Ruth : intégrer l’étranger pour être universel
עַמֵּךְ עַמִּי וֵאלֹהַיִךְ אֱלֹהָי
« Ton peuple est mon peuple, et ton Dieu mon Dieu » (Ruth 1,16)
A l’époque où les Juges régnaient sur Israël, le Peuple n’observait plus correctement la Torah. La conséquence est une grande famine dans tout le pays. Elimélekh essaie d’échapper à cette misère en quittant la terre d’Israël. Il se rend à Moav avec sa femme Naomi et ses deux fils qui épousent Ruth et Orpa. Ruth, princesse moavite, n’a aucun regret à la pensée d’abandonner une vie de luxe au palais, ses titres royaux, ainsi que la richesse et l’honneur.
En réalité, elle reconnaît les qualités de sa nouvelle famille juive et s’y est attachée. Il ne faut pas oublier que Moav, l’ancêtre des Moavites, provient de la relation incestueuse entre Loth et sa fille aînée. C’est l’identité la plus éloignée de la sainteté d’Israël, parce qu’elle était à l’origine la plus proche (Loth était le neveu d’Avraham), mais qui a échoué. Moav a l’aspect d’une identité défigurée, impure : les plus proches qui finalement deviennent les plus éloignés.
Quelques temps après, Elimélekh et ses deux fils meurent. Devenues veuves, les trois femmes décident de remonter en Israël. En chemin Orpa change d’avis et retourne en arrière alors que Ruth s’attache à Naomi et lui demande d’aller avec elle. Le verbe en hébreu utilisé ici est rare, c’est le verbe « davaq » qui signifie un attachement, une fidélité et un amour extrêmement forts : « rester collé ».
Dans l’Antiquité païenne, changer de clan signifiait changer de dieu. En retournant en arrière, Orpa est retournée vers son peuple et vers son dieu. Ruth la moavite, elle, décide d’entrer dans le peuple d’Israël. En refusant d’accompagner sa sœur, elle fait une véritable proclamation de foi et d’amour : « Ton peuple est mon peuple, et ton Dieu mon Dieu » (Ruth 1,16).
A la différence de la Princesse Timna qui adhérait au Dieu d’Israël mais refusait de faire partie de Son peuple, Ruth, elle, adhère non seulement au Dieu UN, mais aussi à la terre d’Israël (« là où tu mourras je mourrai et c’est là que je serai enterrée »), à la Torah et au Peuple. C’est pour cela que sa déclaration a été acceptée et reconnue. La gématria du nom Ruth est 606. Si on y ajoute les 7 Lois de Noah, on obtient 613, le nombre de mitsvot (la totalité) auxquelles Ruth s’attache.
Ruth assume tout par avance. Elle suit sa belle-mère dans des conditions très difficiles sans poser de questions alors qu’elle aurait toutes les raisons de ne pas la suivre ; elle sait qu’elle va tout perdre : elle deviendra une pauvre qui glanera les champs. De plus, Ruth étant, selon la Tradition orale, la fille du roi de Moav, elle porte en elle toute l’identité du peuple moavite. Par son retour, elle entraîne à sa suite toute la nation moavite.
Dans l’obscurité de ce peuple se cachent des étincelles de lumière qu’il faut récupérer. Ainsi, Ruth est le modèle fondamental de toutes les âmes perdues, elle est le modèle de la femme étrangère qui se lave de son idolâtrie en adhérant au judaïsme. Et c’est elle qui va devenir la mère de la lignée messianique parce que le premier rôle du Machiah est justement de ramener toutes les étincelles perdues. Il révèle que partout dans le monde se cachent des étincelles de lumière, et en les récupérant, c’est l’humanité toute entière qui est récupérée, c’est l’obscurité qui se transforme en lumière.
Ruth est une Moavite ; et pourtant, malgré les lois interdisant la conversion des Moavites, elle est admise dans la communauté d’Israël : « L’Ammonite et le Moavite ne seront pas admis à l’assemblée d’HaChem ; même leurs descendants à la dixième génération ne seront pas admis à l’assemblée d’HaChem, et cela à jamais » (Dt 23,4). Finalement Ruth, par son mérite, a forcé la porte et on a modifié la Loi pour elle.
Mais il y a plus que cela. Un proche parent de Naomi a le droit de racheter la terre de son mari défunt pour que ses biens ne soient pas perdus, et d’épouser Ruth pour donner une descendance à Elimelekh et perpétuer son nom. Le parent le plus proche (dont le nom n’est pas cité) voudrait bien la terre, mais refuse d’épouser Ruth sous prétexte qu’elle est une étrangère. Celui qui est le goel officiel (le racheteur), en voulant sauver son nom et sa lignée, perd son nom et restera anonyme pour toujours.
Par contre Boaz, autre parent proche, pourrait être le goel. Il faut que la rencontre se fasse, mais Boaz ne prendra pas l’initiative de la rencontre. Naomi invite alors sa belle-fille Ruth à prendre l’initiative, ce qu’elle fera d’une manière discrète et pudique, et alors le Messie pourra naître : par ce mariage elle donne naissance à Oved le grand-père de celui qui porte la messianité et fonde la royauté, David. De Timna est sorti Amaleq, mais de Ruth est sorti le roi David.
Ruth la Moavite, l’étrangère, devient capable de construire le peuple juif au point d’être identifiée à Rahel et Léa ! « Que le Seigneur rende la femme qui va entrer dans ta maison semblable à Rahel et Léa qui, à elles deux, ont édifié la maison d’Israël » (…) « Et qu’ainsi ta maison soit semblable à celle de Peretz que Tamar enfanta à Yehouda » (Ruth 4,11-12).
Les filles de Loth voulaient sauver l’humanité. Mais leur initiative d’engendrement messianique s’est faite dans l’impureté de l’inceste. Par contre, l’initiative prise par Tamar était du côté de la sainteté. Et cette initiative est la même que celle prise par Ruth avec Boaz. Avec le retour de Ruth, c’est la lignée de Loth qui est sauvée. David est l’ancêtre du messie parce qu’il procède de cette alliance entre Israël et l’identité la plus éloignée d’Israël (Moav) mais qui à l’origine était la plus proche par Loth.
Ce n’est pas de n’importe quelle convertie que peut naître le Messie mais de Ruth seulement. Ruth est un cas particulier, car elle représente l’éloignement le plus grand qui, lorsqu’il revient en Israël, a une portée universelle messianique. Pour que l’identité messianique naisse, il faut qu’elle récapitule l’humanité toute entière. C’est pour cela que l’histoire de Ruth est liée à la fête de Shavouot et au don de la Torah. Le texte écrit n’en parle pas, mais le Zohar dit que « le rouleau de Ruth fait allusion à la Torah écrite, à la Torah orale et au monde à venir ».
Pour ne pas perdre son héritage (sa Torah), Israël doit accepter de faire entrer dans sa Communauté une femme étrangère et en même temps très proche parente. C’est en épousant la Moavite qu’Israël pourra devenir le Goel (Sauveur) de l’humanité. « Deviens puissant en Ephrata » (Ruth 4,11). Boaz-Israël a le pouvoir de nourrir Ruth-l’épouse du Messie, de lui donner la nourriture de la Parole. Naomi parle de Boaz comme d’un homme, ish, c’est-à-dire comme de celui qui est le véritable époux qui puise sa force dans la puissance du feu de son épouse isha.
Le premier goel pressenti qui avait craint l’union illicite et le mélange qui aurait pu altérer sa descendance, n’a finalement pas laissé d’autre nom dans l’Histoire que celui de « peloni almoni » (« un tel » ou « le quidam ») (Ruth 4,1). Le Zohar interprète ces mots comme « veuf et seul ». Israël doit donc son avenir et son salut à sa capacité d’intégrer l’étranger pour devenir ainsi universel.
Ruth et Naomi sont finalement si proches qu’elles sont indissociables. D’ailleurs le fils de Ruth est dit être celui de Naomi. Naomi, pleine d’amertume à son retour sur la terre et qui demande qu’on l’appelle Mara, représente Israël. C’est Israël révolté, décimé et épuisé au retour de l’exil. Il avait perdu sa force parmi les Nations, mais Il a aussi transmis, durant ces années d’exil, sa force aux Nations. Naomi (comme Sarah, âgée) peut-elle encore avoir un fils ? Elle nous montre que non seulement ce peuple a un avenir, mais qu’il est plein de vitalité. La pérennité d’Israël et son retour sur sa terre sont le plus éloquent témoignage de sa vocation éternelle.
Aujourd’hui, il semblerait qu’il y ait une urgence pour l’Église à reconnaître cette vocation d’Israël car nous sommes entrés dans les Temps messianiques. Ruth doit aller glaner (chercher un peu de nourriture = la Torah) sans attendre. Naomi affirme que Boaz va agir aujourd’hui même. On ne peut plus attendre. Elle semble ainsi encourager Ruth à ne pas attendre vainement comme Tamar qui avait attendu en vain que le fils de Yehouda grandisse.
Ruth suit les directives de Naomi. La nuit venue, elle mène une action à la fois pudique, sensuelle et audacieuse auprès de Boaz. Elle se lave, se parfume et met ses plus beaux habits puis se couche aux pieds de Boaz et attend qu’il réagisse, qu’il lui dise « Viens ! ». Alors elle lui demande sans détour d’étendre son manteau sur elle (autrement dit de l’épouser).
Or on sait que cette nuit-là, il ne s’est rien passé. Boaz lui a fait une promesse, et lui a en quelque sorte demandé d’attendre : « Dors jusqu’au matin ». C’est seulement le lendemain que le mariage de Boaz avec Ruth a lieu. Tout le chapitre 4, dans lequel Boaz rachète Ruth et la prend pour épouse, se situe « au matin ». C’est dire qu’il est repoussé à la fin des temps, aux Temps messianiques (aujourd’hui).
Aujourd’hui nous pouvons considérer que nous sommes entrés dans la période du Machiah ben David, dernière étape avant la Guéoula (Délivrance). En effet, la première période, celle du Machiah ben Yossef représente la reconstruction du « corps » de la nation d’Israël sur sa terre, mais un corps dans lequel n’a pas encore été insufflée l’âme de la Torah (comme dans la création d’Adam : d’abord le corps, ensuite l’âme). Cette période du Messie fils de Yossef (le sionisme laïc) qui a commencé au XIXème siècle, vient de se terminer en 2018 avec le vote de la Loi israélienne qui fait de la Torah la référence officielle pour les lois du pays : la Torah commence à devenir explicitement la Constitution d’Israël.
Cet événement discret coïncide avec la reconnaissance par Ishmaël et Esav (l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis) de Jérusalem comme capitale d’Israël. Israël commence donc à être reconnu par le frère d’Yitzhak et le frère de Yaakov et n’est plus un pays laïc mais un pays juif. (autrement dit, ce n’est plus la « nation des Juifs » mais la « nation juive »). Nous sommes entrés dans la période du Messie fils de David (encore en conflit avec le Messie fils de Yossef) en attendant la période de Salomon qui verra la réconciliation et l’union des deux messies.
« Assurément l’Éternel crée une chose nouvelle sur la terre : la femme tourne autour de l’homme ! » (Jérémie 31,21). Selon le Zohar, cette prophétie est pour le 6ème millénaire (celui dans lequel nous sommes), lorsque les Nations (et l’Église en premier) tourneront autour d’Israël. Le livre de Ruth se déroule pendant la période du « omer » où l’on compte les jours qui séparent de Shavouot. Les temps sont comptés.
Ruth choisit de passer d’en-bas à en-haut, de la mort à la vie, de la galout (l’exil) à Israël. Une fois arrivée chez sa belle-mère, sur la terre de son mari défunt, elle accepte de se marier avec celui que lui propose Naomi. Elle retrouve ainsi celui qu’elle a perdu, mais cette fois elle devient mère.