Septembre noir en perspective ?
Deux dates, désormais très proches, vont être pas moins que décisives pour l’avenir d’Israël.
Le 12 septembre prochain, la Cour Suprême statuera sur les requêtes en annulation de la loi qui abroge la « clause de raisonnabilité » (ilat hasvirout); le 28, elle examinera celles qui concernent la « loi d’empêchement » (nivtzarout) à l’encontre de Binyamin Netanyahou, coupable aux yeux des requérants d’avoir enfreint l’accord qu’il a signé en 2020, lui permettant de continuer à servir comme Premier ministre malgré son inculpation pour corruption et selon lequel, vu son procès en cours, il devait s’abstenir de toute activité dans des questions législatives susceptibles d’avoir un impact sur son procès.
Si l’on ajoute à ces deux dates celle du 7 septembre, à laquelle la Cour suprême traitera des requêtes visant à contraindre le ministre de la Justice Levine à réunir la commission de nomination des juges, ce qu’il se refuse à faire avant d’avoir réussi à la soumettre à sa volonté par une « refonte » qui est l’un des points essentiels du coup d’Etat juridique qu’il tente de perpétrer avec le Grand Leader, on voit que c’est sur pas moins de trois terrains majeurs que l’autorité juridique et le gouvernement s’affrontent aujourd’hui, dans un combat déclenché par ce dernier, désireux de prendre le contrôle de la première et l’asservir à son autorité.
La question cruciale est maintenant celle-ci: en cas de décisions qui leur seraient défavorables dans l’un ou/et l’autre de ces dossiers, Netanyahou et son gouvernement les accepteront-ils, ou non ? Dans ce dernier cas, ils ouvriraient une crise constitutionnelle sans précédent, qui pourrait alors définitivement embraser les rues d’Israël.
Dans tout Etat de droit, la question ne se pose pas. Joe Biden se plie devant les décisions d’une Cour suprême façonnée par Donald Trump, Menahem Begin s’est incliné en son temps devant celles des juges de Jérusalem, tout comme Itzhak Rabin qui, lui non plus, n’a pas toujours apprécié des verdicts qui contrecarraient ses projets, mais maintenaient l’encadrement légal de l’action des divers gouvernements, sans lequel les pays basculent rapidement vers l’autocratie et l’arbitraire.
Il n’en va plus de même en Israël. Dans toutes ses interviews aux télévisions américaines (il refuse toute interview aux chaînes israéliennes, sauf à la chaîne 14, dite « Télé-Bibi »), quand on le questionne à ce propos, il ne prend aucun engagement clair de respecter des éventuels verdicts défavorables, et botte en touche : « J’espère qu’on n’en arrivera pas là », etc. Plusieurs de ses ministres et députés disent déjà clairement que dans une telle situation, il ne faudra pas obéir à la Cour suprême.
Cette attitude est le point culminant (pour le moment) de toute une campagne menée par la droite, laïque comme religieuse, sous la supervision personnelle de Netanyahou, contre le système juridique dans son ensemble, et la Cour suprême en particulier. David Amsalem, ministre, un des ténors du Likoud, a récemment décrété que la conseillère juridique du gouvernement, Gali Baharav-Miara, est « la personne la plus dangereuse du pays« . Il a donc tenté d’en faire l’ennemi pubic numéro 1, la personne à abattre aux yeux de ce gouvernement, qui s’était déjà livré à une véritable séance de lynchage verbal contre elle, en sa présence, en juillet dernier. Le gouvernement est en effet extrêmement contrarié par la détermination de cette haute fonctionnaire qui, courageusement, se bat contre la corruption, la nomination d’incompétents à des postes-clé grâce à leur proximité avec tel out el ministre, la mise en coupe réglée du budget de l’Etat au profit de secteurs bien particuliers de la société, etc…
Dans ce dernier chapitre, la palme revient certainement au parti Shass, qui vient de faire adopter par le gouvernement un programme de « bons de nourriture », destiné aux familles les plus nécessiteuses, ce qui à première vue peut paraïtre extrêmement louable, même s’il ne serait pas inutile non plus de donner aux enfants des familles orthodoxes une instruction digne de ce nom, qui leut permettrait de prendre leur place sur le marché du travail et de vivre décemment et non de la charité publique (mais alors, et c’est là la base de tout, que deviendraient le parti orthodoxe séfarade et ses deux équivalents ashkénazes?). Intention louable donc, mais un examen plus approfondi de ce projet révèle que les critères d’attribution de cette aide publique ont été taillés sur mesure, quelle surprise, pour le public orthodoxe, soit les électeurs de ces partis. Ainsi, 12 000 survivants de la Shoah sont restés hors du programme, ainsi que des milliers d’enfants de familles monoparentales. Ils ne sont pas orthodoxes, ils peuvent donc avoir faim, ni le Shass, ni Netanyahou, qui considère à juste titre ce parti et son président, le repris de justice Arié Deri, comme ses meilleurs alliés, ni personne dans ce gouvernement n’a un regard pour eux. A la première occasion, ils parleront évidemment, avec tous les trémolos nécessaires dans la voix, de nos « devoirs sacrés » envers les survivants de la Shoah qui vivent dans la misère (honte nationale qui insulte le projet sioniste tout entier), et des enfants qui « sont l’avenir de notre pays ». Aujourd’hui, ils les ont simplement abandonnés. On touche au fond, mais faites-leur confiance, à une prochaine occasion, ils iront encore plus loin dans l’abjection.
Alors que chaque jour apporte son lot d’injures et de menaces envers tous ceux qui luttent pour maintenir vivante la démocratie israélienne, juges, médias et opposants en tête, de mesures qui puent le clientélisme et l’incompétence à des kilomètres, de dédain absolu pour les difficultés de la vie quotidienne des Israéliens et de véritables agressions contre le public laïque de ce pays, comme l’immobilisation du nouveau tramway de Tel-Aviv en fin de semaine, le pays s’enfonce dans la nuit.
Il y a déjà plus de victimes du terrorisme en cette fin août 2023 que dans toute l’année passée, celle du gouvernement Bennett-Lapid, 35 morts à l’heure actuelle contre 31 en 2022, comme le reconnaît le journal de droite Israël Hayom, mais au lieu d’assumer leur échec à assurer la sécurité publique par une réflexion quelconque sur la manière de ne plus « gérer le conflit », mais bien de lancer une réflexion innovante à son propos, des ministres attaquent l’Etat-major de Tsahal. D’autre part, l’incurie du ministre de la Sécurité nationale, le provocateur professionnel Ben Gvir, est aveuglante, alors que la criminalité dans la minorité arabe tourne au massacre, avec 159 morts depuis le début de l’année.
Emmené au désastre par un Premier ministre qui ne pense qu’à sauver sa situation judiciaire et sa carrière politique, le pays aborde ce mois de septembre 2023 dans une extrême tension. Il pourrait être le mois du dernier sursaut, avec un groupe de quelques députés du Likoud qui refuseraient de soutenir Netanyahou et ses complices en cas de refus d’obéir à d’éventuelles décisions défavorables pour eux de la Cour suprême, mais il peut aussi être celui de la victoire finale des forces antidémocratiques, cléricales et autoritaires qui forment l’actuelle coalition, celles-ci étant parfaitement capables de tenter de porter l’assaut définitif contre la démocratie après un ou des verdicts défavorables de l’autorité juridique suprême de ce pays.
Septembre 2023 est le mois de tous les dangers, et nul ne peut prévoir comment il se terminera. Je voudrais tellement pouvoir conclure sur une note optimiste, mais sincèrement, le cœur n’y est pas et croyez-moi, je n’ai jamais autant espéré me tromper.