Sahara : l’accord Maroc-Israël suscitera-t-il l’opportunisme du Canada ?

Après les difficultés dues à la Covid-19, notamment le dysfonctionnement des chaines d’approvisionnements, la guerre russe en Ukraine a jeté un froid dans les relations commerciales mondiales. Si des secteurs, malgré leur immense impact économique, sont importants pour notre économie, certains sont plus vitaux que d’autres.
Dans son ensemble, le secteur agricole est considéré comme le nerf vif de notre nation, et faisant partie de notre sécurité nationale, il se doit d’être la priorité de tout gouvernement. L’augmentation du prix des denrées alimentaires a une incidence directe sur la cohésion sociale du pays à travers le pouvoir d’achat des Canadiennes et Canadiens, notamment sur le portefeuille des moins nantis et la classe moyenne.
L’agriculture moderne repose entièrement sur les engrais pour favoriser la croissance des productions. La guerre russe en Ukraine amène justement ce dossier sur la sellette de la politique intérieure canadienne puisque les producteurs agricoles subissent les contrecoups du tarif douanier imposé aux engrais russes. La forte pression sur les prix, au niveau international, dénude notre partielle dépendance vis-à-vis de l’azote et des phosphore russes. Cette vulnérabilité se doit d’être corrigée rapidement, ce qui nous pousse à une réflexion stratégique de nos relations internationales.
Dans un contexte mondial tendu, les parties prenantes internationales réinterprètent leur stratégie commerciale et les gouvernements reconsidèrent leurs alliances sous le prisme de la sécurité alimentaire. Dans ce contexte, comment le Canada devrait agir ? Et quel pays possède la clé de l’agriculture et la sécurité alimentaire de future ?
Les États-Unis et Israël ont déjà saisi la réponse et l’opportunité.
Le Maroc, ayant une relation amicale avec le Canada et le Québec, pourraient se présenter comme une solution vitale pour le gouvernement fédéral dans différents secteurs clés. Le royaume marocain est un choix tout à fait naturel pour approvisionner nos provinces des différents types de phosphate et permettre à nos entreprises de profiter de l’ouverture du marché marocain. Le choix du Maroc se fonde sur ses capacités à assurer un approvisionnement régulier, sa stabilité commerciale et politique envers ses partenaires, ses instances portuaires et son expérience dans le domaine grâce à l’office chérifien du phosphate.
Le Maroc s’apprête à augmenter sa capacité de production d’engrais de plus de 50 %, pour répondre à la demande mondiale, après que la Chine, premier producteur mondial d’engrais, a limité ses exportations pour répondre à ses besoins domestiques. Le royaume, à lui seul, retient, dans son sous-sol, environ 70 % des réserves mondiales du phosphate (Rosemarin, 2016). Le Maroc est actuellement la source de 41 % des engrais qui parviennent à l’Europe, 50 % des engrais destinés à l’Inde et 40 % d’engrais utilisés au Brésil (Mason, 2022).
Il est donc primordial que le Canada occupe la place qui lui est due dans l’agenda de la politique marocaine international. En 2021, le royaume chérifien a importé pour 439 millions de dollars US du Canada et a exporté un total avoisinant 289 millions de dollars US. Des montants dérisoires et limités à certains secteurs agricoles.
Dans ce contexte, plusieurs pays scellent des alliances avec le royaume, profitant ainsi de la nouvelle doctrine réaliste de sa diplomatie sous la direction de sa majesté Mohamed VI.
La reconnaissance par Israël de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental n’a pas été une surprise, car il existait de nombreux indices et présomptions positives concernant leur intention. Ainsi, l’État d’Israël se fixe à deux facteurs : la position stratégique militaire du Maroc et la sécurité alimentaire liée au phosphate. De là, soutenir l’intégrité territoriale marocain équivaut à promouvoir la paix sociale régionale.
La reconnaissance par Tel Aviv de la souveraineté du Maroc sur le Sahara suit les traces de l’accord tripartite Washington, sous l’égide de l’ancien président américain Donald Trump, annoncé le 10 décembre 2020.
Le Canada a une chance inestimable de faire avancer son agenda international en Afrique en emboîtant le pas à ses deux grands alliés, profitant ainsi du réseau diplomatique africain du Maroc et de ses relations avec les pays du GCC, très actif au continent africain et que le Canada courtise éperdument. Et, surtout, bénéficier de ce momentum pour négocier un accord de libre-échange à son avantage, sans négliger les synergies possibles entre nos compagnies de Potash et l’Office chérifien du phosphate.
Mélanie Joly et Justin Trudeau oseront-ils ce coup diplomatique ?