharaon s’adressant à Moïse lui indique qu’il connaît cet aspect du Divin. Elohim, c’est le Divin immanent, la Nature, la puissance créatrice. Elohim peut se traduire par « Dieu » avec une majuscule au singulier ou par « dieux » avec une minuscule et au pluriel. Il n’a pas de relation avec les humains, pas de sentiments, il n’est ni bon ni mauvais ; il est.

Elohim est le nom de Dieu dans le premier chapitre de la Genèse qui décrit la création du monde et des humains. Dans ce premier chapitre l’humain n’a pas encore d’âme, il ne s’agit que de mâles et de femelles humaines. Ce n’est que dans le second chapitre, lorsque Dieu s’appelle HaChem-Elohim que l’homme et la femme entrent en relation l’un avec l’autre et avec leur Créateur. Le Divin selon la Torah a donc deux noms principaux, Elohim et HaChem. Le premier degré de connaissance du Divin accessible par la Raison s’appelle Elohim. Le second implique une relation de confiance.

Il est possible de distinguer les deux noms, voire même de les opposer. En caricaturant un peu, on pourrait dire que le peuple hébreu est sorti de sa matrice égyptienne où Elohim dominait pour aller à la rencontre d’HaChem dans le désert. C’est seulement à cet endroit et à ce peuple que l’aspect caché du Divin s’est révélé.

Cette sorte de préférence divine étant rationnellement insupportable, il en a découlé une hostilité des nations contre le peuple préféré. D’ailleurs la montagne où il s’est fait connaître (le Sinaï) signifie « la haine » car c’est à partir de ce lieu et de ce moment (Shavouot) que le peuple hébreu a commencé à être haï.

L’eschatologie juive prévoir qu’un jour toutes les nations de la terre s’uniront contre Israël. On appelle cet événement la guerre de Gog et Magog (il s’agit en réalité de Gog roi de Magog). En d’autres termes plus simples on pourrait dire que l’occidentalisation (ou mondialisation) de la planète est la réalisation de cette prophétie.

En effet, il semble de plus en plus évident qu’un jour l’ONU va prendre une décision radicale contre Israël pour l’obliger à revenir aux frontières prévues en 1947. Cette décision apparemment humaniste signerait son arrêt de mort. Une guerre des nations contre Israël semble donc a priori inévitable. Étant prédite par la Torah elle est par conséquent intégrée à la mentalité des Israéliens qui s’y préparent activement.

Le seul frein à cette catastrophe inéluctable reste l’alliance d’Israël avec les États-Unis. Selon Manitou (Léon Yéhouda Azkénazi) cette alliance est destinée à imploser. La fin tragique du judaïsme aux USA est d’ailleurs anticipée par Israël qui a prévu de quoi accueillir en urgence les cinq millions de Juifs américains. Il ne s’agit pas de prophétie farfelue mais d’un constat en analysant l’Histoire des Juifs dans le monde. Selon Manitou, chaque fois qu’il y a eu symbiose avec la culture du pays, ça s’est mal fini : l’Espagne (1492, expulsion des Juifs), l’Allemagne (le nazisme) et finalement bientôt les États-Unis.

On pourrait dire que « toute l’humanité » ignore qui est HaChem puisque le peuple hébreu l’a caché en son sein pour le (se) protéger des persécutions. Or, depuis qu’il est revenu sur sa terre, la Lumière a commencé à sortir de Jérusalem pour se diffuser dans le monder entier. Le projet de religion universelle rationnelle semble cohérent, logique, humain et humaniste.

Néanmoins il y a un os qui s’appelle Israël. Le judaïsme n’est en effet pas tout-à-fait une religion car la Torah est un « livre-patrie », la Constitution d’un peuple : le judaïsme est indissociable de la Nation Israël sur une terre particulière. Il ne peut donc pas être considéré comme une religion et n’est pas pour autant au-dessus des autres mais plutôt à part, séparé.

Depuis la Révolution française et Napoléon « Le judaïsme est toléré, accepté, à condition de n’être qu’une confession. Mais si être juif, c’est appartenir à un peuple et à une nation, si être juif est une affaire autant politique que religieuse, alors l’émancipation est en réalité une neutralisation et une négation du judaïsme.

Elle est un marché de dupes. La fierté que les juifs peuvent tirer de leur histoire nationale, inséparable de leur vocation religieuse puisque le peuple élu est élu comme peuple de l’Alliance, est alors annulée. »(2)

Le judaïsme ne peut supporter aucun nivellement car cela impliquerait sa disparition. Dit autrement, la France et les pays occidentaux en général semblent incompatibles avec le judaïsme sauf si la religion d’Israël est détachée d’Israël. C’était le projet de Napoléon qui voulait que les Juifs renoncent à leur appartenance à leur nation.

Cependant, aujourd’hui, le judaïsme indépendant d’Israël n’existe plus. Sa source est redevenue Jérusalem. Un universalisme spirituel qui n’aurait pas Jérusalem pour centre ne peut se prétendre universel. « Jérusalem est, bien entendu, la capitale perdue des juifs. Mais elle est aussi, il ne faut jamais l’oublier, l’espérance des juifs, et, à travers eux, de toute l’humanité. »(3)

On peut considérer que le premier fils de Rachel, Joseph est un constructeur du Temple universel d’Israël. En effet, il s’inspire de la spiritualité de son père Jacob pour organiser l’économie et la religion égyptienne. Léon Askénazi explique qu’il voulait hébraïser l’Égypte. Toute la difficulté de l’universalité spirituelle est de concilier celle d’Israël avec celle des autres peuples.

C’est dans la parasha Vayigash du livre de Berechit que se trouve la solution, la réconciliation entre les deux, le particularisme d’Israël et l’universalisme de l’Égypte. Dans ce passage de la Genèse commençant par Vayiqash (« il s’est approché ») Yéhouda s’est approché de Joseph. La réconciliation des deux frères a commencé par un pas de l’un vers l’autre. L’ancêtre de David s’est approché du vice-roi d’Égypte.

La guerre de Gog roi de Magog -comme nous l’avons expliqué plus haut- est une volonté de détruire Israël. Il faut rappeler que dans la tradition hébraïque le Messie n’est pas un homme mais tout le peuple.(4) Lorsqu’un roi d’Israël, comme par exemple David, est qualifié de Messie cela signifie qu’il représente son peuple, cela ne veut pas dire qu’il est le seul et unique messie. Dans le christianisme il y a une focalisation sur un seul homme crucifié (et ressuscité). Dans l’inconscient chrétien cela sous-entend qu’il est « normal » qu’Israël meure « crucifié »(5). Le Messie (le Vav)(6) dévoilé et condamné à mort.

Dans le scénario chrétien : le Messie (Yessod) meurt à Jérusalem. Il y va de son plein gré pour y mourir. Ainsi les Juifs aujourd’hui montent à Jérusalem pour y être offerts en sacrifice afin de sauver l’humanité. Les pays de culture chrétienne encouragent ce génocide à la fois en étant du côté des pseudo-défenseurs et des complices de ce meurtre. Par rapport à Israël, le Cardinal Lustiger parlait de la position de l’Église « crucifiée et crucifiante » (dans son livre « La Promesse) faisant allusion aux Catholiques soit proches du peuple juif soit antisémites.

Le scénario juif diffère du tragique scénario chrétien car le Messie est blessé mais ne meurt pas. Isaac monte sur le Mont Moria avec son père (qui symbolise à la fois les Musulmans et les Chrétiens) qui finalement ne le tue pas. Une autre prophétie hébraïque stipule que c’est seulement le premier Messie qui est tué mais pas le second. Tout cela nécessiterait de plus longues explications bien sûr ; nous pouvons seulement préciser ici que le premier Messie s’appelle « le fils de Joseph » et que le second s’appelle « le fils de David ».

A propos des prophéties d’Israël on peut encore mentionner(7) que la diffusion de la Lumière (de la connaissance d’HaChem) n’est envisageable qu’à partir du rassemblement des exilés (en hébreu « kiboutz galouiot »), c’est-à-dire du retour des Juifs en Israël réunissant ainsi les deux royaumes divisés après la mort du roi Salomon(8).

Enfin, rappelons que la fête de Soukot est destinée à élargir l’Alliance d’Israël à toute l’humanité. C’est un processus lent et pas un événement irrationnel soudain. Pour illustrer cette prophétie on peut notamment lire le chapitre 14 du livre de Zacharie.

Berceau du judaïsme, du christianisme et de l’islam, Jérusalem est aujourd’hui une capitale spirituelle pour plus de la moitié de l’humanité. Mais ne pourrait-elle pas devenir la capitale spirituelle de toute l’humanité ? Capitale spirituelle et non pas religieuse. Pourquoi et comment ? L’universalisme de Jérusalem n’est-il pas une réalité qui dépasse les croyances et toutes les différences ? N’est-ce pas cela le Temple de l’humanité ? Un lieu, une ville, un pays fédérateur de nations.

André Noham Chouraqui exprimait très bien cette vocation d’Israël (dans son livre « Mon Testament. Le feu de l’Alliance », Paris, Bayard, 2001) : « L’acceptation des Paroles de l’Alliance, selon Chouraqui, pourrait devenir le lieu de rencontre des grandes traditions monothéistes. Israël, historiquement, est convié à jouer ce rôle d’unification. La vocation d’Israël est par essence la médiation entre les hommes. Étymologiquement, Israël signifie « Celui qui lutte avec Dieu ». Paria des nations, le peuple hébreu s’est, selon lui, trop replié sur lui-même.

Il doit retrouver sa vocation première, unique, et universelle : réunir tous les peuples autour de l’Alliance confiée à Moïse dans les Dix Paroles. Et comme l’Alliance est ontologiquement liée à la Création, celle-ci, beria, ne peut subsister que grâce aux pouvoirs de celle-là. Le message d’Israël s’adresse à l’homme tel qu’il est sorti des mains de son Créateur. Israël, dans les desseins de Dieu, et selon la perspective de Chouraqui, doit redevenir le centre du monde pour être au service de l’humanité. »(9)

Chacun sait qu’un grand nombre de Palestiniens, surtout la nouvelle génération, n’aspire qu’à devenir israéliens. La réalisation d’un unique pays passe par la construction d’une identité commune au-delà des différences de culture et de religion. Il ne s’agit pas pour Israël de renoncer à son identité juive mais de la métamorphoser progressivement en identité hébraïque.

Selon Manitou (Léon Askénazi) l’identité israélienne qui provient de l’identité diasporique juive doit peu à peu se transformer en identité hébraïque. Qu’est-ce que cela signifie ? Être « Hébreu » c’est adhérer à la spiritualité d’Israël, que l’on soit Juif ou pas, que ce soit dans le cadre d’une religion ou pas. Malgré ce constat global négatif de résistance au dévoilement du Nom, heureusement une minorité de Musulmans, de Chrétiens comprennent le rôle d’Israël pour unifier l’humanité autour du Nom révélé au peuple hébreu.

Nous sommes tous -consciemment ou pas- à la recherche d’une spiritualité autour d’un même concept du divin. Nous sommes tous à la recherche de notre identité, de notre origine et de notre destinée. Nous voyons tous Israël d’un mauvais œil car nous ne percevons pas au-delà de la carapace, à l’intérieur du cactus (sabra). La préservation du peuple qui porte le Nom passe par une réparation du Nom divin (tikoun) : conduire chacun à unifier en lui-même Elohim et HaChem.

Jérusalem, « Tout homme y est né » (Psaume 87,5)

וּלְצִיּוֹן יֵאָמַר אִישׁ וְאִישׁ יֻלַּד בָּהּ וְהוּא

Littéralement il faudrait traduire ce verset en utilisant un « gros mot », cela donnerait : « De Sion il est dit « tout homme y est né » » …

Comment rendre au mot « Sion » -devenu péjoratif dans l’opinion publique- sa noblesse originelle ? Comment faire aimer Jérusalem ? Les raisonnements ne suffisent pas. Les mots sont vains. Décourageants. Seul en séjour sur place peut modifier la manière de considérer Jérusalem, Israël et toute cette terre où une indicible « Présence » est palpable, même pour les non croyants. Toute âme sensible pourrait y entendre, comme l’écrivait Baudelaire, « sa douce langue natale »(10).

1) Vincent Peillon, « Jérusalem n’est pas perdue », Éditions Le Bord de l’Eau, 2022, page 346.
2) Vincent Peillon, « Jérusalem n’est pas perdue », Éditions Le Bord de l’Eau, 2022, page 37.
3) Vincent Peillon, « Jérusalem n’est pas perdue », Éditions Le Bord de l’Eau, 2022, page 48.
4) Lire par exemple « Le messianisme juif dans la pensée du Maharal de Prague », Benjamin Gross, 1994.
5) Lire sur ce sujet « L’épître au Yemen » de Maïmonide.
6) Israël est en effet comme à l’intérieur du Nom divin (le Tétragramme) en tant que Vav, mais aussi en tant que Hé d’en bas, selon l’angle de vue. Le Nom divin correspond aussi aux Sephirot : le Youd = Keter et Hohkhma, le Hé d’en haut = Bina, le Vav = les six Sephirot suivantes, le Hé d’en bas = Malkhout.
7) Nous pourrions notamment mentionner les prophéties concernant Edom dont le christianisme le ciment spirituel. Et nous pourrions aussi mentionner la prophétie des quatre royaumes dans le livre de Daniel, le quatrième étant celui d’Edom. Cela nous amènerait à de longs développements qu’il est préférable de rechercher auprès de maîtres d’Israël qui ont beaucoup écrit sur ces sujets.
8) A ce propos nous pourrions aussi évoquer les étincelles perdues des dix tribus disparues et éparpillées dans le monde que le Messie doit ramener « à la maison ».
9) Extrait d’un article dans : https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2006-v62-n1-ltp1384/013579ar/
10) « La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale. » (L’Invitation au Voyage, Charles Baudelaire)

à propos de l'auteur
Passionné de judaïsme et d'Israël, Pierre Orsey est né en 1971 et habite près d’Avignon.
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