Daniela Levy
Formatrice & Consultante, spécialisée sur les enjeux liés à l'égalité entre les femmes et les hommes

Sarah Halimi, tuée parce que juive et femme

Un modèle de cartes postales envoyées à Emmanuel Macron réclamant justice pour Sarah Halimi. (Crédit : Consistoire israélite du Haut-Rhin)
Un modèle de cartes postales envoyées à Emmanuel Macron réclamant justice pour Sarah Halimi. (Crédit : Consistoire israélite du Haut-Rhin)

Article écrit le 25 avril 2021, dans le cadre des manifestations nationales. 

Sarah Halimi était juive et elle était une femme. Le tueur a choisi sa victime pour ces deux raisons. Juive et femme, le crime est antisémite et sexiste. Ce crime témoigne de la manière dont les systèmes d’oppression s’imbriquent.

L’antisémitisme, le racisme et le sexisme se cumulent et du fait de cette imbrication de trop nombreuses femmes subissent des discriminations spécifiques et des passages à l’acte violents. Nous avons besoin de pouvoir identifier les enjeux et comprendre ces imbrications pour envisager des solutions.

Analyser la situation d’un point de vue féministe revient aussi à dire que le tueur ne s’est pas attaqué à Sarah Halimi, parce qu’elle était faible et sans défense. Les femmes ne sont pas plus faibles et sans défense que ne le sont les juifs et les juives. Une analyse féministe de la situation implique de remettre les choses à l’endroit et de dire que le tueur s’est attaqué à Sarah Halimi, parce qu’il se sentait en position de force, en position dominante. Il se sentait légitime à passer à l’acte. La véritable question consiste à se demander pourquoi en 2021 tant de personnes se sentent encore en position de force par rapport aux juifs et aux juives et par rapport aux femmes. L’égalité acquise en droit n’est toujours pas éprouvée dans les faits.

Ces rapports de force sont construits, ils sont appris et ils se nourrissent de tant d’exemples. Au-delà des idées reçues sexistes et antisémites qui sont véhiculées quotidiennement dans leur forme prétendument bienveillante ou clairement hostile, nous les femmes avons aussi des difficultés à nous faire entendre par la police et la justice.

L’affaire de Sarah Halimi nous rappelle tant d’agressions et d’assassinats restés impunies. Les victimes de féminicides avaient pour la plupart déposé plusieurs plaintes. Mais elles n’ont pas été prises au sérieux, elles le sont trop rarement et cela conduit trop souvent à leur mort.

Il existe un manque de formation considérable du côté de la police et de la gendarmerie. Nous critiquons aussi la place accordée aux experts par la justice. Le tueur de Sarah Halimi a été reconnu irresponsable par certains experts et dans le même temps on nous dit que reconnaître l’irresponsabilité d’une personne est une avancée juridique. Mais qui déclare une personne irresponsable ? Est-on d’accord pour accorder un tel pouvoir aux experts ? Est-on d’accord de reconnaître des experts qui s’appuient sur des théories contestées qui datent souvent des années 1900/1930, pour juger des affaires en 2021 ?

Un des experts, dont on parle beaucoup dans le cadre de l’affaire Sarah Halimi est un expert que nous connaissons bien sur les sujets liés aux violences faites aux femmes. Il a contribué à faire acquitter nombre de violeurs, en émettant des avis à charge contre les victimes et à décharge contre les accusés. Quand cela se répète si souvent, ne faudrait-il pas enfin initier les changements qui s’imposent ?

Les personnes qui passent à l’acte dans les affaires d’antisémitisme comme dans les affaires de violences sexistes ne sont pas des fous. Les considérer comme fous revient à dépolitiser le sujet et à transformer les faits sociaux massifs en des affaires individuelles, locales et personnelles. Finalement, cela revient à les considérer les faits comme de banals faits divers… Ces violences ne sont pas des faits divers.

Ne pas prendre la mesure des faits contribue à renvoyer les victimes au repli dans leur groupe. L’antisémitisme ne devrait pas être le problème des juifs et des juives, comme les violences misogynes ne devraient pas être le problème des femmes. Les agresseurs, les violeurs et les tueurs devraient être clairement désignés.

Toutes les personnes en responsabilité devraient prendre leur part et se mobiliser pour que nous n’ayons plus à militer ou à manifester, pour que nous n’ayons plus à voir nos droits bafoués et pour que nous n’ayons plus à assurer nous-mêmes notre protection. Il est temps que l’ensemble de la société reconnaisse les violences que nous subissons en tant que juifs et juives et en tant que femmes.

à propos de l'auteur
Diplômée en sciences sociales et en sciences politiques, Daniela Levy s’est spécialisée sur les enjeux liés aux droits des femmes grâce à ses fonctions de coordinatrice d’actions humanitaires, en Inde et en RDCongo, puis de coordinatrice de projets sociaux en France. Elle intervient comme formatrice égalité femmes-hommes pour les professionnel·le·s d’associations, pour les collectivités territoriales et pour les travailleur·se·s sociaux en formation initiale et continue. Daniela Levy est également sollicitée pour des conférences et des actions de sensibilisation.
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