Russie, Ukraine, Chine, USA, sanctions : la tourmente européenne
Coup après coup, dirigeants et experts viennent de faire deux grandes découvertes. Les uns s’étonnent que les sanctions contre la Russie ne mettent pas ce pays à genoux à l ’approche d’une « victoire » de l’Ukraine, maintes fois annoncée. Les autres, balancent entre perplexité et sidération.
Comment imaginer des troupes nord-coréennes aux portes de l’Europe ? On oublie que la Russie est européenne par sa frontière Est et asiatique par sa frontière Ouest. On a du mal à imaginer des soldats aux yeux bridés aux marches de l’Union européenne. Pour autant, on trouve assez naturel que des G.I.s soient à plusieurs milliers de km des États-Unis, positionnés dans des bases autour de la Russie et présents en Europe soixante-dix ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Pour référence, le groupe de Ramstein, les alliés de l’Ukraine, réunissait plus de cinquante pays.
Les faits
D’après certains experts, le montant des livraisons d’armes de la Corée du Nord à la Russie varierait dans une fourchette au plus bas de 1,7 à 5,5 milliards de dollars. D’après la Corée du Sud, le PIB Nord Corée serait de l’ordre de 24 milliards, dont 10%, voire plus, avec la seule Russie, un montant très significatif.
Si ce mouvement se développe, la contribution à l’économie du Nord pourrait être de plusieurs centaines de millions de dollars[1]. On estime cependant que l’envoi de troupes ne saurait excéder 20 à 25 000 hommes sauf à mettre en péril la stabilité du Nord (désertions, fuites). Il y a déjà eu des contingents nordistes envoyés en Syrie et en Angola.
La coopération entre Russie et Corée du Nord s’est développée à mesure de la durée du conflit avec l’Ukraine. On estime à plus de 53 millions de dollars les échanges au premier semestre 2024 contre 35 millions pour l’année précédente. Les contacts entre dirigeants se sont multipliés depuis l’invasion[2]. En 2024 on compte 24 rencontres au plus haut niveau, contre moins de cinq durant les trois dernières décades. Cette coopération atteindra vite ses limites. Car Pyongyang ne dispose pas d’équipements modernes et suffisamment efficaces pour répondre à la demande russe. Mais le risque existe aussi de voir la Russie transférer des technologies plus modernes à son nouvel allié. Au-delà, ce type de coopération peut devenir un modèle pour certains pays de l’Indo-Pacifique qui ne désirent pas choisir entre les États-Unis ou la Chine. On peut aussi imaginer que sans l’accord de Pékin – qui décidera d’en fixer les limites – cette nouvelle association n’aurait pas lieu.
L’Union européenne est désormais confrontée à plusieurs défis : définir et mettre en œuvre sa stratégie dans l’Indo-Pacifique en concurrence avec les deux grands que sont Washington et la Chine d’une part ; de l’autre, faire face à la confrontation tous azimuts en cours avec l’Ukraine en tant qu’alliée, et prendre parti aux sanctions contre Moscou.
On rappelle que l’Union Européenne a capté et utilisé les fonds russes gelés en Europe pour les transférer à l’Ukraine. On parle de 50 milliards de dollars.
Un nouveau défi s’annonce, celui voulu par la Chine face aux pays occidentaux, États-Unis en tête : Taiwan, dont son nouveau président considère que Taiwan – la République de Chine vs. La République Populaire – est un « État souverain ». Tout est dit. Mais Pékin ne l’entend pas de cette oreille.
Les moyens
Contre la Chine, le Conseil européen des relations internationales propose à son tour une guerre économique, dans les pas de l’Amérique. L’équation est de taille. Que peut réellement faire l’UE avec ses 27 pays, ses 27 politiques étrangères, ses problèmes économiques, sa propre politique étrangère et le contexte économique et politique de certains membres dont la France, devenue 7ème puissance mondiale après les États-Unis, la Chine, Allemagne, le Japon, l’Inde, le Royaume uni. La France, 24ème pays pour ce qui est du revenu par habitant.
Il faut tirer les leçons des sanctions contre la Russie
Chercher à exclure la Chine du système financier mondial paraît illusoire. La recommandation européenne propose un boycott des biens de consommation chinois par les membres du G7, États-Unis, Canada, Japon, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, ainsi que l’Union européenne, ce qui représenterait de l’ordre de 30 à 40% des exportations chinoises. Le diable, qui a une vocation internationale, est dans les détails. Or les États doivent s’attendre à des mesures symétriques de rétorsion, face auxquelles les membres de l’UE ont tout à perdre – selon leur économie, et ne savent pas s’accorder sur le « très rapide et très fort ». On se réfère par exemple à l’automobile.
L’Europe vient d’augmenter fortement le taux de douane sur les véhicules électriques chinois. Ce qui ne va pas baisser le prix des européens. Leurs prix restent trop élevés pour la capacité et la volonté des acheteurs européens. On annonce déjà la fermeture de plusieurs usines européennes. En revanche, les constructeurs européens refusent des droits plus élevés sur les composants importés.
On feint de croire que la Chine restera inerte et ne relèvera pas ses prix pour renchérir le coût européen. On a tort. Le marché chinois est devenu le principal marché automobile pour les européens, on peut donc s’attendre à des mesures de rétorsion.
De plus les États-Unis, avec Donald Trump à leur tête, vont accentuer leur protectionnisme. Ce qui poussera la Chine à attaquer d’autant plus le marché européen.
Pendant ce temps, l’Ukraine réclame toujours la mise à sa disposition de missiles longue portée, que ses alliés ne veulent pas lui fournir car cela constituerait une ligne rouge et un degré pas encore atteint de l’escalade du conflit. Les Occidentaux ont analysé que l’autorisation aurait pour conséquence des actions russes en direction des bases militaires occidentales.
L’effet boomerang des sanctions
La Russie subit l’économie de guerre qui se traduit par une inflation de plus de 20%. L’UE voit son inflation tourner autour de 3% mais continue de subir deux problèmes majeurs : le pouvoir d’achat des citoyens et une immigration clandestine continue.
Et pendant ce temps,
- l’allié de Washington attend des européens qu’ils consacrent au moins 3% de leur budget national à celui de l’OTAN,
- l’Allemagne a annoncé diviser par deux sa contribution à l’Ukraine, pendant que la coalition tripartite est sur le point d’éclater et que le tandem franco-allemand n’en a plus que le nom,
- la France découvre quelques semaines avant le vote de son budget qu’il lui faut trouver 60 milliards d’économies,
- la Hongrie continue d’acheter du gaz russe,
- les dissensions sur la position à adopter sur le conflit israélo-palestinien sont majeures entre les 27.
L’OTAN paraît beaucoup moins assurée qu’il y a deux ans.
L’armée de Kiev recule chaque jour un peu plus. Dans l’est, l’armée russe a progressé de plusieurs centaines de kilomètres. Les unités envoyées vers Koursk ont disparu du front principal. On ne s’étonnera pas si des Nord-Coréens y apparaissent, c’est en territoire russe. Côté ukrainien, on constate que 50 à 70% des nouvelles recrues sont blessées ou tuées en quelques jours, faute d’un entraînement suffisant.
Dans le même temps,
- il ne semble pas exclu que le chancelier allemand s’adresse directement au Kremlin pour évoquer un cessez-le-feu à l’occasion d’un sommet du G20 à Rio courant novembre, où planera l’ombre du président élu Donald Trump ;
- la Moldavie vient de confirmer son souhait d’adhérer à l’UE, ce qui aurait aussi pour conséquence de repousser la frontière entre l’Europe actuelle et la Russie plus à l’Est.
Alors que les dirigeants appellent les citoyens à consentir à plus de sacrifices pour soutenir la poursuite de la guerre en Ukraine, les peuples américains et européens sont fatigués de subir les tensions multiples que sont le coût de la vie, les problèmes de l’immigration alliés à ceux de la sécurité intérieure, notamment en France où les incivilités létales se multiplient.
L’Union européenne veut repousser sa frontière avec la Russie aussi loin que possible. La Pologne se retrouvera en première ligne, et demain l’Ukraine.
Pour cette raison, l’UE et Donald Trump obligeront probablement Kiev à accepter des concessions territoriales.
L’époque des lendemains qui chantent est révolue.
[1] Source : https://www.theguardian.com/world/2024
[2] Source : https://en.yna.co.kr/