Sept ans après… quels mousquetaires ?
Dans la période quelque peu perplexe que traverse la France, au seuil de nouvelles élections législatives et des Jeux Olympiques sur Seine, la dissolution interroge. En 2017, la stupeur envers le « personnage » Macron était tout aussi forte que quand il a été réélu dans un pays qui vit bien au-dessus de ses moyens, qui hésite entre inclusion-exclusion, tissé d’une population jeune venue de paysages très variés. Cela indique la richesse d’une France qui tangue, hésite, s’affronte de plus en plus violemment.
Il faut être franc : l’antisémitisme est redevenu un « dada à la laïcité française et collabo ». On est loin des problèmes de la Shoah. On est loin de l’indépendance régulièrement proclamée de la Palestine, de la survie de l’État hébreu d’Israël. Que devient l’Ukraine, son drame, ses réfugiés ? Une chose est claire : la France verse dans un nouveau sabir post-holocauste en vogue dans l’univers de Monsieur Poutine : les fascistes, les nazis apparaissent dans les déclarations politiques des uns et des autres.
La France est locale, centrée sur elle-même. Elle est très vaste, pratiquement sur tous les continents ultra-marins. Mais elle a mal à l’être, à l’âme et rechigne au coup de sang que tous prévoyaient depuis plus de trente ans. La France a perdu les valeurs essentielles qui la constituent et reposent sur la foi. Lorsque Dieu s’estompe de ce pays, on tombe dans ce qui apparaît partout : une apostasie morale et spirituelle, une résurgence grave de l’idolâtrie. La France voit s’estomper la foi qui propulse, donne une vigueur venue d’ailleurs tout comme le Parti communiste s’est effacé après des heures valeureuses auprès des prolétaires. Entre trahison, irrationalité, besoin de sens et repriorisation d’élan positif de développement.
Voici ce que j’écrivais en octobre 2016 :
Le journal Haaretz a décrit ce qui se passe en France sous le vocable d’“Absurd/אבסורד”, le mot vient naturellement du français “absurde” et désigne une situation d’absurdité, bien plus que de “totale incohérence” et peut provenir, en hébreu à la fois de l’anglais et du russe “absurd/абсурд”.
L’extrême-droite française appartient au paysage de l’Hexagone, c’est dire qu’elle y est naturelle. Elle exprime une réalité morale, humaine, sociétale, économique qui colle à certains terroirs. Il est pragmatique de le reconnaître. Encore faut-il que le mouvement soit contrebalancé par des groupes politiques, sociologiques, spirituels permettant une mise en perspective plus équilibrée de l’humus national qui fut si long à bâtir. Il a fallu des siècles pour confirmer des frontières cohérentes… ou imposées.
Voici ce que déclarait le cardinal Jean-Marie Lustiger à propos de la vie politique au moment des élections : « Je souhaite que la politique et les politiciens trouvent une plus grande estime dans l’opinion. C’est une grave et dangereuse faiblesse pour une société de tenir en discrédit la politique qui ne peut plus alors remplir son rôle, indispensable à la bonne marche de la société »[1].
En France, l’antisémitisme est une marotte interne, les dérapages envers des personnalités ou des situations liées à Israël sont multiples. Le Front National appartient au paysage politique français d’après 1968. Dans ces temps de virus tenaces, il s’est mué en Rassemblement National. Il s’apparente à des mouvements d’extrême-droite qui s’affirment actuellement en Europe occidentale et dans les anciens pays communistes (Hongrie, Roumanie, Pologne) sur la base de références pseudo-chrétiennes communes.
Dès sa nomination à Paris, le cardinal Lustiger a considéré comme étant l’un de ses devoirs spirituels fondamentaux de rappeler que nul n’a le droit d’utiliser ou de dénaturer un christianisme, viscéralement inscrit dans le respect de Dieu, et de tout être humain. Il faut le citer, car son intuition reste sans précédent, et ses propos sont à peine repris dans le climat actuel, alors qu’il avait clairement décrit l’évolution prise dès 1972 par le Front National.
Les interventions médiatiques du cardinal Lustiger manquent sérieusement, en ce moment, au sein de la société française. Ses partisans ont su l’écouter, parfois le suivre, dans un « autrefois » qui est devenu eo tempore. Les groupies survivant(e)s et quelques disciples semblent aujourd’hui tétanisés. Ils se taisent le plus souvent, alors qu’il est temps de réagir avec force dans le contexte présent. Il est naturel que ses propos soient même plutôt dépassés : il s’adressait à un momentum de l’histoire européenne et chrétienne en mutation. Le temps est court et trente ans passent vite. Pourtant, imperceptiblement les sources se développent, plus ou moins paisiblement, de manière persistante.
La faillite des partis, des parrains historiques, les trahisons décadentes, n’ont pas entamé la volonté d’Emmanuel Macron de renouveler, dès le début de sa présidence, un personnel exécutif et chargé de servir l’État, de le rajeunir. La tâche est lourde, elle semble insensée.
Le Front National, revampé en Rassemblement National n’a pas vocation à diriger la France, même lorsque ses scores sont importants. Vaillants à l’attaque, le courage consiste plutôt à se réveiller, à l’annonce des résultats, sans le vrai désir de gouverner. Il suffit d’écouter les propos de ses membres pour comprendre l’insanité de leurs argumentations tissées de bric et de broc, de théories informes, le plus souvent opportunistes. Sa seule fonction serait, à l’évidence, de servir d’exutoire à une société profondément déstabilisée. Il reste que l’extrémisme populiste monte partout dans le monde, plus particulièrement en Europe.
Il ne faut pas se faire d’illusions : De Gaulle, la résistance, les gaullistes historiques, les compagnons de la Libération appartiennent au passé, comme les nostalgiques du Maréchal Pétain, maillés à des catholiques traditionnels, ou encore l’OAS. C’est aussi vrai de Mai 1968.
Marine Le Pen est plus dangereuse que son père. Elle reporte ces haines d’exclusion sous les oripeaux d’un isolationnisme culturel et prétendument chrétien sur le monde musulman. Comprend-elle vraiment ce qu’est l’Islam, après un simulacre de visite aux autorités libanaises ?
En revanche , Marion Maréchal (Le Pen) s’affirme catholique pratiquante (Fraternités lefebvristes). Elle rencontre des évêques catholiques soucieux de « ne pas exclure un parti avec lequel il faut pouvoir dialoguer ». En 2024, on dialogue peu : on s’écoute, à l’écoute de soi, on se trahit, on dénonce ses amis ou camarades, on s’insurge et le front devient populaire dans une gauche qui se trémousse dans des danses séductrices ou excluantes. Un copié-collé de « la lucha final » sud-américaine.
Je reviens au cardinal Lustiger qui avait des intuitions fortes dont celles qui touchent au sens profond de la foi : savoir résister à tout prix au paganisme. Surtout lorsque celui-ci se travestit en une honnêteté trompeuse. Il était persuadé – comme par un désespoir indéracinable de sa propre souffrance – que dans la crise de la foi que traverse l’Europe, les relents d’un paganisme xénophobe, antisémite referait surface d’une manière encore plus dangereuse que dans les années 1935-40.
Le paganisme est la forme d’un retournement insidieux, rampant, qui contourne les obstacles et s’empare subrepticement des esprits quand le discernement vient à manquer. Il s’agit d’une forme grave d’idolâtrie, d’autant qu’il s’attaque à ce qui prend l’apparence d’une foi authentique et sereine. On redécouvre , à cette occasion, les paisibles baronnies de fidèles qui se sont cooptés et dissertent à vau-l’eau sur le déclin du christianisme alors qu’ils ont pour tâche de le revigorer. La crise a pourtant atteint une ampleur dangereuse mais nullement désespérée.
A l’Est, ce paganisme s’exprime avec haine, irrationalité et manque d’humanité dans la guerre ignoble entre des frères slaves de la Fédération de Russie et les Ukrainiens, nés dans la foi chrétienne de la Rus’ de Kiev. Une jalousie féroce et assassine, qui va jusqu’à nier l’existence d’une nation composite d’Ukraine et sa langue si riche et expressive. En trente ans, on est passé de la « правда-pravda\vérité » marxiste systémisée à la « истина-istina\vérité » plus évangélique, toutes deux prenant le reflet d’un mensonge puissant et tenace.
Tout cela est très bien, oui, cela existe. Mais de quoi parle-t-on dans ces jours qui mènent aux élections législatives ? Non pas de programme, non pas de véritables projets de redressement du pays. Non, il faut parler de qui sera, ne sera pas, pourrait devenir « Premier ministre » ! C’est du Monsieur Jourdain qui hésite entre prose ou poésie… ou de la confusion mentale. Et si Monsieur Jourdain n’avait jamais vu de Juif ; en ce moment, les hexagonaux sont obsédés par un antisémitisme grave, vulgaire qui s’affiche entre « Me Too » et une irrationalité méchante.
Le cardinal Lustiger vivait cela au nom d’une peur atavique, a priori irrationnelle. Elle semble s’étioler en ce moment, à des niveaux divers, par le déséquilibre qui se fait sentir en France, se précise, sur des bases identiques, invariables qui utilisent d’autres techniques et manipulations culturelles. La mémoire devient un produit médiatique délayé dans une confusion sociétale grandissante.
Au lendemain de la mort du cardinal, Jean-Marie Le Pen fit cette déclaration : « Le cardinal Lustiger osait qualifier le Front National de ‘résurgence du paganisme le plus cynique et le plus dangereux’ […] Au lendemain du 21 avril 2002[1], il m’accusait encore de ‘détourner les convictions religieuses au service de la polémique électorale’, ce qui n’était le cas en aucune manière » (L’Obs, 6 août 2007).
« Arrière, Satan ! » (Marc 8:33), s’écria le prêtre Jacques Hamel, égorgé près de Rouen comme tant de martyrs et confesseurs de la foi au Proche-Orient. Il avait vu le visage de cette idolâtrie qui peut couvrir tous les groupes religieux ou prétendus tels.
Nous sommes dans le temps de la résistance. Nous sommes dans le temps de la résistance contre l’idolâtrie.
Comment se fait-il qu’aucun représentant chrétien de France n’agisse parallèlement aux actions fortes menées par le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne, en faveur de l’accueil des marées de migrants et réfugiés et ses appels répétés pour que l’Autriche ne bascule pas dans l’extrémisme de droite ?
By Jove ! Emmanuel Macron aurait-il une histoire atypique ? Un parcours d’électron libre ? La liberté de l’écrivain amoureux de théâtre, féru de philosophie, puis du besoin de servir l’État sans grande expérience. Un homme libre qui, à l’école des Jésuites, a choisi son épouse au-delà des convenances… mais y a-t-il aujourd’hui une « Règle du jeu » ?
Le pays, qui affiche un rechignement tenace à s’élancer dans le pari de la mise à jour de ses structures, de ses institutions, administrations, bref de ses aspects courtelinesques trop figés, a élu et réélu un chef d’État qui correspond indéniablement à l’âge moyen de la population française actuelle et à des systèmes de pensée, d’éducation à la française.
Dans la précipitation électorale actuelle, on se rappellera le mot de Laurent Fabius parlant, en 2017, de « chamboule-tout ». Les bouleversements en avalanches gênent, intriguent. En réponse, l’œil volontiers goguenard du peuple s’égrille avec gourmandise aux péripéties des profiteurs longue durée des législatures passées.
Il restera encore un monde à recycler dans le sillage de ce chamboulement en marche. Ce sera plus difficile… encore que ! Les médias se sont appropriés une prétention de compétences omniscientes dans le domaine de l’analyse des évolutions politiques.
Emmanuel Macron a rappelé que le pouvoir est solitaire et hiératique.
La France vit et dilapide ses acquis en s’accrochant à ses cagnottes. Elle peine à s’ouvrir sur une anticipation de faits inéluctables.
On est parti pour des années, sinon plus, d’analyses en tous genres. C’est d’autant plus pertinent que le président français s’inscrit sur la durée, agit par des intuitions, peut-être inclassables, ancrés dans une histoire, une mémoire, qui projette vers l’avenir. Ceci ne s’explique pas sur-le-champ et dans l’instantané. C’est beaucoup plus subtil et insaisissable.
En 2017, on évoquait un candidat christique, mystique, happé par la transcendance.
On reconnaît ici le parcours innovant, parfois inédit, atypique d’Emmanuel Macron. Serait-il dans une logique d’illuminé, lui qui fut baptisé catholique lors de son entrée au collège de la Société de Jésus ? En son temps, Ignace de Loyola, par son zèle d’apôtre et de prédicateur, fut soupçonné d’être un alumbrado, un fol-en-Christ à la ferveur hispanique.
On entre dans un temps de redécouverte de la verticalité alors que l’autorité bat de l’aile. L’autorité saine, positive fait partout défaut. C’est la religion, ou plutôt la foi (chrétienne dans le cas) qui doit transformer l’homme et non pas l’homme qui doit transformer la religion (A. Guillermou).
En ces premières décennies du 21ème siècle, le drame de l’hédonisme horizontal, la sécularisation, la ritualisation forcenée du christianisme comme de l’athéisme ou la vogue épicurienne en Europe s’affirment avec violence sinon dédain, voire une déshumanisation systématique.
Dans ces semaines courtes vers des choix historiques pour la France, il faut garder raison. La France a des forces de rebond qui existent difficilement dans les autres pays d’Europe. L’Assemblée nationale française n’a pas de lien direct avec la reconnaissance (répétitive et pour l’heure irréaliste) de la Palestine. Elle hésite entre la vraie compassion et/ou l’indifférence envers les victimes israéliennes (et autres) du 7 octobre (22 Tishri), avec une équanimité plutôt neutre envers les conflits terribles du Proche-Orient (Gaza, Israël, Territoires palestiniens, Liban, Syrie, Irak, Plaines de Ninive).
Il reste des intuitions fortes, comme celle que je tiens à rappeler, du cardinal Lustiger. Je ne le fais pas par plaisir. Je le fais par devoir de témoignage, car il a passé sa vie à craindre comme le diable, et prédire, la montée de ce qu’une certaine extrême-droite hexagonale exprime, imprime dans la société de France. Ce sujet qui, pendant les heures de nos discussions, aurait pu paraître déraisonnable, fait irruption actuellement, avec violence, dans la logorrhée électorale française. Et, bien que cela n’avait apparemment pas de lien avec sa mission ecclésiale, il a su clore le bec au djinn politique du « détail ».
Les mises en garde du prélat francilien ne sont guère prises en compte en ce moment. Il est passé. En revanche, ses craintes s’affichent jusqu’à l’indécence, l’extravagance de propos, d’obscénités antisémites, dans le pays qui a annoncé les Droits de l’Homme, et porte le titre, s’il en est un, de « Fille aînée de l’Eglise ».
[1] « Dieu merci, les droits de l’homme », p. 66, Criterion 1990.
[2] Premier tour de la présidentielle.