Samedi 07 Octobre, 581ème jour d’après : 10 mai 2025

Victor Hugo, 1884. (Domaine public)
Victor Hugo, 1884. (Domaine public)

Les « exterminants » et les « moraleux »

Le 19 juin 1882, Victor Hugo a 80 ans. Il fait paraître dans plusieurs journaux un manifeste[1] en faveur des Juifs persécutés en Russie sous le tsar Alexandre III. L’heure est décisive. Ce qui se dresse en ce moment, ce n’est plus du crime, c’est de la monstruosité. Un rideau se déchire, on entend une voix dire :

Humanité ! regarde et vois.

D’un côté, l’homme avance, d’un pas lent et sûr, vers l’horizon de plus en plus lumineux ; l’homme tient l’enfant par la main, la tête pleine d’espérance ; l’homme marche, la tête pleine de clarté ; le travail fait sa grande œuvre ; l’homme le mêle aux choses de la terre, liberté, égalité, fraternité, les frontières s’effacent ; chaque battement du cœur humain signifie progrès.

De l’autre côté, l’homme recule ; l’horizon est de plus en plus noir ; les multitudes vont et tâtent dans l’ombre ; les erreurs s’entre-dévorent, le christianisme martyrise le judaïsme ; trente villes sont en proie au pillage et à l’extermination ; ce qui se passe en Russie fait horreur : un crime immense se commet, ces populations exterminantes n’ont même plus la conscience du crime ; leurs cultes les ont abaissées dans la bestialité ; elles ont l’épouvantable innocence des tigres ; les vieux siècles, l’un avec les Albigeois, l’autre avec l’Inquisition, l’autre avec le Saint-Office, l’autre avec la Saint -Barthélemy, l’autre avec les Dragonnades, l’autre avec l’Autriche de Marie-Thérèse, se ruent sur le dix -neuvième et tâchent de l’étouffer ; la castration de l’homme, le viol de la femme, la mise en cendres de l’enfant, c’est l’avenir supprimé ; le passé ne veut pas cesser d’être ; il tient l’humanité ; le fil de la vie est entre ses doigts de spectre.

D’un côté le peuple, de l’autre la foule. D’un côté la lumière, de l’autre les ténèbres. Choisis.[2]

À l’heure où des bonnes âmes françaises auréolées de leur statut religieux, d’écrivains, de « journaleuses » nous gratifient de leur morale à deux balles, ce texte de l’ « homme océan » résonne tragiquement dans une continuité historique sans fin.

Aujourd’hui, être juif n’est pas une posture, une attitude de pensée. Aujourd’hui nous sommes un peuple, une nation qui se tient debout, qui pense comme depuis toujours mais qui résiste, qui combat pour pouvoir toujours exister et penser.

Le propos n’est pas de réagir à tel propos immonde de tel ministre mais d’être solidaire d’Israël qui souffre dans sa chair par ses enfants qui meurent pour que ces donneurs de leçons puissent un jour trouver refuge ici, au cas où leur soi-disant lucidité ne les protégeait plus de la bête immonde qui déferle sur le monde.

Ne rêvez pas, quoique vous disiez, vous serez toujours les Juifs de l’autre.

Laissez-nous, ici en Israël, votez pour nos gouvernants. Nous sommes assez grands pour décider, et si vous souhaitez participer à ce choix, venez nous rejoindre ; même vous, vous avez droit à la loi du retour.

Vous paierez alors le prix à payer, celui que nous payons tous les jours, celui des pleurs.

Nous étions en route vers Jérusalem, notre téléphone a vibré pour nous indiquer qu’un missile avait été tiré et qu’il fallait se rapprocher d’un abri. Nous avons arrêté la voiture et nous nous sommes dirigés vers un immeuble, nous nous sommes abrités dans l’escalier. En face de nous, un papa tel-avivien serrait dans ses bras sa petite fille de trois, quatre ans. Il lui parlait, la rassurait, la serrait fort et la petite répétait : יש אזעקה (il y a une alarme), elle ne pleurait pas, elle ne semblait pas avoir peur. Elle intégrait dans sa mémoire tout ce que c’est qu’être israélien.

Les bonnes âmes rétorqueront que, aussi à Gaza, il y a des enfants qui souffrent et qui meurent. Certes, et un enfant est un enfant où qu’il soit.

  • En Israël il y a des abris pour les protéger ; pas à Gaza, où ils sont pour les terroristes, pas pour les enfants.
  • En Israël on n’apprend pas aux enfants à haïr l’autre ; à Gaza on l’endoctrine et lui apprend à haïr le Juif.

Les bonnes âmes parlent de réconciliation, de deux États sur une même terre. De qui se moque-t-on ?

Vous demandez à Israël de se réconcilier avec celui qui veut sa mort ? Ici, nous ne nous réconcilions pas avec la mort, nous nous réconcilions avec la vie.

Deux États dites-vous ? Qui veut deux États ? Vous, du haut de votre France qui a abandonné les Juifs, du haut de votre France qui prêche, qui parle et qui s’enfonce dans le déclin de toutes ses valeurs. Vous, oui, mais pas ceux d’en face qui ne rêvent que d’un seul État, et judenrein! surtout.

Ces ‘populations exterminantes’ n’ont même plus la conscience du crime, leurs cultes les ont abaissées […] dans la bestialité […] le passé ne veut pas cesser d’être ; il tient l’humanité.[3]

Nous ne voulons pas faire partie de cette humanité qui ne cesse d’être sur notre dos ; si vous ne voulez pas choisir votre camp, vous-mêmes sombrerez sous les coups de ces ‘populations exterminantes’, bestiales.

Gardez votre morale. Ici nous nous battons, et malgré vous, nous nous battons aussi pour vous.

Article publié le 10/05/25 sur le site de Patrick Abel.

[1] Ce manifeste est L’appel du 19 juin, de Victor Hugo. Il est présent dans les Œuvres complètes, Actes et Paroles, t. III, Depuis l’exil (1870-1885). Mes fils, Paris, Albin Michel, 1940, pp. 492-493.

[2] Victor Hugo, L’appel du 19 juin.

[3] Ibid.

à propos de l'auteur
Je suis né à Paris en 1952, après avoir fait une carrière de commercial dans l’ameublement je suis devenu Psychanalyste, formé à l’AERPA (académie d’enseignement et de recherche en psychanalyse active). La psychanalyse Active s’inspire de la pratique et théorie freudienne, complétée par les apports spécifiques de Ferenczi pour la partie émotionnelle et phylogénétique, et l’extension dans les domaine étudiés par Carl-Gustav Jung, notamment l’inconscient collectif et l’étude du matériel onirique. De part mon histoire et celle de ma famille je suis sensibilisé par les situations personnelles des générations post Shoah. J’ai écrit à ce sujet un livre (En quête de nom, enquête trans-générationnelle). J’ai fait mon alyah en 2022 et depuis exerce à Tel Aviv. Très sensible à l'histoire, j'ai donné plusieurs conférences sur des sujets autres que mon domaine de prédilection. Depuis le 07 octobre j’écris sur mon blog les ressentis d’un Olé Hadash pris dans les évènements d'Israël.
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